4/8 – La psychothérapie suggestive

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Faux souvenirs et manipulation mentale – La psychothérapie suggestive Imprimer Envoyer
Écrit par Brigitte AXELRAD
Dimanche, 07 Décembre 2008 01:00
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III – La psychothérapie suggestive


La suggestion est une technique psychique reposant sur la croyance que le psychothérapeute peut influencer par la parole un état affectif ou une conduite du patient. La suggestion hypnotique pratiquée par Charcot et Bernheim fut le modèle de la suggestion psychanalytique. Freud qui pratiqua l’hypnose, s’en sépara par la suite, mais la technique psychanalytique restera fortement suggestive.

Dans la pièce Souvenirs Fantômes, la suggestion thérapeutique opère de façon souterraine et voilée. Jenny ne la détecte pas, alors même qu’elle dirige en profondeur ses sentiments et sa nouvelle représentation de son passé.
Jenny : « Nom de Dieu, Valérie. Mais vous cherchez quoi ?
Valérie : Je ne cherche rien. C’est vous qui parlez.
Jenny : J’ai des parents merveilleux et des grands-parents merveilleux, bordel. Mais bon Dieu, vous cherchez quoi ?
Valérie : Je ne cherche rien. C’est vous qui parlez. » (p. 31)Valérie sait que pour que la suggestion marche, elle doit donner à Jenny l’impression qu’elle découvre elle-même, en toute liberté, la vérité.

Mais au lieu de s’assurer que cette vérité est bien celle de Jenny, elle lui en fabrique une de toutes pièces qui colle avec ses propres convictions. Pour la psychothérapeute, toute difficulté existentielle s’explique par un abus sexuel subi dans l’enfance. Pour elle l’absence de souvenir, le déni, en sont la preuve irréfutable.L’objectif ultime visé par Valérie est d’amener Jenny à mettre en accord sa révolte contre son père avec ses actes en la poussant à l’accusation directe et à la confrontation.

Elle applique ainsi le principe de cohérence sur lequel repose la manipulation. Robert Cialdini, dans Influence et Manipulation, montre l’efficacité de ce mécanisme pour diriger le comportement de l’individu :
« D’éminents théoriciens tels que Léon Festinger, Fritz Hieder, et Théodore Newcomb ont considéré le désir de cohérence comme un motivateur essentiel de notre comportement. (…)
Le désir d’être et de paraître cohérent fournit aux exploiteurs une arme d’influence sociale extrêmement puissante. Il peut même nous pousser à agir de façon contraire à nos intérêts. » (1990, p. 61)

Pour trouver cette nouvelle cohérence, Jenny renie ses anciennes convictions.C. B. Brenneis, psychologue et psychothérapeute américain, a étudié les effets de la suggestion sur les patients. [16]
Il a montré que la suggestion est capable du meilleur comme du pire :
« La suggestion opère dans la pratique analytique selon un continuum. L’implication active du thérapeute suggère et imperceptiblement sème une grande variété de croyances.
Pour la plus grande part ces influences suggestives sont hautement bénéfiques et ne soulèvent pas d’objections. C’est dans la croyance en l’existence et en la possibilité de récupérer des souvenirs réprimés d’événements traumatiques de l’enfance, que la suggestion devient plus problématique. » (Brenneis, 1997, p. 43)
Il met en relief que le patient en souffrance cherche un réconfort et un guide dans la figure d’« expert » et d’« autorité » du thérapeute.
Son désir est un désir d’« affiliation », qui implique « l’accord et l’acceptation des convictions du thérapeute. »
« Les deux participants gagnent ce qu’ils recherchent implicitement : le thérapeute, la confirmation de ses convictions et le patient, une clarté cognitive et son affiliation à une autorité qui l’accepte. » (Brenneis, 1997, p. 47)

Or, l’objectif du thérapeute peut-il être légitimement de « confirmer ses convictions » ? S’il interprète les causes du mal-être de ses patients en fonction d’un schéma général et préétabli, ne les trahit-il pas ? En outre, la « clarté cognitive » acquise par le patient est-elle une garantie de sa vérité ?
Brenneis dit qu’il y a un désir de séduction réciproque inhérent à la situation thérapeutique. Freud l’appelait transfert et contre-transfert. Il voyait dans le transfert la résurgence de la dépendance affective aux parents, dont l’analyse permettait de se libérer. Par sa nature même, la situation psychothérapeutique peut engendrer « une relation affective intense » entre le patient et son thérapeute.

