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Rappel du sujet de la controverse
Le site Psychotémoins du CNRS-INIST a publié le 08/01/2014 un article : Souvenirs retrouvés et faux souvenirs : la réconciliation ?
Je cite : « La communauté scientifique s’est rapidement emparée du problème. Si certains cliniciens et chercheurs tenaient fermement à la réalité des souvenirs retrouvés, d’autres émettaient de sérieux doutes, arguant que ces souvenirs avaient pu être produits par les techniques suggestives employées par les thérapeutes. La controverse a été particulièrement vive, déclenchant une véritable « guerre des souvenirs ». […] Elizabeth Loftus, l’une des psychologues américaines parmi les plus critiques envers les thérapies des souvenirs retrouvés, décrit fort bien l’ambiance belliqueuse des premières années de la polémique. […]
Où en est le débat aujourd’hui ?
L’Université de Nebraska-Lincoln a organisé, en avril 2010, dans le cadre de ses symposiums sur la motivation, une rencontre entre plusieurs experts de la question. […] Robert Belli, qui a coordonné la rencontre, reconnaît qu’aucun consensus ne s’est vraiment dégagé concernant la nature des souvenirs retrouvés. Toutefois, les spécialistes ont enfin pu discuter de leurs points de vue de manière ouverte et apaisée. »
Le mémoire des élèves de Sciences Po Paris
En 2013, six élèves de Sciences Po (Eric ABRAVANEL, Cécile MAINGOT, Elliot LEPERS, Célia REVY, Éloïse STARK, Christina STUART) ont rédigé un mémoire de 37 pages sur le sujet intitulé : CARTOGRAPHIE DE LA CONTROVERSE Faux souvenirs ou souvenirs retrouvés. Ils ont procédé à une analyse fine et complète du sujet dont je vais rendre compte ici . J’ai extrait l’essentiel de ce mémoire pour nos lecteurs et ajouté les éléments les plus récents de cette controverse.
Le fonctionnement du cerveau, la création d’un souvenir
Qu’est-ce qu’un souvenir ?
On se concentre sur les souvenirs liés à un éventuel traumatisme. En psychologie cognitive, il s’agit de la mémoire épisodique, mémoire des événements vécus et de leur contexte. La mémoire épisodique se différencie de la mémoire collective, ou sémantique (la mémoire des concepts). Elle contient 3 phases : l’encodage, le stockage et la récupération de l’information.
Encodage : c’est la transformation de l’information en représentation mnésique. Lorsque l’on reçoit de l’information par l’intermédiaire de nos organes sensoriels, les signaux déclenchent des activations neuronales. Ces activations se représentent physiquement par des trains d’impulsions électriques. Ils ont une organisation spatiale (la localisation des neurones qui émettent des décharges) et temporelle (la fréquence, le rythme et les cohérences de ces décharges). Ces motifs d’activité se propagent à différentes aires cérébrales, dites « associatives », où se combinent les informations de diverses modalités sensorielles : par exemple, dans ces aires, sont associés les motifs correspondant aux stimuli visuels, à une odeur particulière, à une impression (il faisait chaud, ou il pleuvait), à une émotion. L’ensemble de ces représentations complexes forme le souvenir qui est alors perçu comme un tout.
Stockage: le souvenir de l’événement peut alors devenir un élément de la mémoire à long terme. Le stimulus induit un signal de transduction (communication entre les neurones). Lorsque le signal atteint le noyau du neurone, il va activer de l‘ARN (facteur de transcription) qui conduit à la synthèse de protéines. Les protéines à leur tour changent la plasticité cellulaire. Le stockage implique une communication entre les structures cérébrales (comme un circuit) qui relie le lobe temporal (avec l’hippocampe) et les autres parties du cerveau. Pour la mémoire épisodique l’hippocampe est un élément clé. Il permet la réorganisation et renforcement des connexions entre les neurones.
→ On sait que l’injection d’une molécule qui bloque la synthèse de ces protéines empêche la formation d’un souvenir à long terme (mais n’affecte pas la mémoire à court terme). Il est donc possible qu’un processus biologique bloque le stockage d’un événement dans la mémoire à long terme, mais ce processus n’a jamais été démontré in vivo.
