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Faux souvenirs et manipulation mentale – Interview d’Arnold Wesker

Écrit par Brigitte AXELRAD
Dimanche, 07 Décembre 2008 01:00

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Interview d’Arnold Wesker


Pour mieux saisir la portée de son œuvre, j’ai interrogé Arnold Wesker sur le sens qu’il avait voulu lui donner. Il m’a répondu ainsi, avec simplicité et lucidité :

Brigitte Axelrad – Pourquoi avez-vous appelé votre pièce « Denial » (« Le déni ») ? Ce titre a été traduit en français par « Souvenirs Fantômes ». Êtes-vous d’accord avec cette traduction ?

Arnold Wesker – J’ai appelé la pièce « Denial » parce que c’est un mot qui peut être appliqué à plusieurs niveaux. La thérapeute dit à la fille qu’elle est en état de déni. Puis quand elle cède à la suggestion insidieuse de la thérapeute d’avoir été abusée par ses parents, Jenny entre dans un nouvel état de déni : elle dénie que ses souvenirs sont faux. Elle accuse sa sœur d’être en état de déni et bien entendu elle croit que ses parents sont en état de déni. Le déni est un mot qui est constamment utilisé dans le processus thérapeutique et donc dans la pièce. C’est aussi un mot qui peut être utilisé tout au long de la vie. Des gens tombent amoureux avec une certaine idée d’eux-mêmes, puis ils passent leur vie à nier que cette idée d’eux-mêmes est fausse. Je connais une jeune femme qui adore faire les boutiques. Elle achète constamment des choses et ainsi sa maison est pleine de sacs en plastique remplis d’affaires qu’elle n’a jamais ouverts et qu’elle a oubliés. Il s’agit d’une maladie mais elle nie être affligée de cette maladie. « Souvenirs Fantômes » m’a semblé être un titre raisonnable pour la pièce. Il n’a pas le sens de déni, je sais, mais il se réfère à une autre expression qui décrit ce triste procédé. Il s’agit du « False Memory Syndrome ». « Souvenirs Fantômes » pourrait marcher en anglais, mais le mot « faux » est plus fort et le mot « déni » encore plus fort. On m’a affirmé qu’il n’y avait pas de mot en français qui colle avec le mot « Denial ». Les traducteurs ne sont JAMAIS d’accord. C’est un sujet sensible dans le domaine littéraire.

B. A. – Quand avez-vous créé cette pièce et quelle était votre motivation pour écrire sur ce sujet ?

A. W. – J’ai commencé à prendre quelques notes pour cette pièce en mars 1996. J’ai fait douze ébauches et pour finir la Première a eu lieu au Théâtre Old Vic à Bristol, le 16 mai 2000.

À la base de cette pièce, il y a l’idée que m’a donnée une de mes vieilles connaissances. Il m’a parlé d’un couple de parents de son entourage dont la fille s’est retournée contre eux. Je ne connaissais rien du syndrome des faux souvenirs mais à partir des quelques détails qu’il m’a racontés au téléphone, j’ai su que cela m’intéressait. Je pouvais entrevoir le thème du « thérapeute manipulateur ». J’ai du mépris pour toutes les sortes de manipulateurs : les prêtres, les politiciens, les officiers de l’armée. J’ai rencontré le couple et écouté leur histoire qui devint le canevas brut de la pièce. J’ai fait des recherches sur le sujet, lu des livres pour et contre, parlé avec un journaliste spécialisé dans les affaires qui sont allées jusqu’au tribunal.

B. A. – Vous semblez connaître très bien tous les aspects : les sentiments de la jeune victime, Jenny, la stratégie de la thérapeute et la façon dont elle s’y prend pour obtenir le résultat escompté dans la tête de Jenny, le double langage de la thérapeute, l’un avec Jenny, l’autre avec la journaliste. Et enfin la surprise et la douleur des parents de Jenny. Comment avez-vous fait pour avoir une connaissance aussi approfondie du cas ?