En ce sens, J. Van Rillaer écrit :
« La notion freudienne de transfert ne se limite pas à l’idée d’un déplacement d’affects. Elle désigne également la relation affective intense qui apparaît dans une psychothérapie. […] Freud reconnaît également la réciprocité des phénomènes transférentiels en disant que le psychanalyste peut éprouver à l’égard du patient des passions troubles. » (Van Rillaer, 1980, p. 180-181)
Le patient peut alors être conduit par le psychothérapeute à projeter dans son enfance ses désirs actuels, pour ne pas les voir comme actuels, et pour en éviter les dangers.
D. Spence appelle ce phénomène « la metalepsis » ou « l’inclination de chercher des causes lointaines dans le passé à des événements présents. » (Spence, 1994, cité par Brenneis, 1994, p. 117)
Au fil de cette aventure thérapeutique, va s’enclencher ce que Brenneis appelle le « self reinforcing circle » ou « cercle d’auto renforcement ». L’empathie pathologique qui s’instaure alors entre certains thérapeutes et leur patient, comme entre Valérie et Jenny dans « Souvenirs Fantômes », risque d’engendrer une dépendance mutuelle durable.
J. Van Rillaer écrit :
« Si le thérapeute croit dans la théorie des sévices oubliés et que le patient lui fait confiance, ils « travaillent » ensemble jusqu’à produire les souvenirs recherchés. La thérapie devient alors une « folie à deux », un processus dans lequel deux personnes se renforcent mutuellement à croire des interprétations délirantes. » (Van Rillaer, 2003, p. 219)L’anecdote que raconte E. Loftus en constitue une illustration intéressante.

E. Loftus dit que cette histoire lui en a appris beaucoup « sur le potentiel abusif et destructeur des techniques psychothérapeutiques. »
Un jour, une psychothérapeute, Barbara, convaincue du bien-fondé des TMR, demande à E. Loftus de l’aider à rédiger un article traitant des souvenirs refoulés d’abus sexuels. Quelques temps plus tard, les deux psychologues se retrouvent pour discuter de certains aspects théoriques. À cette occasion, elles échangent beaucoup de choses personnelles et E. Loftus raconte à Barbara le souvenir d’avoir été molestée à l’âge de six ans par Howard, un baby-sitter. Elle dit qu’elle n’a jamais oublié, ni refoulé ce souvenir. Une semaine plus tard, elle reçoit une lettre de Barbara lui confiant que son histoire l’a beaucoup attristée et mise en colère. Ayant réfléchi à ce qui pourrait soulager la douleur d’E. Loftus, elle a pensé aux coutumes du sorcier vaudou :
« Sur une feuille séparée, Barbara avait dessiné la silhouette d’un corps masculin. Elle avait écrit HOWARD en caractères gras, au beau milieu de la poitrine de la figurine. Elle avait inséré une aiguille dans les mains et dans les parties génitales d’Howard ; les extrémités des aiguilles étaient coloriées en rouge vif.
Je fixai le dessin pendant assez longtemps, sans savoir quoi penser. Barbara essayait de m’aider, c’est tout ce que je savais. Mais ma douleur, semblait-il, était devenue la sienne et ma colère avait été avalée par elle. Était-ce là ce qui se passait parfois en thérapie ? Lorsqu’un patient exprimait ses peurs les plus profondes, le thérapeute s’en emparait-il pour les agrandir ou les recréer symboliquement ?
Je ne savais vraiment pas quoi penser de tout cela, mais je savais ce que Barbara avait fait : elle s’était emparée de mon souvenir, elle l’avait transpercé d’aiguilles, et l’avait fait saigner. » (1997, p. 293, 294)

Il apparaît qu’un bon nombre des patientes des TMR, venues consulter pour des troubles psychologiques légers, sombrent dans des dépressions sévères et sont internées en hôpital psychiatrique. Peut-être est-ce le sort logique de Jenny dans « Souvenirs Fantômes ». Car ne pas pouvoir différencier les fausses réalités des vraies est l’essence même de la folie.Les thérapies de la mémoire retrouvée sont dangereuses.J. Van Rillaer estime que le public doit en être averti :
« Il est important de porter à la connaissance du public que des recherches rigoureuses ont clairement établi qu’une proportion de thérapeutes fait plus de tort que de bien. Comme en médecine, certains traitements aggravent la situation. Les spécialistes parlent de « résultats négatifs » ou d’« effet de détérioration ». Les praticiens de la psychothérapie n’ont aucun intérêt à en parler.