Récupération: c’est la réactivation et la reconstruction des représentations internes emmagasinées. Cette phase est très complexe, car il faut à la fois accéder à la trace mémorielle correcte, mais aussi trier les informations utiles par rapport à cette trace. C’est dans cette phase que les distorsions et illusions sont produites, notamment les faux souvenirs. Mais la récupération peut également être facilitée par la simulation d’un contexte similaire à l’événement. C’est ce que font les thérapeutes.
A cause de sa plasticité, on ne peut pas considérer la mémoire comme quelque chose de fixe. Elle est modifiable et malléable. Pour que l’on puisse avoir une mémoire aussi extensive, cette caractéristique est indispensable. Mais elle nous pose aussi le problème de la fiabilité des souvenirs. Il est parfaitement possible biologiquement que le cerveau forme des faux souvenirs.
L’objet de la controverse
La résurgence tardive de souvenirs par un patient et l’implantation possible par un thérapeute de ces souvenirs sont au cœur d’une controverse. Ils ont tenté de répondre aux questions suivantes, concernant ces « souvenirs retrouvés » :
1- Est-il possible qu’un psychothérapeute implante un faux souvenir chez un patient ?
Le consensus entre les neurologues et les neuroscientifiques est total sur la capacité du cerveau à former de faux souvenirs.
Ils pensent qu’il est possible, lors de la récupération d’un souvenir, que le souvenir ait été modifié ou que les méthodes de récupération (odeur, bruits, visages) aient pu biaiser le tri d’information importantes du souvenir ou éventuellement le changer.
2- Qu’est-ce que les souvenirs induits ?
On utilise le terme de “faux souvenirs induits “ pour parler d’un éventuel abus de la psychothérapie. Il s’agit du fait d’induire, volontairement ou pas, par les entretiens psychothérapeutiques des faux souvenirs d’abus en général.
On nomme parfois ce phénomène « syndrome des faux souvenirs ». Certaines psychothérapies prétendent, en effet, faire resurgir à la mémoire des patients des souvenirs qu’ils auraient oubliés de traumatisme enfantins (généralement sexuels). Le thérapeute émettrait des hypothèses et inviterait son patient à se souvenir, ou peut-être à inventer des souvenirs sans qu’il s’en rende compte.
3- Est-il possible de retrouver des souvenirs 10 ans ou plus après les avoir oubliés ? C’est tout l’objet de la controverse.
Les acteurs de la controverse
A partir de 2005, le débat se concentre autour de deux pôles :
- le pôle de la biologie, avec des termes neurobiologiques et médicaux,
- le pôle de certains thérapeutes, avec des termes de la thérapie et de la psychanalyse. On distingue les acteurs suivants :
– Les neurologues et scientifiques des neurosciences sont formels. Il est impossible de prouver biologiquement qu’un souvenir est faux. Qu’il s’agisse des techniques de visualisation ou des modèles scientifiques communément acceptés, rien ne nous permet de différencier un vrai d’un faux souvenir en biologie. Le modèle communément accepté de fonctionnement de la mémoire et les techniques d’imageries ne permettent pas aux scientifiques d’avancer des arguments biologiques à leur position. Les scientifiques restent donc assez neutres. Ils défendent la capacité de créer des souvenirs à long terme mais aussi la capacité de récupérer des souvenirs avec des “aides” (simulations de re-créations du contexte de l’événement).
L’incertitude persistant dans le domaine biologique, le débat s’est retrouvé phagocyté par de nouveaux acteurs :
– Les psychiatres sont des médecins. Leur argumentaire est par conséquent majoritairement porté sur des faits, des preuves scientifiques (sauf en France où beaucoup de psychiatres sont encore psychanalystes). Mais au plan international, la quasi-inexistence d’arguments scientifiques pour résoudre la controverse place les psychiatres dans la même position que les neurologues, celle de la prudence.
