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Dossier OZ : Faux souvenirs et manipulation mentale – L’évolution et les caractéristiques sociologiques
Écrit par Brigitte AXELRAD
Dimanche, 07 Décembre 2008 01:00
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IV – L’évolution et les caractéristiques sociologiques du phénomène des faux souvenirs aux États-Unis
Les chercheurs anglo-saxons ont étudié très tôt ce phénomène et ont réalisé avec l’aide des associations américaine la FMFS, anglaise la BFMS, australienne l’AFMA (Australian False Memory Association), une série d’enquêtes pour analyser ce phénomène.
La FMSF et les chercheurs associés estiment à plus d’un million le nombre de familles concernées aux États-Unis.
Une première enquête a été effectuée aux États-Unis, en mars 2001 et publiée dans « The Journal of Nervous and Mental Disease », en août 2004. L’auteur principal est Paul R. McHugh, médecin, ancien directeur du Département de Psychiatrie à l’École de Médecine de l’Université John Hopkins à Baltimore.
Elle a débuté avec l’envoi d’un questionnaire à 4400 abonnés de la Newsletter de la FMSF affectés par l’accusation d’abus sexuel par un membre de leur famille de seize ans et plus. Le taux de réponse a été de 42%.
1 – Évolution
Le graphique ci-dessous indique pour chaque année le nombre de cas d’accusations survenus pendant la période de 1970 à 2000, sur un échantillon de 1734 questionnaires.
On constate une croissance exponentielle des cas d’accusations après 1985, un pic brutal pendant les années 1990 à 1993, avec ensuite un reflux très marqué après 1992, jusqu’à une disparition quasi complète en 2000.
On peut corréler cette croissance subite avec les publications scientifiques parues sur le sujet. Serge Brédart et Martial Van Der Linden ( 2004, p. 9) ont relevé dans la base de données de l’American Psychological Association le nombre de publications trouvées avec le mot clé « false memories ». Elles sont représentées dans le graphique ci-après :
2 – Données d’ensemble
L’étude apporte les précisions suivantes :
93% des accusateurs sont des femmes dont la moyenne d’âge est de 32 ans.
77% des accusateurs exercent un métier en profession libérale ou sont des employés et cadres.
92% des accusations font référence à des souvenirs refoulés.
86% des accusateurs étaient en thérapie au moment des accusations.
3 – Niveau social des parents accusés
L’immense majorité des parents appartiennent à la « middle class ».
4 – Niveau d’études des accusateurs
Le niveau d’études des accusateurs est relativement élevé : les deux tiers ont suivi des études supérieures :
5 – Les personnes accusées
Les personnes accusées sont listées dans le tableau 1. Les pères constituent l’immense majorité des accusés.
Accusé principal (N=1731) | Accusé secondaire (N=985) | |
Père | 82,03 % | 54,49 % |
Mère | 9,65 % | 21,35 % |
Grands parents | 2,48 % | 8,17 % |
Frère | 1,91 % | 5,63 % |
Autre | 1,33 % | 5,67 % |
Oncle | 1,50 % | 2,65 % |
Père adoptif | 0,87 % | 0,81 % |
Cousin | 0,12 % | 0,37 % |
Sœur | 0,12 % | 0,85 % |
6 – Classification des accusateurs suivant l’état de leur relation avec la famille
Dans un souci de simplification les auteurs ont classé les accusateurs en trois catégories :
- les « refusers », qui refusent tout contact avec les personnes qui mettent en doute leurs opinions.
- les « returners », en contact avec leurs familles mais qui ne sont pas revenues sur leurs accusations.
- les « retractors » reconnaissent que leurs accusations étaient fausses et recherchent des relations au plein sens du terme avec leurs familles.
En utilisant ces critères l’étude trouve :
- 56% de « refusers »
- 36% de « returners »
- 8% de « retractors »
La durée moyenne de séparation avec la famille pour les :
- « returners » : 6 ans (0 à 14 ans)
- « retractors »: 5 ans (0 à 23 ans)
- « refusers » : indéterminé
7 – Le retour vers la famille
Les « retractors »
– l’aide reçue en dehors de la famille ;
– des changements dans la situation de l’accusateur tels que naissances, décès, déménagements, etc. ;
– contact avec l’accusateur par la famille et des amis ;
– position unie de la famille ;
– familles gardant la porte ouverte et montrant leur affection ;
– confrontation et discussion par la famille ;
– influence sur l’accusateur de livres, d’information, et des médias.