La personne en psychothérapie qui, après dix séances, ne constate guère d’améliorations dans sa façon de réagir devrait réfléchir à la possibilité de changer de thérapeute et même de type de thérapie. La psychothérapie est une activité où le charlatanisme et le bluff sont plus facilement répandus que dans la plupart des autres professions. C’est un type de relation où des abus de pouvoir sont fréquents. Le public a le droit de le savoir et de se défendre. » (2003, p. 280)

E. Loftus montre comment l’influence opère dans le chapitre « Utopie régressive ». Elle recense les principales techniques utilisées par les TMR et en analyse les préjudices dont aucune n’est exempte. (1997, p. 191 à 232)
La première d’entre elles, et qui est au départ de la majorité des TMR, est la question directe : « Ne pensez-vous pas que vous avez été sexuellement abusée dans votre enfance ? » Elle fait son chemin plus ou moins rapidement dans l’esprit de la patiente, en quelques heures ou quelques mois.
Lorsque ces techniques ont produit les souvenirs attendus, la confrontation à l’abuseur est la garantie de la guérison, parce qu’elle est enfin l’occasion de dire la vérité.

La confrontation a des effets pervers :
« Le mal causé par ces confrontations, qu’elles se passent autour d’une tombe, d’un mariage ou en simple face-à-face, ne se limite pas à l’accusé, qui n’est pas forcément coupable de ce dont on l’accuse. Le mal causé à la survivante doit aussi être pris en compte. » (1997, p. 230)
L’objectif d’une psychothérapie est d’apporter à un patient en souffrance l’aide nécessaire pour qu’il la surmonte. Pour réussir, elle doit être à l’écoute du patient et ne pas interpréter sa souffrance à travers le prisme de ses propres convictions.

À quoi reconnaît-on qu’une thérapie remplit cette mission ?
Brenneis en donne quelques critères, mais il ne cache pas que toute thérapie suggestive s’appuie sur l’influence interpersonnelle. Cette influence peut être sous certaines conditions bénéfique.

1 – Comment reconnaître une bonne thérapie ?

Selon Brenneis, elle privilégie l’écoute plutôt que la suggestion, l’empathie raisonnable, plutôt que l’autorité directive :
« Il y a probablement un accord unanime pour dire qu’une bonne thérapie peut être caractérisée comme empathique, réfléchie et investigatrice : le patient dirige et le thérapeute pour une bonne part suit. Le thérapeute propose « dites m’en plus » ou bien « comment vous sentez vous ? » plutôt que « vous ressentez cela ».
Cette sorte de bonne thérapie ne met pas en œuvre de techniques expressément suggestives et de ce fait minimise les possibilités de suggestion. » (Brenneis, 1997, p. 153)
Cependant, l’influence existe toujours :
« La thérapie, parce qu’elle est mue par une relation interpersonnelle, ne peut pas éliminer l’influence ; une bonne thérapie justement parce qu’elle est bonne, crée un lien d’empathie et de ce fait renforce la possibilité d’influence. » (1997, p. 154)
Il semble raisonnable de dire que le principal objectif d’une psychothérapie devrait être d’amener l’individu à mieux affronter son existence présente, plutôt qu’à s’enfermer dans son passé.
J. Van Rillaer l’exprime dans un langage métaphorique :
« Aujourd’hui, beaucoup de psychothérapeutes se contentent d’écouter les voyages interminables des patients dans leur passé, agrémentés d’interprétations de rêves et d’actes manqués. Aux patients qui se sentent au fond d’un trou, ils prescrivent de « creuser », de s’enfoncer toujours davantage dans les « profondeurs ». Bon nombre de ces patients n’en sortent plus. Plutôt qu’une pelle, il leur faudrait une échelle, dont les principaux échelons sont l’apprentissage du pilotage cognitif et l’engagement dans des activités, qui permettent de modifier substantiellement des modes de pensée. Le but ultime de la psychothérapie n’est pas seulement d’éliminer des comportements problématiques, c’est d’apprendre à mieux gérer ses propres processus psychiques, à affronter efficacement des situations stressantes et à développer des activités épanouissantes. » (Van Rillaer, 2003, p. 253)E. Loftus montre la position délicate des psychothérapeutes :
« (…) même s’ils sont prêts à accepter la possibilité que des souvenirs soient inventés, ils se trouvent devant une grande difficulté. Ces praticiens consciencieux et compatissants s’investissent pour créer une atmosphère de sécurité et de confiance dans laquelle les patients peuvent exprimer leurs émotions et dire la vérité sur leur passé.» (Loftus, 1997, p. 103)En fin de compte, selon E. Loftus, au-delà du risque de perdre la confiance de son patient, le psychothérapeute craint, s’il se montre sceptique, de perdre confiance en sa propre psyché et d’ébranler sa propre stabilité intérieure.C’est ce que Brenneis appelle le « dilemme du thérapeute ».

