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Des recherches sur les faux souvenirs induits sont effectuées en France.
Un article est publié dans la revue Memory en Août 2019 par Olivier Dodier(a) , Lawrence Patihis(b) et Mélany Payoux(c) * sous le titre : Reports of Recovered Memories of Childhood Abuse in Therapy in France. Il s’agit d’une recherche menée en collaboration franco-américaine.
Voici le résumé :
Résumé
Les souvenirs retrouvés d’abus en thérapie sont particulièrement controversés si les clients ne savaient pas été qu’ils ont été maltraités avant d’entrer en thérapie. Dans le passé, une telle récupération des souvenirs a conduit à des poursuites judiciaires. ainsi qu’a un débat sur la question de savoir si de tels souvenirs pourraient être refoulés, oubliés ou de faux souvenirs. Plus de deux décennies après le point culminant de la controverse, il n’est pas clair que dans quelle mesure de tels souvenirs sont encore retrouvés aujourd’hui et dans quelle mesure ils se manifestent en France.
Dans notre enquête en française auprès de 1 312 participants (Mage = 33 ; 53 % de femmes), 551 ont déclaré avoir suivi une thérapie à un moment donné. De ce nombre, 33 (6 %) ont indiqué qu’ils avaient retrouvé des souvenirs d’abus dans la thérapie qu’ils ne connaissaient pas avant la thérapie. Les abus sexuels étaient les plus fréquents ont été récupérés pendant le traitement (79 %).
Comme dans les recherches antérieures, la discussion sur le la possibilité de souvenirs refoulés avec les thérapeutes a été associée à des rapports de souvenirs d’abus retrouvés.
Étonnamment, la récupération des souvenirs s’est tout autant produite dans les thérapies comportementales et les thérapies cognitives que dans celles les thérapies focalisées sur le traumatisme.
Nous avons trouvé des souvenirs retrouvés dans une proportion de clients qui ont commencé une thérapie récemment. Les souvenirs retrouvés au cours de la thérapie semblent donc être une préoccupation actuelle en France.
Mots-clés : mémoire refoulée, mémoire retrouvée, traumatisme, abus, psychothérapie, guerre des souvenirs, thérapie de la mémoire retrouvée, psychanalyse
Extrait de la procedure
Les deux questions suivantes étaient au cœur de nos objectifs :
– « Au cours du soutien psychologique ou au cours de la thérapie, votre thérapeute
a-t-il déjà discuté de la possibilité que vous ayez été victime de violence dans votre enfance, mais que vous ayez réprimé vos souvenirs ? et
– » Au cours de la thérapie, vous êtes-vous souvenu d’avoir été victime de violence dans votre enfance, alors que vous n’en aviez aucun souvenir
auparavant ?
Ils ont eu l’occasion de répondre « Oui », « Non » et « Je ne sais pas/je ne suis pas sûr ».
Après la question sur la discussion sur les souvenirs
refoulés, nous avons posé une question de suivi afin de déterminer qui avait abordé le sujet en premier : le thérapeute ou le client (
deux autres modalités de réponse ont été proposées : « Je ne me souviens pas », et « Autre »).
Thérapeute et types de thérapie
Nous nous attendions à ce que les thérapies proposant spécifiquement de travailler sur les traumatismes psychologiques (p. ex., EMDR, thérapies
axées sur les émotions) seraient davantage associées
i) aux discussions signalées sur les souvenirs refoulés, ainsi que
ii) aux souvenirs retrouvés dans les thérapies, qu’aux thérapies fondées sur des données probantes ne portant pas sur les traumatismes
passés (p. ex., thérapies cognitivo-comportementales).
De plus, nous nous attendions à des taux plus élevés de discussions et de souvenirs retrouvés avec des thérapeutes orientés vers la psychanalyse.
Les cas signalés, la couverture médiatique ou les livres et articles portant sur les souvenirs retrouvés mettent aussi généralement l’accent sur
la violence sexuelle et physique subie pendant l’enfance (voir Bass et Davis, 1988 ; Freyd, 1994 ; en France, voir Salmona, 2018). Nous avons donc
prédit qu’un nombre important de souvenirs retrouvés concerneraient des abus sexuels et physiques.
Les résultats d’une enquête largement diffusée sur les violences sexuelles menée en France montrent que les femmes sont significativement plus
exposées aux violences sexuelles que les hommes et que 2 femmes sur 5 ont subi leur premier abus sexuel avant 15 ans (Debauche et al., 2017).
