Les recherches sur les « faux souvenirs »

Visits: 11212

Sommaire de la page

par Brigitte Axelrad publié par l’AFIS

« Les preuves sont un antidote contre le poison des témoignages. »
Francis Bacon, Extrait de De dignitate et augmentis scientiarum

Les erreurs dans les témoignages

La recherche sur les faux souvenirs est née, dès la fin du XIXe siècle, d’un doute portant sur l’exactitude et la fiabilité des témoignages. En 1893, James McKeen Cattell (1860-1944) mit au point à l’Université de Columbia une expérience informelle pour mesurer la fiabilité des souvenirs et publia dans Science le premier article américain sur la psychologie des témoignages. Cette expérience portant sur 56 étudiants l’amena à constater avec étonnement des différences importantes entre leurs témoignages1. Il conclut son étude en exprimant l’espoir que la mesure de la fiabilité des souvenirs puisse être utilisée dans le domaine judiciaire :  » Comme dernier exemple de l’utilité des mesures de la précision des observations et des souvenirs, je veux parler de leurs applications dans les cours de justice. L’exactitude probable d’un témoin pourrait être mesurée et son témoignage serait pondéré en fonction du résultat. Une correction numérique pourrait être introduite selon le temps écoulé, l’insuffisance moyenne (« average lack ») de véracité, l’effet moyen de l’intérêt personnel, etc. Le témoignage pourrait être recueilli de façon indépendante et communiqué à des experts qui pourraient affirmer, par exemple, que les chances que l’homicide ait été commis par l’accusé sont de 19 sur 1, et de 4 sur 1 qu’il ait été prémédité. »2

L’expérience de Cattell influença d’autres pionniers de la psychologie du témoignage comme le psychologue français Alfred Binet (1857-1911) et le psychologue allemand William Stern (1871-1938).

Dès 1916, on s’interrogea sur l’exactitude et la fiabilité du témoignage oculaire, dans les interrogatoires de police et dans les procès, bien avant l’examen des traces et des indices. Elizabeth Loftus, dans la riche littérature qu’elle a consacrée à l’étude de la mémoire et de ses illusions, raconte, entre autres faits, qu’en 1979, dans l’État du Delaware, un prêtre catholique avait été soupçonné de vols à main armée sur la base de témoignages oculaires. Sept témoins lui avaient donné le nom de « bandit gentleman », pour décrire le raffinement et l’élégance du voleur. Au cours du jugement, plusieurs personnes identifièrent le prêtre voleur. Mais, coup de théâtre, un autre individu reconnut avoir commis ces vols, et le jugement fut cassé.

C’est ainsi que quantité de gens sont accusés à tort sur la base de témoignages oculaires erronés. Le témoignage oculaire est propice à la création de faux souvenirs. De plus, il donne lieu à un récit dont le risque est d’être subjectif en raison de la difficulté à différencier ce qui relève des faits observés et des « connaissances préalables », c’est-à-dire acquises avant d’avoir assisté à un délit ou à un crime.

En 1992, aux États-Unis, une jeune femme adulte, Holly Ramona, consulte une thérapeute pour venir à bout des troubles nutritionnels dont elle souffre depuis l’adolescence. La thérapie est accompagnée d’injections de penthotal, familièrement appelé « sérum de vérité » et censé garantir la véracité des souvenirs. Au bout de quelques mois, Holly retrouve le souvenir ignoré jusque-là d’actes d’inceste commis dans son enfance par son père. Elle accuse celui-ci, lui fait un procès. La famille Ramona est détruite, les parents divorcent. Puis, grâce au témoignage au procès d’Elizabeth Loftus, spécialisée dans les recherches sur les faux souvenirs induits par certaines thérapies, le père de Ramona est disculpé. Le « cas Ramona » est devenu paradigmatique, mais d’autres semblables à lui vont surgir dans l’actualité brûlante des années 1990 et conduire des équipes de chercheurs états-uniens, Elizabeth Loftus en tête, à étudier le « syndrome des faux souvenirs »3.

Les étapes successives de la recherche sur le témoignage et les faux souvenirs

1916 – Estimation de la vitesse de véhicules

L’une des premières études de psychologie sur ce sujet a été publiée en 1916 par F.E. Richardson. Les participants de l’expérience devaient juger la vitesse d’une Cadillac à huit cylindres et de deux modèles Ford, passant devant leurs yeux.

Les conclusions de l’expérience montrèrent que les participants développaient des stéréotypes sur les conducteurs de différents types de véhicule, qui influençaient leur estimation. Par exemple, dans l’une des études, ils décrivaient le conducteur d’une grosse cylindrée comme étant plutôt un homme, peu soucieux des limitations de vitesse, menant une vie plus stressante, s’habillant mieux, plus impatient, bénéficiant d’un salaire et d’une situation professionnelle plus élevés, et ayant eu un plus grand nombre de contraventions que le conducteur d’une petite cylindrée. Toutefois, on constate que ces stéréotypes influencent plus fortement les participants lorsqu’on leur demande une estimation un jour après le visionnage des vidéos, ou sans les avoir vues.

L’expérience conduisit à la conclusion que l’estimation de la vitesse des véhicules est beaucoup plus influencée par les stéréotypes, quand l’accès aux informations n’est pas immédiat ou direct.4

1974-1975 – L’effet des questions dirigées sur la mémoire des témoins

L’objet de cette étude, menée par Loftus et Palmer, était de voir si la formulation des questions avait un impact sur l’estimation de la vitesse de véhicules. Cette expérience a apporté la conclusion que les témoins oculaires jugent la vitesse d’un véhicule plus élevée, si le verbe utilisé dans la question suggère une collision violente entre les automobiles (« elles se sont télescopées », « il a fallu désincarcérer le conducteur et les passagers »…) Dans ce cas, les témoins « se souviennent » avoir vu du verre cassé, du sang sur les lieux de l’accident, si on leur pose la question. L’objectif de cette expérience est de déterminer de quelle manière la mémoire est influencée par l’incitation entourant la mise en mémoire et le rappel. Les études ont établi que les souvenirs n’étaient pas nécessairement des souvenirs fidèles d’évènements présentés, mais étaient en fait construits en utilisant des expériences passées et d’autres influences.5 Une série d’expériences publiées récemment (2009) par le psychologue Graham Davies, de l’Université de Leicester au Royaume-Uni, montre que l’estimation de la vitesse de deux véhicules est à peu près exacte quand les participants la jugent au moment où ils visionnent des vidéos de ces deux automobiles roulant à différentes allures. Elle l’est moins quand ils doivent évaluer les vitesses rétrospectivement, un jour après le visionnage.6

1978 – Paradigme des informations trompeuses

Loftus, Miller et Burns ont mis au point une méthodologie pour étudier l’influence de suggestions trompeuses sur la mémoire des témoins. Ceux-ci assistent tout d’abord à un événement. Certains d’entre eux sont ensuite soumis à leur insu à des informations erronées le concernant. Ces témoins sont ensuite plus enclins à considérer comme vrais ce qu’on leur a suggéré, plutôt que ce qui s’est passé.