– Les psychanalystes et les psychologues se positionnement différemment des psychiatres, bien qu’ils soient très loin de former un groupe homogène. Certains sont convaincus de l’existence des souvenirs retrouvés et de la capacité pour un adulte de faire resurgir des éléments de son enfance à priori “oublié”. Ce petit groupe de convaincus constitue d’ailleurs un des groupes d’acteurs le plus actif de la controverse.
– Les psychothérapeutes qui sont méfiants à l’égard des thérapies impliquant des souvenirs retrouvés sont nombreux. Bien qu’ils ne soient pas réunis au sein d’une association, ils se regroupent autour d’une psychologue américaine devenue spécialiste internationale du sujet, Elizabeth Loftus (Université d’Irvine, Californie).
Mais l’écart qui sépare la nature des arguments ne permet pas de faire avancer l’issue de la controverse dans un sens ou dans un autre, et, en l’absence de nouvelles données scientifiques, tous les acteurs campent sur leur position. Alors comment la justice se positionne-t-elle dans cet affrontement entres thérapeutes et scientifiques?
La justice est un acteur forcé de la controverse
C’est par elle qu’est né le débat. Elle est donc obligée de trancher.
La controverse des faux souvenirs est spécifique : elle est ancrée dans la justice, dans l’acte pénal. Il faut absolument trouver une vérité, même si elle est construite. Chaque cas de controverse doit se clore même si la « grosse controverse » ne peut pas encore se clore. Il faut partir du détail, du cas par cas, pour pouvoir la résoudre. Or c’est à la justice de résoudre le cas par cas.
La différence majeure entre le cas américain et le cas français
Aux États-Unis, le nombre de procès ouverts depuis 1990 concernant des souvenirs retrouvés s’estime à plusieurs centaines. La justice a donc fini par se positionner dans la controverse.
Mais au fur et à mesure que les neurologues, les psychiatres et les associations civiles soulevaient le problème de la fiabilité de ces souvenirs, les tribunaux se rangeaient du côté de la prudence et les peines devenaient plus mesurées. Le pourcentage d’acceptation de demandes d’ouverture de procès basés sur des souvenirs retrouvés a alors chuté drastiquement **.
Le nombre de demandes d’ouverture de procès a alors baissé lui aussi.
En 1992, la False Memory Syndrome Fondation (FMSF) décide de mener un projet d’enquête. Elle analyse la réponse des tribunaux aux litiges portant sur la redécouverte présumée, généralement au cours de la psychothérapie, de la mémoire d’inceste et de maltraitance. En 1998, le projet avait accumulé suffisamment de données pour dresser un portrait graphique de l’évolution de la réponse des tribunaux face à ce genre de recours. L’enquête montre que les tribunaux ont, au début de la controverse, pris les accusations d’inceste basées sur des souvenirs retrouvés très au sérieux. Un certain nombre d’États ont même modifié leurs lois sur la prescription pour permettre aux adultes de porter plainte pour abus sexuel dans l’enfance de nombreuses années après que l’abus ait eu lieu. On demandait aux jurés de prendre en considération les témoignages non corroborés basés sur des souvenirs retrouvés qui avaient été prétendument réprimés pendant des années. Les accusés, qui se sentaient injustement accusés, avaient peu de moyens de se défendre face à ce nouveau type de « preuve ».
Mais au fur et à mesure que les neurologues, les psychiatres, et les associations civiles soulevaient le problème de la fiabilité de ces souvenirs, les tribunaux se rangeaient du côté de la prudence et les peines devenaient plus mesurées. Le pourcentage d’acceptation de demandes d’ouverture de procès basés sur des souvenirs retrouvés a alors chuté drastiquement. Le nombre de demandes d’ouverture de procès a alors baissé lui aussi.
Évolution du nombre de procès aux États-Unis :
Légende du graphique en français :
settled : réglé
dropped : abandonné
dismissed : rejeté
hung jury : jury sans majorité
for defendant : pour l’accusé
for plaintiff : pour le demandeur
En France, la situation est bien différente. Le premier procès ouvert contre un thérapeute pour “ manipulation mentale” a eu lieu en 2011, avec le procès Benoit Yang Ting. C’est la première fois que la justice française à affaire à ce genre de cas. Par conséquent, sa position est beaucoup moins tranchée que peut l’être celle de la justice américaine sur le sujet.