2 – Le dilemme du thérapeute

D’après Brenneis, le thérapeute peut se trouver coincé entre l’obligation de se montrer « crédule » vis-à-vis de son patient, et celle de s’interroger avec un esprit critique sur ses croyances :
« Le doute, même pour un instant, rompt la confiance et casse la relation thérapeutique. En un mot le doute détruit. » (Brenneis, 1997, p. 107)
« Le doute est vu comme un refus de soutenir un patient qui a déjà été blessé par l’incrédulité.
Dans sa pratique clinique, le thérapeute est confronté à un véritable dilemme. S’il penche vers le doute en suivant le paradigme du croyant, il est menacé de trahison, s’il va dans le sens de la croyance, selon le paradigme de la suggestion, il favorise la fabrication des faux souvenirs. D’un autre côté, si on ne croit pas le patient, aucun souvenir ne peut être toléré, et si on le croit alors chaque souvenir qui apparaît est suspect. » (Brenneis, 1997, p. 59)

D’une certaine manière, nous nous heurtons tous à ce dilemme, dans nos relations personnelles, éducatives, familiales, amicales…

3 – Le choix du thérapeute

Existe-t-il un type repérable de psychothérapeutes susceptibles de pratiquer la thérapie de la mémoire retrouvée ?
Bien souvent, on ne sait pas quelle est la méthode utilisée par un psychothérapeute. On s’adresse à un spécialiste recommandé par un généraliste, par un ami… on sait que c’est un psychiatre, un psychanalyste ou un psychothérapeute. C’est écrit sur sa plaque. Mais quelle est sa méthode ?
Souvenirs Fantômes, avec le personnage de Valérie, suggère que seuls les psychothérapeutes peu ou mal formés, selon l’étiquette actuelle les « charlatans », sont susceptibles de pratiquer la thérapie de la mémoire retrouvée d’abus sexuels.
Cependant, le danger peut venir aussi des thérapeutes formés, reconnus par leurs pairs, recommandés par leurs confrères, et qui dénoncent les thérapies des faux souvenirs tout en les pratiquant, persuadés que les souvenirs auxquels ils parviennent sont vrais.

À partir de sa propre expérience, Brenneis écrit :
« Les « souvenirs retrouvés » de traumatismes ne se produisent pas uniquement avec des thérapeutes peu formés ou incontrôlés…
… Une importante minorité de cliniciens (des praticiens américains et anglais hautement qualifiés) croient qu’ils sont capables d’identifier des patients qui nient des histoires d’abus sexuels mais qui ont été « réellement » abusés dans leur enfance. Ces thérapeutes utilisent une grande variété de techniques de suggestion pour faire retrouver les souvenirs. Bien que cette minorité de thérapeutes reconnaisse la possibilité de souvenirs factices, il y a parmi eux une croyance largement répandue que les souvenirs retrouvés par leur propre méthode, sont valides. » (1997, Préface, xii)
C’est là une illustration du phénomène bien connu de « self excepting fallacy ».

J. Van Rillaer remarque :
« Beaucoup de gens ignorent à quel point des psys peuvent faire des dégâts, même quand ils ont des diplômes universitaires. » (Van Rillaer, 2003, p. 219)

Selon Michaël Yapko, c’est le pouvoir même du thérapeute qui, selon la manière dont il s’en sert, fait de lui un bon ou un mauvais thérapeute :

« La thérapie suppose nécessairement d’exercer une influence. Une réalité fondamentale de la pratique clinique est que celui qui a du pouvoir thérapeutique a aussi le pouvoir d’être antithérapeutique. Des gens peuvent-ils être amenés à adopter des croyances qui leur sont vraiment néfastes ? Oui. Les gens peuvent-ils convaincre d’autres ou se convaincre eux-mêmes que des événements inexistants se sont produits ? Assurément. » (Yapko, 1995, p. 30)

4 – La suggestion

La suggestion thérapeutique est d’autant plus efficace qu’elle est imperceptible.