Depuis ces travaux pionniers d’Elizabeth Loftus, de nombreuses études ont confirmé que des témoins peuvent incorporer dans leurs souvenirs des informations trompeuses présentées après l’événement auquel ils ont assisté. Il s’agit de l’« effet de fausse information ».7 En 2006, Itskushima, Nishi, Maruyama et Takahashi ont montré que des témoins, exposés à une conversation entre deux personnes ayant assisté au même événement qu’eux, intègrent dans leur mémoire des informations fausses qui ont fait partie de cet échange. L’effet des fausses informations est plus important lorsque cette conversation est présentée aux témoins de façon écrite plutôt qu’audiovisuelle. Dans le premier cas, les témoins intègrent des informations trompeuses portant sur la couleur et la taille d’objets et, dans le second cas, uniquement la fausse information portant sur la couleur. En revanche, les sujets de ces deux expériences sont peu sensibles à la suggestion portant sur le mouvement du personnage de l’événement original.

Ces deux expériences confirment l’influence d’une conversation trompeuse sur la mémoire d’un témoin. Elles indiquent également que les fausses informations sous forme écrite sont mieux retenues que leurs équivalents audiovisuels. Par conséquent, l’interférence rétroactive sur le souvenir de l’événement original est dans ce cas plus importante.

En 1979, Elizabeth Loftus publie un livre : Eyewitness Testimony, montrant que le jugement oculaire a un fort impact sur les juges et les jurés.

1981 – Théorie du contrôle de la réalité de la source des souvenirs

Cette théorie a été élaborée par Johnson et Raye. Elle stipule qu’il existe des différences qualitatives entre les souvenirs réels et les faux souvenirs obtenus expérimentalement par l’« effet de fausse information ». Les souvenirs réels contiennent de nombreuses informations sensorielles, spatiales et temporelles. Les faux souvenirs font plus souvent référence à des opérations cognitives (pensées, raisonnements…). Cependant, dans certaines circonstances, la distinction devient plus difficile. Un souvenir peut alors être attribué par erreur à la réalité, alors qu’il provient en fait d’une autre source.8

1985 – Schéma cognitif et faux souvenirs

D. Schacter, E. Loftus et d’autres montrent l’influence des schémas cognitifs sur la remémoration. Les « schémas cognitifs » ou « postulats silencieux » sont des connaissances élaborées à partir de l’expérience quotidienne par un apprentissage involontaire. Ils s’expriment sous la forme de pensées automatiques, de monologues intérieurs, d’auto-verbalisations ou d’images mentales. Ils constituent des croyances de base, telles que « les gens sont égoïstes », « je ne serai jamais bon en maths, « les femmes ont plus d’accidents que les hommes », « les hommes sont plus intelligents que les femmes », etc. Durant les années 80, des recherches montrent que les faux souvenirs peuvent être générés à partir de la représentation schématique et réductrice d’un événement remémoré.

1991 – Théorie des traces floues (Fuzzy-trace theory)

Selon cette théorie, développée par Charles Brainerd et Valérie Reyna, les souvenirs sont stockés en parallèle sous deux formes : les traces représentant les détails des événements(« verbatim traces ») et celles représentant leur sens général (« gist traces »). Une forme relativement générale de récupération des expériences en mémoire serait liée au sens attribué à l’événement (« gist traces »). Les faux souvenirs reposeraient sur ces traces mnésiques générales non différenciées qui résultent de l’attribution de sens et d’organisation en mémoire de l’information. L’utilisation préférentielle de ces dernières serait responsable de la formation de faux souvenirs. Par la suite, cette théorie a permis de comprendre que si les jeunes enfants commettent moins d’erreurs dans la tâche DRM (cf. plus loin), c’est parce qu’ils sont moins sensibles au sens général des listes de mots proposées, comparativement à leurs camarades plus âgés et aux adultes.9

1994 – Le mythe des souvenirs retrouvés

Elizabeth Loftus publie avec Katherine Ketcham The Myth of Repressed Memory10, dans lequel elle rapporte la controverse sur les souvenirs retrouvés d’agressions sexuelles infantiles et développe le sens de ses recherches et leurs conclusions. La traduction française de l’ouvrage sera publiée en 1997 sous le titre Le syndrome des faux souvenirs et le mythe des souvenirs refoulés.11

Ce livre est fondamental pour aborder la question des faux souvenirs induits par les thérapies de la mémoire retrouvée et évaluer leur impact sociologique.

1995 – Paradigme DRM

Roediger et McDermott redécouvrent et étendent les travaux de Deese (1959). « Dans l’expérience de Roediger et McDermott de 1995, les sujets devaient étudier une liste de 15 mots : bed, rest, awake, tired, dream, snooze, blanket, wake, doze, slumber, nap, peace, yawn, drowsy, snore. Vous remarquerez que tous ces mots sont associés au mot critique sleep (sommeil) mais qui n’est pas présent dans la liste.

Les résultats montrent que les sujets rappellent 65 % des mots étudiés (i.e., ceux présents dans la liste) mais que le rappel du mot critique (absent de la liste étudiée) atteint 40 %. Les résultats pour la reconnaissance ont une orientation similaire : la confiance dans la reconnaissance du leurre critique (sommeil) est supérieure (3.3) à la confiance dans la reconnaissance de leurres non associés (1.2), alors que la confiance dans la reconnaissance des mots étudiés est de 3.6. Le paradigme DRM engendre donc de faux rappels et de fausses reconnaissances de mots en raison de leur association avec des mots étudiés. »12

1995 – Paradigme « Perdu dans un centre commercial »

LoftusLoftus et Pickrel montrent l’efficacité de la suggestion pour « implanter » des faux souvenirs d’enfance.