Les juristes français que nous avons rencontrés pensent d’ailleurs que ce serait une erreur que la justice française se positionne dans le réseau d’acteurs de la controverse des faux souvenirs, comme l’a fait la justice américaine.
Pour eux, la justice ne peut pas s’aider de la science, si celle-ci n’a pas statué clairement sur le sujet. La controverse est beaucoup trop ouverte.
– Les avocats s’autocensurent dans leur rôle “nous ne sommes pas médecins”.
– Les juges également, refusent de prendre parti dans la controverse globale des faux souvenirs et refusent de se considérer comme des acteurs.
– Malgré de nombreuses demandes de contact, nous n’avons pas réussi à obtenir l’interview d’un psychothérapeute.
Ici s’arrête le travail de l’équipe de Sciences Po
Un travail de qualité et une analyse pertinente
Vous pourrez lire la totalité du mémoire de Sciences Po. Ce travail s’est achevé en 2013. On reste confondu devant la qualité et la pertinence de cette analyse. Mais ce travail doit impérativement être poursuivi.
En France, trois affaires similaires citées dans le Figaro Madame étaient au cœur de l’actualité judiciaire en 2015 :
-Le premier, Benoit Yang Ting, psychanalyste, est un adepte de la mémoire retrouvée. Les témoignages sont instructifs. Il y a Bernard, consultant en management, qui raconte avoir perdu sa santé, sa fille et beaucoup d’argent, après être tombé entre les mains du psychanalyste. Ce dernier, disant s’inspirer de la psychanalyse freudienne et du cri primal de Janov, parvenait à induire de faux souvenirs chez ses patients. Pour Bernard, ce sera une tentative d’avortement de la part de sa mère, pour Sophie, avocate, ce sera un viol présumé de la part de son père sur elle et sa sœur.
-Le second, Jacques Masset, ex-agent de propreté devenu psychanalyste, prescrivait, lui, à prix d’or, des relations sexuelles multiples et violentes pour guérir de prétendues vieilles histoires d’inceste.
-Le troisième, Claude Sabbah, ancien médecin, est le fondateur de la BTEV (biologie totale des êtres vivants), un pseudo procédé miracle qui promet aux personnes atteintes de maladies graves d’identifier le conflit psychologique qui les a déclenchées.
Mais la tentative des sénatrices UDI de porter le délai de prescription de 20 à 30 ans, pour pouvoir agir en justice sur la foi de souvenirs revenus au bout de 30 ans d’oubli, a failli réussir.
Voici donc les informations réactualisées sur ce sujet.
Le projet de loi d’étendre en France le délai de prescription
Le Sénat a été invité, le 21 mai 2014, à se prononcer sur la proposition de loi de Mmes Muguette Dini et Chantal Jouanno modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles. Les auteures ont été convaincues par des militants féministes adeptes de la « mémoire dissociative traumatique ». Elles prétendent que les délais actuels de la prescription sont inadaptés pour les victimes souffrant d’amnésie traumatique.
Ont été entendus :
Médecins psychiatres :
–Mme Muriel Salmona, présidente de l’association « Mémoire traumatique et victimologie ».
–M. Louis Jehel, chef du service de psychiatrie et de psychologie médicale au CHU de la Martinique.
Association « Stop aux violences sexuelles » :
–Mme Violaine Guerin, endocrinologue-gynécologue, présidente de l’association.
A la lecture des débats au Sénat, j’ai noté les remarques suivantes :
1- Aucun autre expert, mettant en doute le credo de l’amnésie dissociative traumatique, n’a été sollicité. Cette pratique jette donc un doute sérieux sur l’objectivité du débat.
2- Quelles sont les preuves de l’ « amnésie dissociative traumatique » ? Ce concept a-t-il un fondement scientifique ou a-t-il été inventé pour donner une justification à la mémoire retrouvée ? En effet, ce vocable crée une confusion avec celui d’amnésie traumatique. L’amnésie traumatique peut se produire notamment à la suite d’un choc violent, physique ou psychologique, mais, en principe, cette amnésie est temporaire (habituellement de quelques jours ou quelques semaines).