A. W. – Le couple que j’ai rencontré a décrit de façon très vivante et colorée ce qui leur est arrivé à eux-mêmes et aux autres parents, et puis j’ai lu des livres, le reste vient de mon imagination. Je suis heureux que le résultat corresponde aux expériences que vous connaissez.

B. A. – À votre avis la thérapeute est-elle guidée plus par l’idéologie, l’argent ou par autre chose. Est-elle honnête ?

A. W. – Je pense que la thérapeute est guidée par le profond besoin de prendre le contrôle des existences, même si elle peut avoir commencé par éprouver de la colère envers les abus sexuels avérés sur de jeunes enfants. Et il faut bien admettre qu’il y en a beaucoup. La thérapeute est honnête parce qu’elle est persuadée qu’elle est du côté du bien.

B. A. – Dans quels pays votre pièce a-t-elle été jouée ?

A. W. – Les seules représentations de ma pièce ont eu lieu à Bristol en Angleterre (2000), Mayence en Allemagne (2001) et Paris (2004). La vidéo a été présentée à la télévision plusieurs fois.

B. A. – Savez-vous quel accueil votre pièce a reçu et quels étaient les commentaires ?

A. W. – La pièce a été très bien reçue en Angleterre, je n’ai pas eu d’écho de l’accueil en Allemagne. L’accueil de la production à Paris a été excellent avec toutefois une exception importante, un magazine TV dont j’ai oublié le nom, mais qui a une forte influence. La journaliste a compris la pièce, l’a détestée en disant que c’était une pièce dangereuse et que Wesker était un écrivain dangereux. Elle avait raison ! Mais sa critique a éloigné des gens.

B. A. – Le sujet semble difficile et l’objet de controverse. Savez-vous pourquoi ?

A. W. – C’est un sujet controversé, je pense que c’est lié à l’émancipation féminine d’une société présumée patriarcale. Ainsi l’enfant, et plus spécialement la fille, doit toujours avoir raison. Ceci explique pourquoi le film danois « Festen » fut un succès, le père était le coupable ! La pièce « Souvenirs Fantômes » (« Denial ») est dangereuse et sujette à controverse parce qu’elle envisage la possibilité que la fille se trompe et trouve avec l’aide de la thérapeute une explication aux échecs de sa vie. Le couple sur lequel est basé la pièce souffre encore beaucoup.

B. A. – Pensez-vous qu’il peut y avoir un « happy end » ? Je veux dire : la réconciliation entre les parents et leur fille est-elle possible ? Êtes-vous optimiste et pourrait-on donner confiance aux parents accusés pour l’avenir ?

A. W. – Je ne peux pas répondre à cette question. Chaque cas est différent. Certains enfants se rétractent et avouent qu’ils ont menti sous l’influence du thérapeute. D’autres s’en tiennent à leurs faux souvenirs que, bien entendu, ils ne pensent pas être faux.

B. A. – Nous ressentons que votre pièce peut être très utile à tous pour comprendre le problème ainsi qu’aux parents accusés pour leur faire découvrir que leur situation n’est pas unique, et les aider à surmonter leurs difficultés.

B. A. – Quelle est votre conclusion et quel serait votre conseil ?

A. W. – J’ai une expérience limitée des thérapeutes et de la thérapie. Ceux que je connais semblent tenir à leur théorie comme à des vérités religieuses et refusent de reconnaître que la psychothérapie est une technique imprécise. J’ai un neveu qui a abandonné ses études pour cette raison précisément – l’imprécision et le refus des collègues de reconnaître l’imprécision.
Je n’ai pas de conseil à formuler. Écrire « Denial » était la seule contribution que je pouvais apporter au débat. Cela me fait de la peine que cette pièce n’ait pas été plus largement jouée.
Le théâtre est supposé être, comme tous les arts, le foyer du courage et de la vérité. Le politiquement correct a pris trop souvent le dessus sur le courage. »

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