La « Vallée de l’étrange »

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La « Vallée de l’étrange »

L’inquiétante étrangeté

par Brigitte Axelrad – SPS n° 299, janvier 2012 publié par l’AFIS

 Avez-vous eu parfois la chair de poule au musée Grévin devant les personnages de cire ? Vous êtes-vous senti mal à l’aise devant des zombies ou des squelettes qui parlent, des prothèses de membreshumains dans un hôpital, un robot anthropomorphique ou encore des films d’animation où les personnages miment les humains ? Alors vous avez probablement été victimes de la « Uncanny Valley ». [1]

Hollywood s’est emparé de ces personnages à stature humaine tels Shrek, Avatar et, plus récemment, Tintin. Les producteurs de Shrek ont appris leur leçon et le dessin de la princesse Fiona est de ce fait plus proche du dessin animé, pour éviter la « Uncanny Valley ». Final Fantasy, réalisé la même année que Shrek mais dont les personnages sont trop réalistes, avait provoqué le malaise des spectateurs et a été un échec.

C’est en 1970 que le roboticien Masahiro Mori a proposé une explication de la frayeur devant des robots qui ressemblent trop à des humains. Ce serait la même crainte que celle que nous avons devant un mort ou un malade. C’est lui qui l’a appelée : « Uncanny Valley ».

Dans l’« Uncanny Valley », notre réponse émotionnelle serait négative et serait encore accentuée parle mouvement des personnages. Mais Masahiro Mori n’a jamais présenté de données ou de chiffres pour étayer son hypothèse.

Cynthia Breazeal, directeur du Personal Robots Group au MIT, affirme : « il n’a pas de preuve scientifique, c’est quelque chose d’intuitif ». [2]

La recherche sur les causes du malaise.

Une équipe internationale de chercheurs, dirigée par Ayse Pinar Saygin de l’Université de Californie à San Diego, a voulu savoir si la sensation de malaise était effectivement causée par quelque chose de plus profond dans notre cerveau.

L’étude par IRM fonctionnelle (IRMf) est publiée dans le Oxford University Press Journal Social Cognitive and Affective Neuroscience. Elle suggère que ce qui peut se passer serait dû à un décalage de perception entre l’apparence et le mouvement.

Les chercheurs ont testé 20 sujets âgés de 20 à 36 ans qui n’avaient aucune expérience du travail avec des robots.

Au cours de l’expérience, trois vidéos ont été présentées aux sujets pendant que leur cerveau était soumis à une IRMf. La première montrait de vrais humains avec un aspect biologique et avec un mouvement humain ; la deuxième, un robot à l’apparence mécanique et avec un mouvement mécanique ; et la troisième, un androïde ressemblant à un humain, avec un mouvement mécanique identique à celui d’un robot.

Les chercheurs ont remarqué que la réponse du cerveau la plus nette s’est produite au visionnage de l’androïde. En voyant l’androïde étrange, le cerveau s’est « illuminé ». L’étude précise que « les modifications observées se situent dans la région du cerveau qui connecte le cortex visuel (qui gère les mouvements) avec le cortex moteur, qui contient les neurones d’empathie (ou neurones miroirs), gérant nos capacités à percevoir les émotions. » [3] Le cerveau n’arriverait pas à faire le lien entre l’apparence robotique et les mouvements humains.

Le cerveau ne semble pas se soucier de l’apparence biologique ou du mouvement biologique en soi. Ce qu’il semble faire est de rechercher si ses attentes sont satisfaites, c’est-à-dire s’il y a harmonie entre l’apparence et le mouvement.

En d’autres termes, si cela ressemble à un être humain et se déplace comme un être humain, notre cerveau est satisfait. Si cela ressemble à un robot et agit comme un robot, notre cerveau est tout aussi satisfait. Dans ces deux cas, le cerveau n’a aucune difficulté à traiter l’information.

Le problème se pose lorsque – contrairement à notre attente – l’apparence et le mouvement sont en désaccord. Ce qui est le cas de l’androïde, comme l’explique Inga Kiderra, journaliste à l’université de San Diego. [4]

En fin de compte, les robots d’apparence humaine pourraient cependant être des outils précieux dans le domaine de la psychologie et des neurosciences, quand les chercheurs étudient les comportements de solidarité humaine ou encore des troubles comme l’autisme.

Ayse Pinar Saygin estime toutefois que ce serait raisonnable de tester l’influence sur le cerveau humain des robots ou des personnages animés, avant de dépenser des millions de dollars à leur développement. Cependant, elle suppose que si les robots à forme humaine deviennent de plus en plus courants, notre système perceptif pourrait se reprogrammer pour les accueillir comme de nouveaux partenaires sociaux. Peut-être même un jour serons nous capables de faire des robots humanoïdes que l’on ne distinguera que difficilement des êtres humains ?

Finalement, il nous restera à décider s’il est judicieux de fabriquer des robots qui nous ressemblent, si l’homme doit créer un être à son image et poursuivre son rêve de démiurge un peu fou, prouvant que le Golem n’est pas mort ! [5]

Ou, au contraire, si l’on peut envisager un avenir, à l’image de celui décrit par Isaac Asimov, où des robots humanoïdes intelligents pourraient être créés pour le plus grand bien de l’humanité ?[6]

[1] www.npr.org/templates/story/story.p…

[2] www.popularmechanics.com/technology…

[3] www.slate.fr/lien/41329/cerveau-and…

[4] http://ucsdnews.ucsd.edu/newsrel/so…

[5] Sciences et Golems

[6] Dans Le Monde du 12-11-2011, on lit : « Les experts militaires évoquent une véritable « révolution ». La robotisation du champ de bataille s’accélère. La technologie est mûre pour bouleverser la guerre : car la perspective, désormais à portée, est celle d’une automatisation de l’usage de la force, de l’acte de tuer. Seraient balayées les lois de l’écrivain Isaac Asimov exigeant qu’un robot ne puisse porter atteinte à un être humain et doive obéir aux ordres qu’il lui donne. Les démocraties l’accepteront-elles ? ».
www.lemonde.fr/societe/article/2011…

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