L’auteur principal en est James Ost, chercheur à l’Université de Portsmouth, Département de Psychologie. Les résultats sont publiés dans l’article : « A Perfect Symetry ? » (Ost, 2002)L’objectif de cette étude était notamment de mesurer la différence du temps nécessaire à l’apparition de faux souvenirs d’abus sexuel en thérapie avec celui qui est pris pour revenir sur les accusations et se rétracter :le temps moyen pour retrouver les premiers souvenirs refoulés est de 8,6 semaines après le début de la thérapie, le temps moyen pour se convaincre que ces souvenirs étaient faux est de 4,5 années.Cette asymétrie montre la rapidité du processus initié par la thérapie et la difficulté de se défaire ensuite des croyances ainsi introduites. On notera que plusieurs « retractors » ont déclaré avoir subi une pression de leur thérapeute pour ne pas se rétracter.
On retrouve ici une analogie avec le vécu des victimes de sectes.
Les « returners »
Les refusers
8 – Discussion des résultats
L’évolution de la société et la médiatisation des accusations de pédophilie ont bien entendu facilité le signalement de cas réels d’abus sexuels sur des enfants. Mais les données présentées ci-dessus concernent spécifiquement des « souvenirs » d’abus sexuels retrouvés en thérapie et concernent un échantillon de 4400 familles qui ont contacté la False Memory Syndrome Foundation.Les faits se seraient produits dans les années 1960, suivis d’une longue absence de souvenirs. Ces souvenirs ont ressurgi à l’occasion d’une thérapie à l’âge de trente ans en 1990. Ce phénomène a duré quelques années puis a fortement diminué.Ce pic constaté sur une période limitée dans le temps, amène à formuler deux hypothèses :- la première serait qu’il y a eu une « épidémie » brutale d’abus sexuels dans les années 60. Les auteurs notent cependant qu’il s’agit dans ce cas d’un profil de « victimes » très différent de celui des victimes de pédophiles classiques,
– la deuxième, serait qu’il y a eu un engouement pour ces thérapies (TMR), qui a créé une mode dans les années 1980. Ces thérapies ont concerné des personnes vulnérables et sensibles à la suggestion. D’ailleurs, les caractéristiques sociologiques de ces « victimes » ne correspondent pas à celles des personnes dont l’abus sexuel a été effectivement corroboré (Sedlack et Broadhurst, 1996), mais elles sont remarquablement similaires à celles des populations en quête d’une psychothérapie, (Olfson et Pincus, 1994).
Cette mode aurait finalement disparu lorsque le phénomène des faux souvenirs a été étudié, dénoncé, stigmatisé et que les dommages ont été reconnus.
Pour les auteurs de l’étude, c’est la deuxième hypothèse qui est la plus vraisemblable.
En effet, selon eux, l’« épidémie » de faux souvenirs ressemble à un emballement, tel que celui décrit par Penrose (1952) dans d’autres situations médicales et sociologiques. En fin de compte, le phénomène diminue et ne concerne plus que des groupes marginaux.
Ce pic des années 1990 s’expliquerait aussi par le fait que les thérapeutes sont maintenant beaucoup plus prudents. Il est probable que de nombreux thérapeutes ont reconsidéré leurs pratiques passées en raison notamment :
– des recommandations des organisations professionnelles par exemple celles de l’Association Psychiatrique Américaine dès mars 2000 ;
– des manuels et des programmes de formation continue qui ont aussi incorporé des avertissements sur les dangers des techniques de la mémoire retrouvée ;
– des efforts de nombreux chercheurs et professionnels pour éduquer le public sur ce problème ;
– de la connaissance du public américain sur les faux souvenirs, aujourd’hui très largement répandue.
Les États-Unis sortent actuellement de ce phénomène des faux souvenirs grâce à une mobilisation des organisations professionnelles de médecins, de psychologues et de chercheurs universitaires qui ont effectué de nombreux travaux sur ce sujet.
En France, où le phénomène s’est développé avec dix années de retard, des initiatives semblables seraient souhaitables. Il reste encore à la France à entreprendre un effort à sa mesure pour venir à bout de ce problème.
Le rapport de la MIVILUDES publié en avril 2008 est un premier pas.