L’effet Macbeth : to be or not to be…washed ?

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L’effet Macbeth : to be or not to be…washed ?

Publié en ligne le 8 juin 2021 – Évolution et faits sociaux –

« On ne sait pas encore si les mains propres mènent à un cœur pur, mais nos études indiquent qu’elles fournissent au moins une conscience tranquille après des fautes morales. »
Chen-Bo Zhong, Katie Liljenquist

C’est à cette conclusion que sont parvenus ces deux chercheurs en psychologie, Chen-Bo Zhong et Katie Liljenquist, dans une étude publiée en 2006 [1]. Nous laver les mains nous permettrait-il de nous laver de nos fautes ?

La culpabilité est un sentiment désagréable qui nous indique que nous avons commis un acte répréhensible. Si ce sentiment est pénible pour l’individu, il peut avoir de bons côtés pour les relations sociales. Les gens qui n’éprouvent jamais aucun sentiment de culpabilité nuisent souvent à leur entourage. Ils n’éprouvent aucun remords vis-à-vis de ceux qu’ils exploitent ou blessent. À l’inverse, ceux qui se sentent coupables d’avoir commis une faute ont tendance à venir en aide aux autres pour effacer leur culpabilité. C’est ce que montrent des études comme celle de Roy Baumeister, professeur de psychologie sociale à l’université Princeton (New Jersey) [2], ou encore celle de Hanyi Xu, docteur en psychologie sociale expérimentale à l’université Grenoble-Alpes [3].

La question que se sont posée ces chercheurs en psychologie est de savoir si, lorsque nous sommes libérés de notre culpabilité, nous pouvons avoir un comportement altruiste. Pour y répondre, ils se sont intéressés à l’interprétation empirique de ce qu’ils ont appelé « l’effet Macbeth », en référence à Lady Macbeth, l’héroïne de Shakespeare, et à ses tentatives fébriles pour se débarrasser des taches de sang qu’elle voit sur ses mains depuis qu’elle a incité son époux à assassiner Duncan, le roi d’Écosse. Les taches sont toujours là, le sang poisseux et son odeur écœurante l’obsèdent, jusqu’à la pousser au suicide.

“Out, damned spot ! Out, I say !”

Lady Macbeth,
Gabriel von Max (1840-1915)

« Va-t-en, maudite tache ! Va-t-en, te dis-je ! », hurle Lady Macbeth en se lavant compulsivement les mains [4]. Au retour d’une bataille opposant la Norvège à l’Écosse au cours de laquelle il a combattu avec courage, Lord Macbeth, chevalier des armées de Duncan, roi d’Écosse, rencontre trois sorcières qui lui prédisent qu’il sera seigneur, puis roi d’Écosse. Peu de temps après, il apprend que le roi le nomme baron de Cawdor, en guise de récompense. Plutôt que de se satisfaire de cet honneur, Lord Macbeth s’interroge sur son avenir et confie ses ambitions à son épouse. Lady Macbeth le pousse alors à assassiner le roi Duncan. La culpabilité ne tarde pas à troubler les nuits de celle-ci par des cauchemars effroyables.

Shakespeare, une source d’inspiration pour la psychologie contemporaine
Vers 1606, à l’époque de la publication de Macbeth, les médecins croient encore que les affections nerveuses sont l’œuvre de puissances occultes. Dans sa tragédie, Shakespeare suggère avec génie la cause des hallucinations de Lord Macbeth, du somnambulisme de Lady Macbeth, et de la compulsion de celle-ci à se laver les mains après le meurtre de Duncan. Inspirateur de la psychologie scientifique selon certains auteurs [5], il suggère selon eux que les hallucinations de Lord Macbeth sont un trouble de l’intelligence qui lui fait croire à la réalité de choses qui n’existent pas. Sous l’influence d’émotions intenses, d’une grande excitation cérébrale, l’imagination de Macbeth créerait à partir de véritables images extérieures des représentations sensorielles subjectives, qu’il prendrait pour des formes réelles. C’est ainsi qu’il voit et revoit sans cesse le poignard avec lequel il a assassiné le roi.

Les crises de somnambulisme de Lady Macbeth seraient quant à elles un comportement automatique, dans lequel son cerveau n’interviendrait que très faiblement. Ce serait un réflexe dû au poids de sa mauvaise conscience auquel son intelligence, sa volonté, sa raison, ne participeraient pas. La culpabilité d’avoir poussé son époux, Lord Macbeth, au régicide la force à se laver les mains pour l’effacer, en vain, et finalement à se suicider.

Lavage des mains et conscience propre
Dans sa représentation de Lady Macbeth, Shakespeare suggère le lien métaphorique entre la souillure morale et la saleté physique [6]. Pendant des siècles, les gens ont pensé laver leur culpabilité en se lavant les mains. En effet, dans de nombreuses religions, se laver est considéré comme un acte de purification. Baptême pour laver le péché originel, eau bénite pour chasser le démon, bain rituel, lavage des mains ou des pieds, les rituels religieux suggèrent une correspondance entre pureté morale et propreté physique. Le nettoyage du corps va au-delà de l’hygiène et de la réduction de la contamination physique. La faute morale, le crime, ne souillent pas seulement l’âme, mais aussi le corps, comme l’exprime par exemple le titre de la pièce de Sartre, Les Mains sales, où le héros principal se salit symboliquement les mains en tuant le chef du parti prolétarien.