L’expérience paradigmatique, « Perdu dans un centre commercial », consistait à présenter à des sujets un résumé de quatre histoires d’enfance, reconstituées avec l’aide de leur famille. Trois histoires sont vraies, et la quatrième est inventée de toutes pièces, donc fausse. On leur raconte qu’ils se sont perdus dans un centre commercial alors qu’ils faisaient des courses avec leur mère, qu’ils ont été recueillis par une vieille dame, qu’ils ont été ramenés à leurs parents et que tout s’est bien terminé. Puis au cours de plusieurs entretiens, on leur demande de se rappeler le plus de détails possible concernant cet évènement. 25 % des sujets reconstruisent un souvenir fictif de cet incident, y croient fermement et ajoutent à leur récit une foule de détails sensoriels et émotionnels (je me souviens que la dame qui m’a recueilli avait les cheveux blancs coiffés en chignon, elle portait des lunettes, elle avait une robe noire, j’étais affolé et elle m’a consolé, etc.).

On a objecté à Loftus que de tels évènements pouvaient s’être malgré tout produits et que ces souvenirs pouvaient être vrais. Loftus a refait cette expérience en implantant des souvenirs impossibles, tels que Bugs Bunny rencontré à Disneyland, alors qu’il est un personnage de la Warner Bros, Plus de 60 % des personnes adultes testées, qui sont allées à Disneyland, se rappellent y ainsi avoir serré la main de Bugs Bunny, 50 %, l’avoir serré dans leurs bras, 69 % lui avoir touché l’oreille, et un seul l’avoir vu tenir une carotte. Les expériences ont porté aussi sur des souvenirs improbables, tels qu’avoir été léché avec dégoût par Pluto. Après avoir nié l’évènement au départ, 30 % affirment en avoir le souvenir et refusent d’acheter les gadgets à l’effigie de Pluto !13

1996 – Inflation par imagination

Maryanne Gary et ses collaborateurs découvrent que les personnes sont plus certaines qu’un évènement d’enfance a existé après l’avoir imaginé. Par exemple si on leur demande :« Lorsque vous étiez enfant, avez-vous brisé une vitre ? Imaginez la scène avant de répondre ! », les sujets retrouvent plus fréquemment un tel « souvenir » que lorsqu’on leur pose la question directe : « Avez-vous cassé une vitre dans votre enfance ? »14

1998 – Interprétation des rêves et faux souvenirs

Guliana Mazzoni et ses collaborateurs montrent que l’interprétation d’un rêve peut modifier les croyances à la véracité d’un souvenir d’enfance en réalité fictif.15 Le rêve a été défini par Freud comme la « voie royale qui mène à l’inconscient » et son interprétation comme devant permettre de dénicher des souvenirs d’expériences infantiles traumatisantes. Certains cliniciens voient dans les rêves la réplique fidèle des traumatismes de l’enfance. Les rêves associent des symboles dont les connotations seraient invariablement sexuelles, selon la théorie freudienne. Par exemple, une cavité (grotte, caverne, vase, etc.) symbolise un vagin ; une aspérité ou forme pointue (couteau, pistolet, serpent, etc.) un pénis. C’est dans cette optique freudienne que toute scène vécue comme désagréable, pénible, etc. sera interprétée comme une scène d’abus sexuel.

Pour chacun, le rêve est un événement confidentiel, secret, et il est facile de le prendre pour un langage crypté de l’inconscient. Son décodage par le biais de la suggestion le rend perméable à l’interprétation donnée par un expérimentateur ou un thérapeute.16

2001 – Peut-on par la technique distinguer un vrai d’un faux souvenir ?

Depuis longtemps les chercheurs cherchent à répondre à cette question.
Les 3 techniques de neuro-imagerie les plus largement utilisées pour l’étude de la mémoire humaine :

  • les “potentiels évoqués” (PE)
  • l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf)
  • des électrodes implantées chirurgicalement qui enregistrent l’activité électro-physiologique chez les patients épileptiques.

Roberto Cabeza*†, Stephen M. Rao‡, Anthony D. Wagner, Andrew R. Mayer‡, and Daniel L. Schacter ont mené une étude  avec l’IRMf.  En conclusion, les résultats suggèrent que l’activité dans les régions antérieures du lobe temporal médian (LTM) ne distinguent pas le vrai du faux, alors que l’activité dans les régions du LTM postérieures pourrait le faire. Élizabeth Loftus, en 2009, a aussi tenté de trouver une technique pour le faire, mais sans résultat. elle dit :
À notre connaissance, personne n’a développé une procédure neurophysiologique qui peut être utilisée pour prédire si un souvenir est vrai ou faux. Nous considérons cela comme une orientation importante pour la recherche future.” *

*Daniel Bernstein et Elizabeth Loftus, 2009, Université de Washington et Université de Californie, Irvine

2002 – L’effet de révélation

Daniel Bernstein et ses collaborateurs de l’Université de Washington rapportent que les sujets de leur expérience affirment avoir plus de certitude d’avoir vécu différents évènements dans leur enfance, si la description de ces derniers contient un mot qui nécessite d’être déchiffré ; (par exemple : « avoir brisé une « tvrei » avec un ballon » (au lieu de « vitre »). Ce phénomène, l’« effet de révélation », déjà connu avec des stimuli verbaux, est alors observé pour la première fois dans une tâche de mémoire autobiographique. Dans un test de reconnaissance, l’« effet de révélation » est « la tendance à juger comme anciens des items qui sont dégradés, distordus, révélés par étapes et qui doivent être découverts. »17

2003 – L’imagination peut créer des faux souvenirs autobiographiques


L’étude de  Giuliana Mazzoni (1) and Amina Memon(2)  publiée dans  la revue VOL. 14, NO. 2, MARCH 2003 Copyright © 2002 American Psychological Society  :
Les résultats de cette étude montrent que les gens peuvent développer à la fois une croyance et un souvenir d’un événement qui ne leur est certainement pas arrivé à eux en imaginant simplement son apparition.
L’imagination seule, sans aucune procédure supplémentaire suggestive, a augmenté les convictions des participants que l’événement avait eu lieu dans leur enfance, et a également produit de faux souvenirs de l’événement. En outre, les données indiquent que la production de fausses croyances et des souvenirs n’était pas due à une augmentation de la familiarité avec l’événement, comme certains chercheurs l’ont proposé (par exemple, Wade, Garry, Read, et Lindsay, sous presse), mais dépendait des processus qui se produisent notamment lors de l’imagination.
Dans notre expérience, l’exposition, (à savoir, la lecture d’un texte bref) contrôlé pour la familiarité, et les résultats ont montré que l’effet de l’imagination était plus fort que l’effet de familiarité seul.

