L’effet Mozart : rêve ou réalité ?

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L’effet Mozart : rêve ou réalité ?

par Brigitte Axelrad – SPS n° 294, janvier 2011 publié par l’AFIS

D’après l’article de Bulletins électroniques.com, intitulé « L’effet Mozart : du rêve américain à la démystification »1, les effets positifs de l’écoute de la musique classique sur les capacités cognitives et, plus particulièrement sur la représentation spatiale, viennent d’être l’objet d’une remise en question.

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La méthode Tomatis

Au milieu du siècle dernier, le Dr Alfred Tomatis, médecin ORL, chirurgien, psychologue et inventeur, surnommé « docteur Mozart », avait prétendu que les hautes fréquences étaient bénéfiques et les basses fréquences néfastes pour le corps humain. Il avait remarqué que les premières foisonnaient dans les œuvres de Mozart. Il décrivit ensuite son expérience dans un livre Pourquoi Mozart ? 1991). Sur le site Tomatis, le fondateur de la méthode Tomatis est présenté de façon très élogieuse : « Tomatis était avant tout un clinicien hors pair doté d’une intuition exceptionnelle […] ». Mais dans Healing or Stealing, Jean-Marie Abgrall l’appelle le « gourou de l’oreille d’or ». Il écrit : « D’après les spécialistes en ORL, le système Tomatis tient plus du pèlerinage religieux à Lourdes que d’une réalité scientifique et thérapeutique. »2 Il montre que, comme Bettelheim l’avait fait quelques années avant lui pour l’autisme, Tomatis joua sur les sentiments de culpabilité des parents et futurs parents, en les rendant responsables de la façon dont l’enfant aurait été stimulé par les voix maternelle et paternelle, dans le ventre de sa mère. D’après sa théorie, les troubles psycho-affectifs de l’enfant seraient dus aux perturbations sonores auxquelles il aurait été soumis, particulièrement aux éclats de voix au cours des disputes des parents pendant « la longue nuit utérine », ce qui expliquerait les difficultés de langage et de communication de l’enfant autiste3.

L’effet Mozart

En 1993, une étude4 conduite par Frances H. Rauscher, violoncelliste et psychologue à l’Université de Whoshoa (Wisconsin), et Gordon Shaw, physicien à l’Université d’Irvine (Californie), montra qu’écouter Mozart, et plus particulièrement la Sonate pour deux pianos en ré majeur (K. 448), améliorait les capacités à résoudre des tâches d’intelligence spatiale. Cet effet fut baptisé « effet Mozart ». Rauscher et son équipe soumirent 36 étudiants en psychologie à trois conditions expérimentales d’une durée de dix minutes chacune. Un premier groupe devait écouter l’Allegro con spirito de la fameuse sonate de Mozart, un deuxième écoutait une cassette audio avec des consignes de relaxation et un troisième gardait le silence dans une pièce où il n’y avait aucun bruit. Pendant les quinze minutes qui ont suivi cette période, les chercheurs ont soumis les trois groupes à des tests de raisonnement spatial, abstrait et visuel, issus du test d’intelligence de Stanford-Binet. Les résultats ont été convertis en QI. Le groupe « Mozart » a obtenu un QI supérieur à celui des groupes « relaxation » et « silence ». Par la suite, ces résultats, qui reposaient essentiellement sur des observations comportementales et qui n’avaient pas fait l’objet d’une analyse rigoureuse, ont été publiés dans la revue Nature. L’« effet Mozart » n’avait pourtant duré que 10 ou 15 minutes ! Son impact sur la communauté scientifique dura plusieurs années.

Cet article scientifique suscita un grand intérêt : plus de 250 ans après sa mort, Wolfgang Amadeus Mozart accomplissait le prodige d’améliorer le QI des enfants ! Peu après la diffusion des premiers résultats sur l’« effet Mozart », les gouverneurs du Tennessee et de la Géorgie élaborèrent un programme selon lequel chaque nouveau-né devait recevoir un CD de Mozart. En mai 1999, la National Academy of Recording Arts and Sciences Foundation envoya à un grand nombre d’hôpitaux des CD gratuits de musique classique. Shaw et Rauscher créèrent leur propre institut : le Music Intelligence Neural Development Institute (ou M.I.N.D.)5. Un site web – MUSICA6 – fut créé pour suivre tous les développements dans le domaine. On y retrouve une section réservée exclusivement à l’« effet Mozart ».