Le lavage des mains le plus célèbre et devenu proverbial est celui de Ponce Pilate, en l’an 33 après Jésus-Christ. Procureur romain, il devait faire un choix cornélien : gracier le Christ ou le larron Barabbas. Selon la Bible, sa femme lui demanda de libérer le Christ, mais la foule réclama qu’il soit crucifié. Impuissant face à cette alternative, il prit de l’eau, se lava publiquement les mains et déclara : « Je suis innocent de ce sang, c’est désormais votre affaire. » C’est ainsi que Ponce Pilate devint l’archétype de l’irresponsabilité. En se lavant les mains de ses fautes pour ne pas en être « souillé », il se considéra comme « blanchi » et devint un exemple pour d’autres après lui. Si l’on en croit certaines études conduites par des chercheurs en psychologie, on peut imaginer que sa conscience en fut en partie soulagée !

L’« effet Macbeth »

En 2006, s’inspirant de la tragédie de Shakespeare, les chercheurs Zhong et Liljenquist ont tenté de démontrer empiriquement l’existence de ce qu’ils ont appelé l’« effet Macbeth », se laver de ses fautes en se lavant les mains [1].

Pour vérifier ce phénomène, ils ont réalisé une série de tests. Dans l’un d’entre eux, trente participants étaient invités à se remémorer une faute morale dont ils se sentaient responsables. Puis, en leur présentant le test comme portant sur la mémoire, on leur soumettait une liste de courses. Ensuite, on leur demandait d’aller au supermarché. Les chercheurs ont alors observé que les sujets avaient tendance à se diriger d’abord vers le rayon « hygiène » pour y chercher du savon, avant d’aller vers les autres rayons du magasin.

Les chercheurs ont ensuite voulu savoir si se laver les mains entraînait un sentiment d’apaisement. Pour ce faire, ils ont joué sur un ressort connu de la culpabilité : le besoin de compenser une mauvaise action par une bonne, afin de soulager sa conscience. Ils ont demandé aux participants s’ils accepteraient de faire une bonne action, comme par exemple aider un étudiant en difficulté. Ils ont constaté alors qu’après l’aveu d’une faute morale, 73,9 % des personnes qui ne s’étaient pas lavé les mains acceptaient d’apporter leur aide contre seulement 40,9 % de celles qui se les étaient lavées.

Se laver les mains permettrait donc de décharger sa conscience et rendrait la bonne action superflue.

Dans un autre test, les chercheurs ont annoncé à trente volontaires qu’on allait étudier la relation entre écriture manuscrite et personnalité. Ils leur ont demandé de recopier, à la main et à la première personne, soit le récit d’un acte immoral, soit celui d’une bonne action. Dans le premier cas, c’était l’histoire d’un employé qui avait dissimulé un document important destiné à l’un de ses collègues, dans l’autre, l’employé retrouvait le document important, ce qui sauvait la carrière de son collègue. Ensuite, les sujets ont reçu une liste de produits courants, tels que des boissons, du dentifrice, des piles, du savon, dans laquelle ils devaient signaler ceux qu’ils désiraient le plus. Ceux qui avaient rendu compte de l’action immorale désignaient en majorité le savon, ce qui tendrait à établir un lien entre pureté morale et propreté du corps.

Propreté et pardon
En 2007, Simone Schnall et une équipe de chercheuses de l’École de psychologie de l’université de Plymouth (Angleterre) ont voulu pousser un peu plus loin l’expérience sur l’effet Macbeth, en s’intéressant cette fois-ci aux jugements moraux portés sur autrui. Leur enquête a porté sur quarante participants, testés individuellement. Elles ont constaté que des personnes confrontées par vidéo à des actes immoraux tels que la falsification d’un curriculum vitae, le vol d’argent dans un portefeuille ou d’autres délits avaient tendance à porter des jugements moins sévères sur leurs auteurs après s’être lavé les mains ou même après avoir entendu dans la conversation des mots tels que « pur », « laver », « propre ». Ce qui montrerait que la propreté, ou même son évocation, faciliterait le pardon de ces actes et permettrait de… passer l’éponge [7].

Mensonge et dentifrice

Deux Femmes au bassin,
Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938)

Plus impressionnant encore, Michael Schaefer et son équipe de l’université de Magdeburg (Allemagne) ont conduit en 2015 une étude de neuro-imagerie [8]. L’activation sensorimotrice dans une région cérébrale a montré que dire à haute voix un mensonge augmente l’envie de dentifrice et de liquide pour se rincer la bouche, tandis qu’un mensonge écrit accroît le désir de produits lavants pour les mains. Dans son commentaire de l’expérience, Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’université de Fribourg (Suisse), écrit : « En parallèle, les chercheurs ont observé des activations spécifiques des régions somatosensorielles, qui codent les sensations en provenance des différentes parties du corps : la vue de produits sanitaires active l’aire de la bouche après un mensonge oral, et l’aire de la main suite à un mensonge écrit » [9].