Ces résultats reproduisent et étendent les résultats des études antérieures sur l’inflation de l’imagination. Ils prêtent également un appui solide à l’affirmation selon laquelle l’effet de l’imagination sur la mémoire est authentique et non pas seulement un artefact (Garry et al., 2001).
1- Seton Hall University
2- University of Aberdeen, Aberdeen, Scotland, United Kingdom

 

2004 – Photographies d’enfance et faux souvenirs

Lindsay et Loftus montrent que la présentation d’une véritable photographie de classe facilite la formation de faux souvenirs d’enfance. Selon l’orientation des questions, la lecture actuelle de la photo ancienne peut devenir fantaisiste.

Des recherches récentes montrent que la présentation d’images truquées peut modifier notre vision du passé, (voir, par exemple, Nash, Wade et Lindsay, 2009). En effet, les images truquées créent une illusion de familiarité avec les faits et constituent des sources d’information perçues comme crédibles. C’est ainsi que les souvenirs peuvent être encore plus facilement déformés à l’aide d’images. Notamment dans l’expérience de Wade et Gary, on insère une photo du sujet enfant avec un membre de sa famille dans celle d’une montgolfière en vol. Par la suite, la moitié des sujets sont persuadés d’avoir fait ce vol en ballon et racontent ce « souvenir » avec quantité de détails sensoriels.

2004 –Détails personnels et faux souvenirs d’enfance

Le site PsychoTémoins (CNRS-INIST), animé par Frank Arnould, a publié, le 28 janvier 2008,  en français, le résultat des études sur le sujet.
La présentation de détails personnels favorise la formation de faux souvenirs d’enfance.

Tracy Desjardins et Alan Scoboria, de l’Université de Windsor au Canada, ont découvert un facteur facilitant la création de faux souvenirs d’enfance. Au cours de trois entretiens, des adultes de 18 à 42 ans doivent essayer de se souvenir de quatre événements censés avoir été vécus avant l’âge de 6 ans. L’un d’entre eux (être puni pour avoir déposé un jouet gluant sur le bureau de l’instituteur) est entièrement faux, selon les dires des parents. Pour aider la remémoration, les sujets sont invités à retrouver le contexte et à imaginer les détails des événements. Rappelons que l’imagerie guidée est une technique psychothérapeutique régulièrement accusée d’avoir créé des faux souvenirs d’abus sexuels infantiles.

Lors de l’entretien final, 68,2 % des participants ont construit des images ou des souvenirs du faux événement lorsque celui-ci a été présenté verbalement avec des détails personnels (par exemple, le nom de l’instituteur ou d’un ami). Par contraste, 36,4 % des sujets les ont formés lorsque ces détails étaient absents. Les détails personnels conduisent également les participants à former de (faux) souvenirs plus clairs et plus intenses. Ces personnes ont été finalement incapables de déterminer lequel des quatre événements était faux.

La présentation de détails personnels apparaît donc comme un facteur puissant pouvant faciliter la formation de faux souvenirs d’enfance. Les auteurs de cette étude pensent que ce résultat a des implications légales et cliniques très importantes.

Ils rappellent notamment que certaines approches psycho thérapeutiques recommandent aux patients de consulter des albums de photos de famille afin de raviver des souvenirs d’abus. Les détails personnels contenus dans les photographies pourraient alors favoriser le développement de souvenirs erronés.

Cette possibilité est d’ailleurs confirmée par une expérience de Lindsay et al. (2004). Des étudiants ont pu facilement créer des faux souvenirs d’enfance d’un pseudo-événement scolaire lorsqu’ils se sont aidés d’une photo de classe authentique pour se le rappeler !
Source : http://psychotemoins.inist.fr/?Details-personnels-et-faux –

Référence Desjardins, T., & Scoboria, A. (2007) « You and your best friend Suzy put Slime in Ms. Smolett’s desk” : Producing false memories with self-relevant details. Psychonomic Bulletin & Review, 14, 1090-1095.

2004 –Vraies photographies et faux souvenirs

Article paru dans  Psychological Science 15(3):149-54 · April 2004
Ma traduction des extraits de l’article est donnée ci-dessous.

Référence Lindsay, D.S., Hagen, L., Read, J.D., Wade, K.A., & Garry, M. (2004). True photographs and false memories.Psychological Science, 15, 149-154.  https://msu.edu/course/psy/401/Readings/WK10.PresentB.Linsday%20et%20al.%20(2004).pdf

Les sujets
Les sujets étaient 45 étudiants (36 femmes et 9 hommes) qui se sont portés volontaires pour participer et ont été récompensés avec des points de bonus facultatifs dans un cours d’introduction à la psychologie.
L’expérience : Elle s’est déroulée en 2 temps :
Session1 : les sujets ont reçu une photocopie de la photo de groupe de leur classe d’école pour chaque année avant que le récit correspondant leur soit lu (un événement factice a été ajouté). L’enquêteur encourage chaque sujet à rappeler autant que possible chaque événement, en utilisant le rétablissement du contexte mental et des exercices d’imagerie guidée.
A la fin de la session 1, les sujets ont été informés que pour le reste de l’expérience, ils devaient concentrer leurs efforts rappelant le plus ancien des événements (à savoir, le pseudo-événement). Ils ont été invités à passer un peu de temps chaque jour au cours de la semaine de travail suivante  à se rappeler plus cet événement, et ils ont reçu un exemplaire imprimé du récit (et, pour les sujets mis dans la condition de photo, une copie de la photo de classe) à utiliser comme une preuve du souvenir.
Session 2 :
Quatre jours plus tard, l’intervieweur a téléphoné à chaque sujet pour vérifier les progrès et encourager l’effort supplémentaire, la lecture à nouveau le récit du pseudo-événement et la promotion ” rappel ” avec le rétablissement de contexte mental et l’imagerie guidée. Une semaine après l’entrevue initiale, les sujets sont retournés au laboratoire et ont de nouveau été encouragés à se souvenir autant que possible au sujet du pseudo-événement, après quoi ils ont évalué leurs souvenirs sur les mêmes échelles que les déclarations des souvenirs utilisés lors de la session 1. Les sujets ont été enregistrés sur bande pendant les deux sessions.
Résultat :
Memories signifie ici souvenirs du pseudo-événement
lindsay

