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La question qui se pose
Comment les tenants de la “mémoire retrouvée” expliquent-ils que des traumatismes d’enfance soient oubliés, que cet oubli puisse se prolonger pendant plusieurs décennies, puis être retrouvé en thérapie ?
Sigmund Freud propose une explication :
« J’ai appelé refoulement ce processus supposé par moi et je l’ai considéré comme prouvé par l’existence indéniable de la résistance. »
Sigmund Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse
Le refoulement freudien.
Les thérapeutes de la “mémoire retrouvée” affirment que les traumatismes subis dans l’enfance sont “refoulés” pour se protéger. Le concept de “refoulement” a été inventé par Sigmund Freud puis repris dans les années 1970 par les thérapeutes freudiens aux États-Unis pour expliquer que des “victimes” puissent oublier l’agression supposée et retrouvent, le souvenir “oublié” des décennies plus tard, le plus souvent lors de séances d’hypnose ou lors d’une thérapie,
Les scientifiques, spécialistes de la mémoire, ont tenté en vain d’apporter la preuve de l’existence du refoulement, ils n’y sont pas parvenus. Aujourd’hui, l’immense majorité des scientifiques contestent l’existence du refoulement.
L’amnésie dissociative traumatique
D’autres thérapeutes de la “mémoire retrouvée” ont inventé un autre concept celui de la “dissociation”, de la “mémoire traumatique” et de “l’amnésie dissociative traumatique” pour justifier leur pratique qui consiste à trouver le souvenir, oublié pendant des décennies, du traumatisme pour pouvoir “guérir” des symptômes vécus par la patiente.
Les interviews de Richard Mc Nally, Scott Lilienfeld, Lawrence Patihis, Elizabeth Loftus, Chris French.
J’ai donc interrogé sur ce sujet des chercheurs et des scientifiques spécialistes de la mémoire.
Richard McNally est Professeur de psychologie à l’Université Harvard, expert des troubles de l’anxiété. Il a effectué des recherches sur le fonctionnement cognitif des adultes qui rapportent des histoires d’abus sexuel infantile.
J’ai mené des recherches en laboratoire sur les personnes présentant des souvenirs “retrouvés” d’abus sexuels dans l’enfance, des gens qui croyaient qu’ils avaient été victimes d’abus, mais qui n’en avaient pas de souvenirs, des personnes qui ont déclaré n’avoir jamais oublié leur abus, et des personnes qui ont déclaré n’avoir jamais été victimes d’abus.[…]
Il n’existe pas de preuve convaincante que des personnes soient incapables de se rappeler les événements vraiment traumatiques, c’est-à-dire de preuve convaincante de l’existence de l’amnésie dissociative traumatique ou du refoulement.
L’amnésie dite traumatique :
Ce terme implique que quelqu’un encode une ou des expérience (s) traumatique (s), puis devient incapable de rappeler le souvenir du traumatisme parce qu’il a été trop traumatisant. En fait, la notion que l’on peut être gravement traumatisé et totalement ignorant d’avoir été traumatisé – grâce au « refoulement » – est un morceau de folklore dénué de tout fondement scientifique convaincant.
Scott O. Lilienfeld est Professeur de psychologie à l’Université Emory à Atlanta. Ses principaux domaines de recherche sont les désordres de la personnalité, les diagnostics et classifications psychiatriques, les pratiques en psychologie basées sur les preuves et les challenges posés par la pseudoscience en psychologie clinique.
La croyance que les souvenirs de traumatismes précoces, comme l’abus sexuel, peuvent être complètement oubliés pendant des années puis récupérés sous une forme précise en thérapie des décennies plus tard, continue à être largement répandue. […]
Cette croyance n’est pas étayée par des preuves scientifiques. En fait, elle est fortement contredite par les preuves. Ces faits expliquent pourquoi elle a été rejetée par la grande majorité de la communauté de la science psychologique, notamment d’éminents experts sur la science de la mémoire. Ironiquement, même Freud lui-même, qui a d’abord cru aux souvenirs retrouvés d’abus d’enfants, a fini par penser que ces « souvenirs » étaient en fait des fausses reconstructions, qui ont souvent été implantées par inadvertance par des psychothérapeutes.
Autrement dit, il n’existe aucun mécanisme de mémoire connu où la remémoration soudaine de souvenirs oubliés depuis longtemps peut se produire. De nombreuses études démontrent que les personnes qui ont subi un traumatisme terrible, comme le viol brutal, le combat en première ligne pendant la guerre ou des expériences de l’Holocauste, ne les oublient pas. En fait, comme le trouble de stress post-traumatique le démontre amplement, la plupart du temps ces gens ne se rappellent ces expériences que trop bien.* Bien sûr, dans de rares cas, les personnes oublient des expériences traumatisantes. Mais la plupart de ces cas isolés peuvent être expliqués par d’autres causes, telles que des lésions cérébrales résultant de la guerre ou, dans une étude largement citée, un coup de foudre qui a fait perdre conscience à une personne. […]
Comme je l’ai dit plus haut, il y a peu ou pas de soutien scientifique à l’existence des souvenirs retrouvés. Il est vrai que certains adultes semblent retrouver des souvenirs précis de traumatismes de l’enfance en psychothérapie ou sous hypnose. Souvent, ces souvenirs apparents émergent à la suite de questions suggestives répétées et d’instructions par des thérapeutes, bien intentionnés, mais mal formés. Mais ces souvenirs n’ont pratiquement jamais été corroborés par des données indépendantes, telles que les informations du dossier médical
Chris French a expliqué que les faux souvenirs peuvent également être auto-induits, par exemple en écoutant les histoires d’autres personnes à la télévision ou en lisant (par exemple par «bibliothérapie», en utilisant des livres d’auto-assistance). Plus quelqu’un est imaginatif plus il est susceptible de développer un faux souvenir. Plus important encore, les faux souvenirs sont aussi émotionnellement chargés que les vrais et peuvent donc sembler très convaincants pour un jury.