La controverse : le doute sur l’effet Macbeth…
D’autres équipes de chercheurs ont reproché aux premières études la faible taille des échantillons utilisés, une quarantaine de personnes tout au plus. Ils ont tenté de retrouver cet effet avec un plus grand nombre de participants, mais sans succès. En 2014, une équipe américano-canado-britannique de chercheurs en psychologie et neuro-éthique a répliqué plusieurs fois l’expérience [10].

Une première expérience s’est déroulée au Royaume-Uni, sur 153 volontaires, soit cinq fois plus que dans l’expérience originelle. Mais cette fois-ci, les participants, qui avaient fait le récit par écrit d’un acte immoral, n’avaient pas désiré le savon plus que les autres participants… L’équipe a également répliqué l’expérience aux États-Unis sur 156 volontaires, sans succès non plus.

L’effet Macbeth ne serait-il donc qu’un leurre ? Il n’a pas cessé pour autant de fasciner les scientifiques.

… ou sa réhabilitation ?
Une étude plus récente semble le réhabiliter [11]. Elle paraît confirmer la médiation exercée par l’hygiène sur le sentiment de culpabilité et montre que les concepts abstraits s’appuient en partie sur les sensations physiques. Si le concept de pureté transcende les frontières entre les domaines physique et moral, alors ces deux domaines s’influencent mutuellement. Les auteurs se sont demandé s’il est plus efficace, pour atténuer sa culpabilité, de se laver les mains après un acte immoral, ou s’il suffit de regarder les autres le faire. Tous les participants, soixante-cinq clients adultes d’une bibliothèque municipale en France, devaient écrire le récit d’une mauvaise action passée. Ensuite, ils ont été assignés au hasard à l’une des trois conditions expérimentales suivantes : se laver les mains, regarder une vidéo dans laquelle des individus se lavaient les mains, regarder une vidéo d’un tout autre type. Ensuite, on a demandé aux participants s’ils accepteraient d’aider un étudiant surchargé par son travail de thèse à remplir quelques questionnaires chez lui et à les renvoyer dans les trois semaines.

D’après les résultats, les participants qui avaient pu se laver les mains et ceux qui regardaient la vidéo des individus se lavant les mains éprouvaient après ce geste moins de culpabilité et se montraient moins altruistes que les autres, ce qui tendrait à accréditer l’existence d’un effet Macbeth. Pour expliquer que voir les autres se laver les mains après un acte coupable permettrait d’alléger sa culpabilité, les auteurs écrivent : « Nos résultats suggèrent que tout en regardant une autre personne se laver les mains, le cerveau simule l’expérience sensorielle et motrice comparable de sorte qu’il induit des sentiments indirects de “propreté” et amorce les concepts de “propreté” et de “pureté”, ce qui neutralise et réduit le sentiment de culpabilité et ses effets conséquents sur la promotion de la prosocialité. »

Alors, pour avoir la conscience tranquille, to be or not to be washed ? That is the question… Et la question reste ouverte pour des recherches futures. Lady Macbeth n’a, quant à elle, pas réussi cet exploit, signe que finalement Shakespeare lui-même n’y croyait pas. Mais il n’était qu’un dramaturge du XVIe–XVIIesiècle, pas un scientifique du XXIe

Références


1 | Zhong C-B, Liljenquist K, “Washing away your sins : threatened morality and physical cleansing”Science, 2006.
2 | Baumeister RF et al., “Guilt : An interpersonal approach”Bulletin psychologique, 1994, 115 :243-67. Sur le site d’APA PsycNet content.apa.org
3 | Xu H, « Culpabilité et conduites prosociales : l’embodiment, l’approbation sociale et l’épuisement du soi », Thèse de doctorat, université de Grenoble, 2012, sur theses.fr
4 | Shakespeare W, Macbeth, act 5, scene 1, line 38, in Signet Classic Edition, Barnet S, Ed. Penguin, 1998.
5 | Viguier-Vinson S, « Shakespeare psychologue », Le Cercle psy, août 2019. Sur le-cercle-psy.scienceshumaines
6 | Sekulak M, “Metaphorical Association Between Physical and Moral Purity in the Context of One’s Own Transgressions and Immoral Behavior of Others”Psychol Lang Comm, 2017.
7 | Schnall S et al., “With a Clean Conscience : Cleanliness Reduces the Severity of Judgments”Psychol Sci, 2008.
8 | Schaefer M et al.,“Lying and the Subsequent Desire for Toothpaste : Activity in the Somatosensory Cortex Predicts Embodiment of the Moral-Purity Metaphor”Cerebral Cortex, 2016.
9 | Dieguez S, « L’effet Macbeth : peut-on « laver » sa conscience ? » Cerveau&psycho, avril 2017.
10 | Earp BD et al., “Out, damned spot : Can the “Macbeth Effect” be replicated ?”, Basic and Applied Social Psychology, 2014.
11 | Xu H et al., “Washing the guilt away : Effects of personal versus vicarious cleansing on guilty feelings and prosociality“Frontiers in Human Neuroscience, 2014, 8 :

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