Pourcentage, en fonction des conditions expérimentales et de la session, des sujets classés comme :
n’ayant pas de souvenirs ou d’images,
des images mais pas de souvenirs,
des souvenirs du  pseudo événement, .
Les barres d’erreur représentent les intervalles de confiance de 95% autour de la proportion de sujets classés comme ayant des souvenirs de l’événement proposé, calculés en utilisant VassarStats (Lowry, 2003)

Conclusion

Notre principale conclusion est que quand on complète les autres influences suggestives par une photo associée à un pseudo-événement proposé, (mais qui ne le représente pas), le taux de rapports de faux souvenirs a doublé, ce qui donne un taux de rapports de faux souvenirs sensiblement plus élevé que toute les études précédentes.
Même lorsque nous avons utilisé un critère relativement strict pour juger si les sujets ont connu des souvenirs de l’événement proposé, les deux tiers des sujets dans la condition de photo ont été classés comme ayant développé de faux souvenirs (plus de deux fois le chiffre précédent, élevé, rapporté par Porter et al., 1999, de 26%).
Notre événement « inventé » diffère considérablement et de nombreuses façons de l’abus sexuel dans l’enfance, de sorte que le taux absolu de faux souvenirs dans notre étude ne peut pas être utilisé pour prédire la probabilité de faux souvenirs d’abus sexuels dans l’enfance. En effet, on ne peut même pas supposer que le véritable effet-photo obtenu avec l’événement et les photos utilisées dans cette étude particulière peuvent se généraliser à d’autres pseudo-événements relativement inoffensifs de l’enfance. Néanmoins, il y a peu de raisons de douter que les mécanismes impliqués dans notre effet peuvent contribuer à d’autres sortes de faux souvenirs, et donc nos résultats justifient d’être préoccupés par le risque d’encourager les clients à examiner les anciens albums photo lors de tentatives pour ” récupérer ” des événements suspectés d’histoires d’abus sexuels dans l’enfance sans aucun souvenir.

2007 – Les souvenirs retrouvés d’agressions sexuelles infantiles sont-ils authentiques ?

Psychotémoins_webLe site PsychoTémoins (CNRS-INIST), animé par Frank Arnould, a publié, le 28 juin 2007,  en français, le résultat des études sur le sujet.

La controverse sur l’authenticité des souvenirs retrouvés d’agressions sexuelles infantiles va-t-elle connaître un nouveau rebondissement ? Une équipe de chercheurs publie les résultats d’une enquête au cours de laquelle de tels souvenirs sont confrontés à l’existence ou non de preuves confirmant la réalité des abus.

L’histoire de la psychologie est parsemée de controverses. Récemment, c’est le domaine de la mémoire qui s’est trouvé au centre d’une polémique. Pour certains chercheurs et thérapeutes, les agressions sexuelles subies pendant l’enfance peuvent être totalement oubliées, « refoulées », et retrouvées bien plus tard.

D’autres psychologues et psychiatres ne sont pas d’accord avec ce point de vue. Sans nier l’existence possible d’un tel phénomène, ils pensent que ces souvenirs peuvent aussi avoir été suggérés, notamment quand le thérapeute a fait usage de certaines techniques suggestives de recouvrement des souvenirs (Brédart, 2004 ; Loftus & Ketcham, 1997).

Les souvenirs retrouvés d’agressions sexuelles infantiles sont-ils réels ou suggérés ? L’étude présentée par Elke Geraerts et ses collaborateurs, dans un article paru dans Psychological Science (Geraerts, Schooler, Merckelbach, Jelicic, Hauer, & Ambadar, 2007) constitue une étape importante du débat.[…]

Cette étude indique qu’il est désormais nécessaire de distinguer les souvenirs d’agressions sexuelles retrouvés spontanément de ceux récupérés au cours d’une thérapie. Les premiers sont corroborés par des preuves externes aussi fréquemment que les souvenirs continus. Sans conclure définitivement que les souvenirs retrouvés en thérapie sont systématiquement faux, leur réalité serait plus souvent sujette à caution. Lire l’article complet ici.

2007 – Souvenirs d’agressions sexuelles infantiles spontanés ou retrouvés en thérapie

Elke Geraerts et ses collaborateurs montrent18 que les souvenirs d’agressions sexuelles retrouvés spontanément après une période d’oubli sont corroborés par des preuves externes tout aussi fréquemment que les souvenirs continus (sans période d’oubli) de tels sévices. En revanche, ceux retrouvés au cours d’une thérapie suggestive ne le sont jamais.19

2009 – Faux souvenirs, vraies impressions : la matière blanche nous joue des tours

L’ADIT (Agence pour la diffusion de l’information technologique) publie dans son Bulletin Électronique du 1er Septembre 2009 un travail de recherche intitulé : « Faux souvenirs, vraies impressions : la matière blanche nous joue des tours »20, dont voici un extrait : « Une étude, issue de la collaboration de l’Instituto de Investigación Biomédica de Bellvitge (IDIBELL) et de l’Universidad de Barcelona, lève enfin le voile sur les zones cérébrales impliquées…. Ils ont ainsi découvert que les vrais souvenirs sont « localisés » dans la substance blanche reliant l’hippocampe et le para-hippocampe, alors que les faux souvenirs sont « situés » dans la substance blanche reliant les structures frontales pariétales. » Cette découverte, publiée dans The Journal of Neuroscience, si elle se confirme, donnera sans doute lieu à des applications intéressantes dans le système judiciaire et dans le cas des « souvenirs retrouvés » dans les thérapies de la mémoire retrouvée.21

2008 – 2009 – Suggestion et modification du comportement

Plusieurs recherches publiées en 2008 mettent en évidence que les suggestions modifient les croyances et les attitudes, mais aussi les comportements réels des personnes (par exemple, Scoboria, Mazzoni et Jarry 2008)

2009 – Comprendre l’expérience vécue des souvenirs retrouvés

Richard McNally et Elke Geraerts publient l’étude : « Comprendre l’expérience vécue des souvenirs retrouvés. Une solution nouvelle au débat de la mémoire retrouvée ». Les auteurs tirent les conclusions des multiples expériences et interviews réalisées par les équipes de recherche de l’Université Harvard, de 2005 à 2009, et donnent la liste des dix facteurs qui, chacun, suggèrent une plus forte probabilité qu’un souvenir soit authentique :