A partir de quel âge peut-on avoir de vrais souvenirs ?
Chris French a déclaré que les souvenirs «refoulés» des abus sexuels traditionnels «récupérés» pendant une psychothérapie sont peu vraisemblables. Un enfant plus âgé que de trois ou quatre ans se souviendrait d’un événement traumatique, un enfant plus jeune n’aurait pas formé de souvenir durable qui persisterait jusqu’à l’âge adulte, donc il ne pourrait pas être récupéré. Elizabeth Loftus l’explique dans la vidéo suivante :
En outre, il existe de solides preuves expérimentales pour montrer que la psychothérapie de la «mémoire récupérée» est dangereuse et qu’il existe un risque sérieux qu’elle puisse induire de faux souvenirs. La raison est que les techniques utilisées pendant la psychothérapie visant à «récupérer» les souvenirs sont très semblables aux méthodes que les scientifiques de la mémoire ont utilisé pour implanter de faux souvenirs.
Chris French est professeur de psychologie, chef de l’Unité de recherche en psychologie Anomalistic au Goldsmiths et fondateur de Greenwich Sceptiques dans le Pub
Lawrence Patihis (interview) est professeur assistant au département de psychologie de Southern Mississipi. Il a préparé sa thèse à l’Université de Californie à Irvine . Ses sujets de recherche sont la mémoire, les souvenirs d’émotions passées, la malléabilité de la mémoire, traumatisme et mémoire, la dissociation…
Je lui ai demandé :
– Quelles preuves scientifiques contredisent ou démystifient l’idée de souvenirs refoulés ?
– Sa réponse :
“De la même manière que vous ne pouvez pas réfuter qu’il y a une théière en orbite autour de la planète Mercure, il est extrêmement difficile de réfuter l’idée des souvenirs refoulés. […]”
“Fondamentalement, les preuves convergent à partir de :
- la consolidation de la mémoire de base,
- la recherche sur la reconsolidation,
- la recherche sur la distorsion de la mémoire, – et la recherche sur la mémoire traumatique.
Par exemple, le modèle standard de la consolidation de la mémoire n’a révélé aucune allusion à l’existence de la mémoire refoulée – en fait, quand de l’adrénaline est produite pendant et après un rappel du souvenir de l’événement, plus tard celui-ci est renforcé. Si le traumatisme est terrible, l’adrénaline serait libérée au moment de l’événement. Les symptômes du PTSD, bien sûr, comprennent les intrusions de la mémoire traumatique, et non leur refoulement.”
Il a publié en 2014 avec Scott O. Lilienfeld, Lavina Y. Ho, et Elizabeth F. Loftus, un papier intitulé “Unconscious Repressed Memory Is Scientifically Questionable” (“Les souvenirs refoulés inconscients sont scientifiquement discutables”).
Les auteurs écrivent : “Brewin et Andrews suggèrent que la «dissociation» est un mécanisme possible pour l’oubli des événements traumatiques. Néanmoins, un lien entre les facteurs de stress passés et les scores de l’échelle des expériences dissociatives (DES (Dissociative Experiences Scale), Carlson & Putnam, 1993) ne fournit pas de preuve d’amnésie dissociative pour les traumatismes passés, en particulier parce que les éléments de DES renvoient à une foule d’expériences étranges autres que l’oubli. Changer le nom de «mémoire refoulée» en «amnésie dissociative» peut masquer la question plutôt que de clarifier.”
Elizabeth Loftus (entretien) est Professeur de Psychologie à l’Université de Californie à Irvine, (États-Unis), ses travaux de recherche sur la mémoire font autorité, elle a écrit plusieurs ouvrages sur le syndrome des faux souvenirs et témoigné dans de nombreux procès contre des thérapeutes déviants. Elle est expert de renommée internationale sur le sujet.
BA. Pensez-vous que le refoulement existe et si oui peut-il refouler des souvenirs d’abus sexuels dans l’enfance ?
E.L. Je pense que les gens peuvent ne pas penser à des choses depuis longtemps et en avoir des rappels. Ceci est l’oubli et le souvenir ordinaire. Mais je n’ai pas vu de preuve d’un quelconque processus qui irait au-delà.
B.A. : Quand pensez-vous que le syndrome des faux souvenirs disparaîtra et quels facteurs pourraient y aider ?
E.L. : Malheureusement, d’autres “lubies” prendront probablement sa place. Nous pouvons seulement espérer qu’elles ne blesseront pas autant de personnes et de familles et ne détruiront pas autant d’existences.
Elizabeth Loftus n’a malheureusement pas pu apporter de réponse rassurante à notre question de savoir s’il existe des travaux pour déconditionner quelqu’un qui a été manipulé pour générer des faux souvenirs.
*Voici une illustration de ce qu’un traumatisme d’enfance n’est pas oublié : l’histoire d’Hedwige, une enfant de 7 ans .
Vidéo (extraite de l’émission de FR5)
Diffusée le 19 février 2017
Colette, médecin pédiatre et passeuse d’enfants, a aujourd’hui 97 ans. Elle raconte la descente de la police française pour arrêter les enfants hospitalisés à l’hôpital Rothshild à Paris.
La petite Hedwige a 7 ans en 1942 et elle n’a jamais oublié la terreur qu’elle a vécue : elle témoigne 70 ans plus tard.
Vidéo en FLV
En MP4 pour les tablettes et ordinateurs Apple :