Au cours du débat, M. Philippe Kaltenbach, rapporteur, a dit par exemple : « L’amnésie traumatique est un phénomène décrit par les médecins, elle touche particulièrement les victimes de viols pendant l’enfance qui, pour s’en protéger, oublient les violences qu’ils ont subies ; l’amnésie dure jusqu’à une certaine maturité, souvent dans la quarantaine, où ces victimes se souviennent tout à coup de ce qu’elles ont subi, parviennent à formuler ce qui s’est passé. Les preuves sont plus difficiles à apporter avec l’éloignement du temps, mais le dépôt de plainte peut servir à la victime, aussi bien qu’à d’autres victimes plus récentes, on l’a vu, ici aussi, dans l’affaire de l’École en bateau. »
M. André Reichardt : « Je ne connaissais pas ce phénomène d’amnésie traumatique, mais si la mémoire a pu ainsi être bloquée pendant des décennies, comment accorder foi à ce dont la personne se souvient ensuite ? Quel rapport ces souvenirs lointains entretiennent-ils avec la réalité ? N’y a-t-il pas un risque d’erreurs considérables, même de bonne foi ? »
J’ai interrogé le Professeur Richard McNally * sur cette question d’amnésie traumatique :
BA : Refoulement, amnésie traumatique, amnésie dissociative, amnésie dissociative traumatique : est-ce la même chose ?
RMcN : Les différences entre ces termes sont insignifiantes et sans rapport avec le débat sur les souvenirs refoulés et retrouvés de traumatismes. Tous ces termes impliquent que quelqu’un encode une ou des expérience (s) traumatique (s), puis devient incapable de rappeler le souvenir du traumatisme parce qu’il a été trop traumatisant.
Pourtant, comme l’illustre le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) de façon si spectaculaire, les personnes gravement traumatisées ne se souviennent que trop bien de leur traumatisme. Elles en éprouvent des souvenirs intrusifs, des souvenirs bouleversants, mais pas une incapacité à s’en souvenir. En fait, la notion que l’on peut être gravement traumatisé et totalement ignorant d’avoir été traumatisé – grâce au « refoulement » – est un morceau de folklore dénué de tout fondement scientifique convaincant. (« Thanks to repression is a piece of folklore devoid of convincing scientific support. »)
* Richard McNally est Professeur de psychologie à l’Université Harvard, expert des troubles de l’anxiété. Il a effectué des recherches sur le fonctionnement cognitif des adultes qui rapportent des histoires d’abus sexuel infantile.
3- L’influence de la théorie freudienne est comprise par certains sénateurs :
M. Jean-Pierre Michel. – « Le groupe socialiste votera contre ce texte en l’état. Monsieur le Président, je suggère que notre commission organise un colloque avec pour sujet l’influence de la psychanalyse sur les règles de droit pénal. »[…]
4- L’influence des militantes féministes
M. Jean-Pierre Michel. – « Effectivement, il est désagréable, pour ne pas dire davantage, de voir les auteurs d’une proposition de loi signifier à leurs collègues qu’ils ne doivent pas y toucher en commission : à ce compte, mieux vaut que la commission ne s’en saisisse pas du tout ! Ensuite, on m’a fait comprendre, ici et là, que ce texte serait « féministe » et que s’y opposer serait une insulte faite aux femmes ; or, il n’y a pas que des jeunes filles qui sont victimes de violences sexuelles… »
La commission rejette l’ensemble du texte
Le projet de loi a finalement été repoussé au motif suivant :
« En effet, en tout état de cause, une fois l’action publique mise en mouvement, il appartient au ministère public, avec l’aide de la partie civile, d’établir la réalité des faits dénoncés. Or, particulièrement en matière de violences sexuelles, la difficulté d’apporter la preuve des faits, surtout lorsque l’enquête a lieu de nombreuses années plus tard, accroît la probabilité de décisions de classements, de non-lieux ou de relaxes, au détriment des victimes qui peuvent y voir une négation des souffrances subies. »
La loi peut-elle ignorer la science ?