1- La victime a expérimenté les mauvais traitements comme une source de confusion lui inspirant du dégoût ou de la frayeur, mais pas comme un traumatisme terrifiant.
2- L’abus a eu lieu seulement une fois ou, au plus, quelques fois.
3- La victime n’a pas compris ces expériences comme sexuelles ou d’abus.
4- La victime a évité, avec succès, de repenser à cette expérience.
5- L’absence de rappels a favorisé l’oubli.
6 – La victime a oublié les souvenirs qu’elle avait eus antérieurement de l’abus, ce qui lui donne l’illusion d’un oubli permanent.
7- Le souvenir retrouvé soudainement à l’âge adulte s’accompagne du choc d’avoir oublié cette expérience.
8- Le souvenir se produit spontanément en réponse à un rappel en dehors d’une psychothérapie suggestive.
9-Les souvenirs survenant spontanément en dehors de la psychothérapie sont plus susceptibles d’être corroborés que ne le sont ceux qui émergent progressivement au cours de certaines formes de psychothérapies suggestives.23
10- La recherche en laboratoire indique que ceux qui retrouvent progressivement leurs souvenirs au cours d’une psychothérapie montrent une propension accrue à de faux souvenirs lors du test DRM24 par rapport à ceux qui récupèrent spontanément leurs souvenirs en dehors d’une psychothérapie.

À l’inverse, ceux qui recouvrent spontanément leurs souvenirs en dehors d’une psychothérapie montrent un effet FIA25 accru en laboratoire par rapport à ceux qui récupèrent leur souvenir en psychothérapie.

Ces facteurs, qui permettent de distinguer les faux souvenirs et les souvenirs retrouvés véritables, ne sont toutefois pas infaillibles. Un souvenir retrouvé véritable d’abus sexuel dans l’enfance n’implique, selon les auteurs de l’étude ni le refoulement, ni un traumatisme, ni même l’oubli total.

2009 – Implantation de faux souvenirs et modifications du comportement

Les dernières expériences menées par les équipes de chercheurs autour d’Elizabeth Loftus26montrent qu’en induisant un faux souvenir d’enfance, comme dans l’expérience « Perdu dans un centre commercial », on peut créer, par le rappel d’un faux événement, un comportement de rejet d’un aliment en suscitant le dégoût et/ou une attirance vers un autre.

Pour illustrer son propos (sans intention d’en faire une « preuve ») Elizabeth Loftus raconte avec un sourire comment elle a réussi à tromper Alan Alda, animateur de Scientific American Frontiers, en lui faisant croire qu’il n’aimait pas les œufs durs parce qu’il en avait trop mangé dans son enfance et en était tombé malade. Alda avait reçu une semaine avant son arrivée à l’UCI un résumé de son histoire personnelle dans lequel on avait intégré cette anecdote. Pendant le lunch avec les membres du laboratoire de Loftus, Alda a refusé de manger des œufs durs, scène qui a été filmée et diffusée devant des millions de téléspectateurs !

Loftus cite l’une des dernières expériences menée en 2008 avec Cara Laney et son équipe,« Asparagus, a love story » (« Les asperges, une histoire d’amour »), ou comment s’alimenter mieux grâce à un faux souvenir. Les enfants détestent souvent le goût de certains aliments, tels que les choux de Bruxelles ou les asperges. En persuadant les étudiants testés qu’ils adoraient les asperges dans leur enfance contrairement à ce qu’ils avaient prétendu au départ, l’expérience leur a donné non seulement le goût pour les asperges, mais encore l’envie d’en manger le plus souvent possible et même de les payer beaucoup plus cher à l’épicerie !

2010 – Tous les faux souvenirs ne se ressemblent pas

Comment différencier les faux souvenirs spontanés des faux souvenirs implantés est devenu l’un des sujets d’étude majeur pour les chercheurs en psychologie. Le paradigme DRM est l’outil le plus utilisé pour provoquer la formation de faux souvenirs (les illusions DRM).

A mesure que les enfants grandissent27, les illusions DRM deviennent plus fréquentes, alors que la sensibilité aux faux souvenirs suggérés décroit. Chez l’adulte28, on constate, que les personnes ayant formé de faux souvenirs autobiographiques naturellement, sont plus sensibles aux illusions DRM.29

2010 – Psychothérapie et risque de faux souvenirs

Psychotémoins_webLe site PsychoTémoins (CNRS-INIST)  a publié, le 8 juillet 2010,  en français, le résultat des études sur le sujet :

Les attentes des patients envers la psychothérapie peuvent favoriser la formation de faux souvenirs d’enfance. Plusieurs travaux expérimentaux confirment le fait qu’il est plus facile d’implanter de faux souvenirs quand les éléments suggérés correspondent aux attentes des personnes. Or, les patients entrent souvent en psychothérapie en nourrissant différents espoirs, comme celui de retrouver des souvenirs oubliés, ce qui pourrait donc les rendre plus vulnérables à la formation de faux souvenirs.

Une étude américaine, portant sur un échantillon de plus de mille étudiants d’université, indique que ce scénario est plausible (Rubin & Boals, 2010). Les résultats montrent effectivement que les participants désirant entreprendre une psychothérapie croient plus souvent qu’ils ont oublié des événements traumatiques, des maltraitances physiques ou sexuelles de leur enfance. […]

Bien évidemment, le risque serait d’autant plus élevé que le psychothérapeute est lui-même convaincu que des expériences traumatisantes peuvent totalement être oubliées – une théorie, certes populaire, mais ne faisant l’objet d’aucun consensus dans la communauté scientifique. S’il a recours à différentes techniques suggestives de recouvrement des souvenirs, ses inductions peuvent se mouler sur les attentes des patients, encourageant ainsi la génération de faux souvenirs.

Une étude publiée en 2007 par la psychologue néerlandaise Elke Geraerts et ses collaborateurs montre d’ailleurs que les souvenirs d’agressions sexuelles infantiles retrouvés en psychothérapie sont plus difficiles à corroborer que ceux retrouvés spontanément, en dehors de tout contexte thérapeutique (Geraerts et al., 2007). Lire l’article complet ici.

2010 – Est-il légitime d’implanter des faux souvenirs ?