Ainsi, nous nous attendions à ce que les thérapeutes discutent davantage de l’hypothèse de souvenirs refoulés d’abus sexuels avec des femmes
qu’avec des hommes. De même, nous nous attendions à ce que plus de souvenirs d’abus sexuels soient retrouvés chez les femmes que chez les hommes.
Les quatre contextes de récupération de mémoire les plus fréquemment rapportés dans Patihis et Pendergrast (2019) étaient des flashbacks,
des crises de panique, des souvenirs corporels et des images guidées. Nous nous attendions alors à des contextes de récupération similaires et,
comme eux, à ce que les souvenirs soient récupérés pendant et en dehors de la thérapie.
Conséquences des discussions et souvenirs retrouvés
Nous avons trouvé un lien très fort entre le fait de discuter de la possibilité de souvenirs refoulés et le fait d’avoir retrouvé des souvenirs d’abus en thérapie. Cependant, comme l’ont suggéré Patihis et Pendergrast (2019), il s’agit d’un résultat corrélationnel et certains paramètres peuvent être absents pour suggérer une relation causale. C’est pourquoi, à la suggestion des auteurs, nous avons ajouté une question de suivi pour déterminer lequel du patient ou du thérapeute avait abordé le sujet des souvenirs refoulés en premier. Nous avons constaté que les participants ont fait état d’un plus grand nombre de souvenirs retrouvés de violence en thérapie lorsqu’ils ont d’abord parlé à leur thérapeute de souvenirs refoulés que lorsqu’ils ont parlé de souvenirs refoulés plutôt que du contraire. Les personnes qui commencent une thérapie en raison d’une psychopathologie potentielle peuvent être particulièrement motivées à trouver des explications à leur état mental.
Comme l’ont suggéré des recherches antérieures, ces personnes pourraient alors être particulièrement suggestibles (Scoboria et al., 2017). Cela pourrait alors expliquer pourquoi nous avons trouvé (i) que ce sont principalement les clients qui ont entamé la discussion sur le refoulement, et (ii) une association entre la discussion sur le refoulement et les souvenirs retrouvés pendant la thérapie. Bien que nous n’ayons pas observé d’association entre la croyance dans les souvenirs refoulés et la fréquence des souvenirs récupérés en thérapie, nous avons observé un lien entre ces derniers et la croyance en l’efficacité de la thérapie de mémoire récupérée, comme nous l’avions supposé. Il est donc possible que des techniques de récupération des souvenirs aient été initiées à la demande des clients, puisque ceux qui ont récupéré des souvenirs semblent avoir d’abord fait cette hypothèse.
Encore une fois, il s’agit là de premiers résultats, et il faut poursuivre les recherches sur les liens de causalité entre la thérapie, les croyances sur les souvenirs refoulés et les souvenirs retrouvés.
Près de 25 % des participants qui ont déclaré avoir retrouvé la mémoire pendant le traitement ont également déclaré avoir coupé les liens avec leur famille ou leurs connaissances. Nous avions prédit une telle conséquence, mais le pourcentage que nous avons observé était inférieur à celui observé par Patihis et Pendergrast (2019).[…]
Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, compte tenu de la taille de notre échantillon et de sa diversité en termes d’âge et de sexe, nous pouvons spéculer qu’il peut y avoir beaucoup d’individus en France qui récupèrent des souvenirs d’enfance d’abus, en thérapie. Pour donner un aperçu aux lecteurs, 2,5 % des personnes âgées de 18 ans et plus auraient les caractéristiques suivantes représentent près de 1 300 000 personnes en France (soit, en 2018, 50 949 347 en France) étaient âgés de 18 ans ou plus). […]
Il est à noter que, dans la présente étude, aucun des participants qui ont rompu le contact n’a déclaré qu’il avait repris le contact complet. Cela peut être lié au fait qu’environ 90 % des participants qui ont récupéré des souvenirs pendant la thérapie croient que leurs souvenirs sont exacts.
Une conséquence que ni Patihis et Pendergrast (2019) ni cette étude n’ont explorée est celle des conséquences juridiques. Les prochaines études pourraient porter sur la fréquence à laquelle les participants déclarent qu’ils ont déposé une plainte en se fondant sur les souvenirs qu’ils ont retrouvés des mauvais traitements qu’ils ont subis dans le passé.
**(a) CNRS, LAPSCO, 34, Université Clermont Auvergne, Clermont-Ferrand, France;
*(b)Department ofPsychology, University of Southern Mississippi, USA, (il a travaillé plusieurs années dans le laboratoire d’Élisabeth Loftus à Irvine)
*((c)Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire, Université de Nantes, France