Cependant, ces résultats se révélèrent difficiles à reproduire, ce qui conduisit à des conclusions contradictoires.

Kenneth Steele, professeur de psychologie à la Appalachian State University, et John Bruer, président de la James S. McDonnell Foundation à St. Louis, suivirent les protocoles établis par Shaw et Rauscher sans découvrir le moindre « effet Mozart » chez les 125 étudiants qu’ils testèrent. Leurs résultats parurent dans le numéro de juillet 1999 de Psychological Science. En définitive, selon eux, rien ne prouvait qu’écouter du Mozart soit bénéfique pour l’intelligence.

Une légende qui rapporte

La légende de l’« effet Mozart », le sixième des Cinquante grands mythes de la psychologie populaire7, selon le livre de Scott O. Lilienfeld, vient de tomber cet été. Une équipe de recherche composée de Jakob Pietschnig8, Martin Voracek9 et Anton K. Formann, de l’Institut de recherche fondamentale en psychologie de l’Université de Vienne, a publié les résultats de sa méta-analyse de l’« effet Mozart », dans la revue Intelligence10. Ces chercheurs ont mené une étude statistique de l’ensemble de la littérature scientifique disponible concernant 39 études avec plus de 3000 tests de personnes sur ce thème. Leur conclusion est qu’aucun lien précis n’existe entre l’écoute de musique classique et l’amélioration de la représentation spatiale…

Il reste que les médias et le marketing ont tiré profit depuis longtemps de cette aubaine et fait de l’« effet Mozart » un véritable phénomène de société. En 1997 et en 2000, des ouvrages de vulgarisation sur les effets positifs de l’écoute de musique classique sur la santé, l’apprentissage et d’autres domaines de la vie courante ont fleuri. Un site « Mozart effect »11 a été créé, qui vend des livres, des CD en ligne et recense un grand nombre d’articles sur le sujet. Dans la foulée, on a diffusé de la musique classique à des roses, pour favoriser leur croissance et dans les entreprises, pour augmenter la productivité. Enfin, en utilisant une banque de données électronique, Factiva12, Bangerter et Heath13 ont répertorié 478 articles traitant de cet effet, depuis la première étude « scientifique » de 1993, jusqu’en 2002.

Plus possible de se bercer d’illusions, rêver en écoutant de la musique ne nous rendra pas plus intelligents. Jakob Pietschnig conclut : « Je recommande à tous d’écouter du Mozart mais sans s’attendre à ce que cela améliore les facultés cognitives ».14 Toutefois, ces conclusions ne concernent que l’écoute de la musique, non la pratique d’un instrument.


Notes


1 http://www.bulletins-electroniques…..

2 J-M Abgrall, 2001, Healing or stealing ? Medical Charlatans in the New Age, New Yorkhttp://docs.google.com/viewer?a=v&a….

3 Ibidem.

4 Intelligence, Volume 38, Issue 3, May-June 2010, Pages 314-323.

5 http://www.mindinst.org/.

6 http://www.musica.uci.edu/.

7 http://www.amazon.fr/Great-Myths-Po….

8 Univ.-Ass. Mag. Jakob Pietschnig – Institut de recherche fondamentale en psychologie de l’Université de Vienne, Liebiggasse 5, 1010 Wien

9 Privatdoz. MMag. DDDr. Martin Voracek – Institut de recherche fondamentale en psychologie de l’Université de Vienne, Liebiggasse 5, 1010 Wien

10 Publication Science Direct : Pietschnig, Jakob, Voracek, Martin & Formann, Anton K. (2010). Mozart effect -Shmozart effect : A meta-analysis. In : Intelligence (2010). Plein texte sous :http://dx.doi.org/10.1016/j.intell…..

11 http://www.mozarteffect.com/index.html.

12 http://bibliotheque.ens-lsh.fr/1188….

13 http://www.gsb.stanford.edu/news/re….

14 http://www.bulletins-electroniques…..

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