Il est donc possible d’implanter des faux souvenirs expérimentalement ou dans les thérapies de la mémoire retrouvée. Une fois le souvenir implanté, la personne croit fermement à la véracité de ce faux souvenir. Dans le cas des expériences, il est nécessaire d’aider le sujet à prendre conscience que ce souvenir est faux et à l’abandonner. Dans le cas des thérapies de la mémoire retrouvée, cette prise de conscience très rare est le fruit du hasard, d’une lecture, d’une rencontre, d’un événement imprévisible ou du temps…

Des expériences d’Elizabeth Loftus montrent qu’on peut implanter un faux souvenir d’une affection infantile qui conduit le sujet à rejeter la consommation de certains aliments. Ceci l’amène à se demander s’il serait légitime d’exploiter cette technique pour détourner des gens de la consommation d’aliments gras, d’alcool, ou de drogue.

Est-il plus contraire à l’éthique d’utiliser ces techniques pour aider, par exemple, des enfants à acquérir la maîtrise de leur alimentation, que de leur raconter l’histoire du Père Noël ?

Question délicate, car manipuler l’esprit pose toujours, quel que soit l’objectif, un problème de conscience, tant cette emprise mentale est efficace.

Cet article est une version complétée d’une première version parue en février 2010 dans la newsletter de l’Observatoire Zététique.

2010 – Les 50 grands mythes de la psychologie populaire

50-great-myths_webUn livre est paru en 2010, en anglais aux Éditions Wiley-Blackwell : 50 Great Myths of Popular Psychology: Shattering Widespread Misconceptions about Human Behavior. Les auteurs en sont Scott O. Lilienfeld, Steven Jay Lynn, John Ruscio, Barry L. Beyerstein.

Nous en avons extrait les mythes 12 & 13 qui se rapportent aux faux souvenirs induits “retrouvés” en thérapie.
– Mythe 12 : L’hypnose est utile pour récupérer des souvenirs d’événements oubliés.
– Mythe 13 : Les individus refoulent communément les souvenirs d’expériences traumatiques.
Les conclusions des auteurs :

– L’hypnose est utile pour la récupération des souvenirs », est une idée largement répandue.
– Les enquêtes auprès des psychothérapeutes montrent que  pour 75% d’entre eux “l’hypnose permet aux gens de se souvenir avec précision de choses dont ils ne pouvaient pas se souvenir autrement”.
– Des croyances qui remontent à loin et qui sont partagées par le grand public.
– Des croyances qui touchent aussi les cliniciens.
– Des souvenirs improbables ou farfelus créés sous hypnose.
– L’hypnose peut être utile, mais pas pour retrouver des souvenirs enfouis.

2012 – L’infaillibilité de la mémoire, un mythe de la psychologie populaire.

Scott O. Lilienfeld et al. ont publié récemment un livre intitulé The 50 Great Myths of popular Psychology. Le mythe 11 expose la représentation inexacte selon laquelle la mémoire humaine fonctionnerait comme un enregistreur ou une caméra vidéo, stockant avec précision les événements vécus. C’est ce mythe qu’une expérience d’une équipe de chercheurs de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas contribue à démystifier, à la suite des travaux de chercheurs comme Elizabeth Loftus.

Exposée dans la revue Science en septembre 2012, une expérience menée par une équipe suédoise de l’Université d’Uppsala sur le syndrome de stress post-traumatique a montré que la mémoire et les phénomènes de reconsolidation sont instables chez les humains et qu’en supprimant la reconsolidation, on supprimait la peur. Elle avait été menée sur des humains volontaires, alors que les études de ce genre le sont habituellement sur des rongeurs, avec des médicaments.

2013 – Comment fabriquer de faux souvenirs avec une question

Annoncée dès le 2 mai 2013,  une expérience sur le terrain et non plus en laboratoire a été  menée par les chercheurs de l’Université d’Utrecht.

L’objectif premier de l’expérience néerlandaise était de « tester l’effet de la désinformation à l’extérieur du laboratoire et d’explorer les corrélats de l’effet, notamment l’excitation, la capacité cognitive et la névrose. » sur 249 soldats envoyés en mission en Afghanistan. Deux mois après leur retour, les soldats ont été interrogés sur les facteurs de stress rencontrés sur le terrain. Dans la foulée, on leur a demandé s’ils se souvenaient d’une attaque du camp à la roquette, la veille du Nouvel An. Les chercheurs ont précisé que l’attaque avait été inoffensive, tout en décrivant le bruit de l’explosion et la projection de pierres, ces détails sensoriels ayant pour but de provoquer l’« inflation de l’imagination », mise en évidence par Elizabeth Loftus.

Deux mois plus tard, huit soldats ont dit se souvenir de l’événement, les 241 autres ne se souvenant de rien. Sept mois plus tard, 26% ont reconnu l’événement.

À la différence des expériences précédentes, elle n’a pas été faite en laboratoire avec des sujets volontaires, mais chez des hommes de métier dans le contexte de leur mission, et il a fallu plusieurs mois pour que le faux souvenir soit intégré. De plus, c’est une question et non une affirmation qui a induit le faux souvenir, ce qui montre que les questions sont tout aussi suggestives que les affirmations. Ce qui est toutefois remarquable, c’est que dans cette expérience comme dans celles de Loftus, Wade, Garry, Read et Lindsay, etc., le pourcentage de ceux qui ont « retrouvé » un faux souvenir est de l’ordre de 25 à 30%.

On peut se demander s’il n’est pas contraire à l’éthique de manipuler la mémoire dans un but expérimental, mais, dans la mesure où ce pouvoir s’exerce dans des situations de la vie réelle, il est nécessaire de le connaître, de le mesurer et de le contrôler. De plus, la manipulation peut aussi être utilisée pour le bien de l’individu. En effet, si on ôte un souvenir désagréable qui empêche de vivre, cela offre un moyen de guérir de certains syndromes.

2013 –  L’hippocampe, des souris et des hommes

Les faux souvenirs font de nouveau le buzz avec la publication dans Science, le 26 juillet 2013, d’une découverte sur l’implantation d’un faux souvenir dans le cerveau de souris, un grand nombre de journaux ou de sites ont commenté cette nouvelle, voici quelques titres :
– « Des chercheurs en neurosciences implantent des faux souvenirs dans le cerveau. L’étude du MIT (Massachussets Institute of Technology) montre où se logent les traces des souvenirs, faux ou authentiques »,
– « Une révolution dans la compréhension des mécanismes de la mémoire. »,
– « Avec ces recherches, les scientifiques espèrent mieux comprendre le phénomène de « faux souvenirs » induits chez les hommes, parfois nés lors de séances de psychanalyse, comme nous l’expliquions dans cet article. »

Si les recherches en psychologie expérimentale menées par Elizabeth Loftus ont montré qu’il était possible d’induire de faux souvenirs par la suggestion, c’est la première fois que la recherche en neurosciences parvient à apporter un début de preuve que l’implantation de faux souvenirs dans le cerveau est possible. Jusque-là, cela était nié par certains psychothérapeutes et par des mouvements tels que le Recovered Memory Movement aux États-Unis et ignoré lors de procès de personnes accusées sur la base de témoignages se révélant par la suite faux grâce à des preuves apportées par les analyses de leur ADN.