Le débat s’est ensuite déplacé à l’Assemblée Nationale. L’Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS) a alors publié, le 25 novembre 2014, un communiqué envoyé à tous les députés et sénateurs intitulé : Abus sexuels, « souvenirs retrouvés » et manipulation mentale : la loi peut-elle ignorer la science ?
On peut lire notamment :
« La majeure partie de la Communauté scientifique aux États-Unis et en Europe considère en effet que l’amnésie dissociative traumatique, autrement appelée refoulement, est un« morceau de folklore dénué de tout fondement scientifique convaincant » . Les faux souvenirs induits retrouvés en thérapie sont dénoncés notamment par Elizabeth Loftus, Richard McNally, Scott O. Lilienfeld, mais aussi en Europe et en France notamment par Philippe-Jean Parquet, Paul Bensussan et Caroline Eliacheff, entre autres. […] »
Le professeur Elizabeth Loftus a déclaré : « Si les Français doivent traverser le même épisode tragique que les Américains lors de la guerre des souvenirs, je les plains sincèrement. »
La proposition de loi a été repoussée
In fine, la proposition de loi UDI, pour allonger de 10 années supplémentaires le délai de prescription, a été repoussée à l’Assemblée Nationale, le 2 Décembre 2014, par 252 voix contre 191.
La proposition de loi est-elle utile ?
Je pense qu’allonger le délai de prescription n’apporte rien à la recherche de la vérité. J’ai interrogé Elizabeth Loftus*. Voici sa réponse :
BA : Est-il possible de différencier un faux souvenir et un vrai souvenir ?
EL : – « Oui, si on peut vérifier que l’événement remémoré s’est réellement produit : témoignages, examens cliniques, présence de traces, ADN, ce qui constitue la « corroboration ou confirmation indépendante » du récit lui-même. »
– « Non, pour la majeure partie des souvenirs retrouvés en thérapie qui n’avaient jamais existé jusque-là et qui portent sur des événements qui se seraient passés 20 à 30 ans auparavant. »
BA : Pourtant les souvenirs « retrouvés » peuvent être vivaces et précis ?
EL : « Les critères invoqués de clarté, précision, vivacité, émotion, qui accompagnent le récit ne sont pas probants : un faux souvenir peut être aussi clair, précis, vif, émotionnel, qu’un vrai. Le problème n’est pas que tous les souvenirs induits ou retrouvés soient faux, le problème est que la probabilité qu’ils soient faux n’est pas négligeable et qu’il n’y a aucun moyen de le vérifier en dehors d’une confirmation extérieure.”
* Elizabeth F. Loftus est une psychologue américaine, spécialiste de la mémoire humaine. Elle a mené de nombreuses recherches sur la malléabilité des souvenirs. E. Loftus est surtout connue pour son travail pionnier sur l’effet de désinformation sur les souvenirs et les témoignages, ainsi que sur la fabrication et le fonctionnement des faux souvenirs, y compris des souvenirs retrouvés d’abus sexuel durant l’enfance. Elle est professeur, à l’Université de Californie à Irvine (UCI),
Élue, en 2004, à l’Académie nationale des sciences (États-Unis).
En 2010 – Prix de la liberté et de la responsabilité scientifiques décerné par l’Association américaine pour le progrès des sciences. Dans son discours de réception de ce Prix de la liberté et de la responsabilité scientifiques, E. Loftus a déclaré que le mot « liberté » avait un sens particulièrement important pour elle, car, lorsqu’elle a commencé à s’intéresser aux souvenirs refoulés, elle n’imaginait pas du tout que pour cette raison elle deviendrait « la cible d’invectives incessantes et de harcèlement en bande organisée ». Elle trouve que la science est menacée dans le monde actuel, et que, si les scientifiques veulent préserver leur liberté, ils doivent savoir dénoncer « ces croyances les plus largement partagées qui reposent sur des mythes sans fondements »