C’est ce que montre Pascal de Sutter dans « Les nouveaux psys » :

« Si, spontanément, un patient lui parle d’un traumatisme infantile, il (le thérapeute) creusera cette piste en profondeur. En revanche, si le patient lui affirme avoir eu une enfance heureuse et banale, il restera sur sa faim. « Êtes-vous sûre que votre enfance était si heureuse ? Vous dites ne jamais avoir subi de trauma sexuel dans l’enfance, mais n’est-ce pas plutôt que vous ne vous en souvenez pas ? » La suggestion du psy est bien entendu rarement aussi évidente. La plupart du temps, elle n’est même pas consciente. Elle peut être non verbale : un toussotement, un froncement de sourcil. Si un thérapeute se met à prendre subitement des notes chaque fois que la patiente aborde une question sexuelle, il induit l’idée que les événements sexuels sont plus importants que les autres. Chacun sait combien un patient malheureux est fragile et a « envie » de plaire à son thérapeute ; tous les patients ont besoin d’écoute et d’attention. Dès lors, si le thérapeute a envie d’entendre des histoires d’abus sexuels infantiles, il les entendra. Et s’il ne les entend pas durant les premières séances, des souvenirs « refoulés » apparaîtront un peu plus tard, de plus en plus clairs, de plus en plus nombreux, de plus en plus précis… » (2008, p. 281)

La suggestion thérapeutique est redoutable, car elle s’exerce dans le contexte de la relation thérapeutique où domine la confiance dans le savoir-faire et dans l’autorité du thérapeute.

L’expérience sur la soumission à l’autorité de Milgram menée à l’Université de Yale, reprise dans diverses universités avec la participation d’un millier de sujets, vérifie ce phénomène. À une très grande majorité, les gens font ce qu’on leur demande de faire sans tenir compte de la nature de l’acte prescrit et sans être réfrénés par leur conscience dès lors que l’ordre leur paraît émaner d’une autorité légitime. Les symboles propres à la thérapie, le cabinet du thérapeute, son savoir, son écoute, la confidentialité… remplacent ceux de la blouse blanche et du laboratoire, et sont aussi efficaces pour induire la soumission du patient. Déposer le fardeau de ses difficultés existentielles sur les épaules d’un autre, le père, avec la bénédiction du thérapeute peut être ressenti comme la solution acceptable.

E. Loftus exprime le regret que les séances de psychothérapie ne soient pas enregistrées, car cela permettrait de mieux étudier les mécanismes de l’influence :

« Les choses seraient bien différentes si les thérapeutes enregistraient ou filmaient chaque séance. On saurait peut-être dans quelle mesure un thérapeute peut influencer la pensée de son patient par sa manière de formuler ses questions, ses gestes, ses regards ou ses silences. » (1997, p. 178)

Pour admettre cette pratique, il faudrait que le thérapeute soit conscient que l’étude objective de l’influence est cruciale.

Comment accorder cela avec la confidentialité due au patient…

Cette question devrait être l’objet d’une réflexion des spécialistes qui ont compris où est le véritable intérêt de ceux qui attendent d’eux une aide psychologique.

Aux États-Unis, le phénomène des faux souvenirs a été étudié sur un plan sociologique.


Notes

[16] The « Lost in the mall » technique, ou technique de « L’enfant perdu dans un centre commercial », (1997, p. 11-145).

Il n’est évidemment pas possible de reproduire pour un chercheur une situation comparable à celle d’un abus sexuel. Aussi, E. Loftus eut l’idée de mettre sur pied une expérience vraiment traumatisante pour un enfant : perdre ses parents dans un centre commercial.
Le principe était le suivant : « On racontait à des sujets adultes une série d’aventures survenues durant leur enfance ; toutes étaient vraies sauf l’anecdote du centre commercial. Dans cette anecdote, on précisait aux « cobayes » qu’à l’âge de cinq ans ils s’étaient perdus pendant longtemps et avaient été recueillis par une personne âgée. 25% des sujets se remémorèrent cet épisode et l’enrichirent même de détails précis sur l’apparence de la personne qui les avaient aidés. Mais tout cela n’était jamais arrivé. Elizabeth Loftus avait enfin démontré qu’une personne adulte pouvait construire de toutes pièces de faux souvenirs très élaborés d’un événement traumatisant de l’enfance. D’autres chercheurs reproduisirent l’expérience avec de faux souvenirs infantiles de noyade, d’attaques d’animaux ou d’autres circonstances très stressantes. » (Pascal de Sutter, 2008, p. 284)
Pascal de Sutter est professeur à la Faculté de Psychologie de l’Université de Louvain-la-Neuve et chercheur en psychologie appliquée.

faux souvenirs mémoire manipulée