Les nouvelles découvertes illustrent le fait qu’une souris peut être conduite à avoir peur dans une cage où elle a reçu des chocs électriques sur les pattes, puis qu’un souvenir peut être réactivé pour associer une autre cage avec le choc électrique. Les chercheurs Steve Ramirez et Xu Liu du Laboratoire Howard Hughes Medical Institute (HHMI) du MIT (Massachusetts Institute of Technology) à Boston, dirigé par le Professeur Tonegawa, en ont fait la démonstration. La manière dont les chercheurs du MIT ont mis en œuvre cette implantation d’un faux souvenir dans le cerveau est vraiment ingénieuse !

2013 – La guerre des souvenirs est-elle finie ?

Patihis_web
Une étude récente et complète, publiée dans Psychological Science, a été réalisée aux États-Unis en 2013 par Lawrence Patihis avec comme co-auteurs Élizabeth Loftus, Scott Lilienfeld et d’autres chercheurs. Il a recueilli les réponses de 1376 participants au total, dont 303 psychologues expérimentaux et de 332 psychologues cliniciens, et 406 étudiants en premier cycle en psychologie et du grand public.

L’étude en bref :
Bien que les recherches que nous avons résumées au début de l’étude ont révélé certains aspects des croyances des thérapeutes et des profanes sur la façon dont fonctionne la mémoire, on ne sait pas si les croyances au sujet de la mémoire refoulée ont spécifiquement changé de façon marquée dans les groupes clés depuis l’apogée de la guerre des souvenirs, et si oui, comment. L’étude est découpée en 2 parties :
Étude 1 :
Dans notre première étude, nous avons examiné ce que croient des étudiants sur la façon dont la mémoire fonctionne et comment les croyances de mémoire sont interdépendantes.
Conclusion:
Quatre-vingt-un pour cent des étudiants de premier cycle ont convenu dans une certaine mesure que « les souvenirs traumatiques sont souvent refoulés » et 70% sont d’accord dans une certaine mesure que les souvenirs refoulés peuvent être « récupérés dans la thérapie avec précision ». En outre, 86% ont indiqué que les abus sexuels sont plausibles dans le cas d’une personne qui a des problèmes émotionnels et qui a besoin de thérapie, même s’il ou elle n’a pas le souvenir d’un tel abus.
Étude 2 :
Dans notre deuxième étude, nous avons étudié des points de vue concernant le refoulement des souvenirs chez les psychologues, le grand public, et les étudiants de premier cycle. Nous avons comparé les croyances actuelles avec les croyances passées en utilisant des questions des études antérieures (Golding et al, 1996;.. Gore-Felton et al, 2000; YAPKO, 1994a, 1994b).
Conclusion
Moins de 30% des psychologues orientés vers la recherche (psychologues expérimentaux, membres de la Société pour la recherche appliquée en mémoire et Cognition, membres de la Société pour une science de la psychologie clinique et les chercheurs cliniques-psychologie) ont convenu que « les souvenirs traumatiques sont souvent refoulés ».
À l’opposé, au moins 60% des membres de tous les autres groupes de participants sont d’accord avec cette affirmation.
Une tendance similaire a émergé pour l’affirmation que  les souvenirs  refoulés peuvent être récupérés avec précision dans la thérapie; les groupes orientés vers la recherche ont rapporté moins de 25% d’accord, et les autres groupes ont rapporté au moins 43% d’accord.
Cela a marqué une scission entre les chercheurs, d’une part, et les cliniciens et le public, d’autre part. D’un autre côté, cela donne à penser que même s’il y a des indications de plus de scepticisme aujourd’hui que dans les années 1990, un fossé important existe entre les chercheurs et les cliniciens.

Les résultats fournissent cependant des preuves convergentes que le courant dominant des psychothérapeutes traditionnels et des psychologues cliniciens est plus prudent sur la récupération des souvenirs refoulés aujourd’hui par rapport à il y a 20 ans.

A la grande surprise des auteurs de l’étude, un fossé existe toujours entre les psychologues scientifiques et les psychologues cliniciens sur la croyance dans les souvenirs refoulés. On constate que la croyance dans le refoulement est encore très présente
– chez les praticiens en psychologie clinique,
– les psychanalystes
– et bien entendu chez les thérapeutes alternatifs (thérapeutes en PNL (Neuro-linguistic programming), en thérapie du système familial, hypnothérapeutes, thérapeutes champ de pensée TFT (Thought Field), auditeurs scientologues, thérapeutes du cri primal, etc…). C’est d’ailleurs la première fois qu’une étude se penche sur cette catégorie de thérapeutes.

A l’inverse les psychologues professionnels orientés recherche ou science, les psychologues cliniciens membres de Sociétés en Recherche Appliquée sur la mémoire et la cognition, les chercheurs universitaires sont 3 fois moins nombreux à croire à l’existence du refoulement et à la possibilité de retrouver les souvenirs refoulés en thérapie.

Patihis_tableau1_web

Patihis_tableau2_web

 J’ai donc demandé quelques éclaircissements  à Lawrence Patihis :

B.A : Pourquoi des thérapeutes croient-ils aux souvenirs refoulés ?

L.P : Les croyants et les sceptiques dans le refoulement sont remarquablement similaires en ce qui concerne l’intelligence et la personnalité. Ceux avec lesquels vous n’êtes pas d’accord ne sont pas nécessairement stupides et ils n’ont pas des personnalités inhabituelles. Sachant cela, cela pourrait aider les gens à se concentrer sur la preuve centrale plutôt que sur des attaques “ad hominem “.

Les esprits scientifiques font confiance à la vérité objective et prouvée expérimentalement, alors que certains cliniciens sont à la fois empathiques et émus par les récits de souvenirs refoulés de leurs clients, ils font confiance à la vérité du patient. Au cours de l’étude nous avons constaté, en effet, que ceux qui étaient les plus empathiques ont un peu plus tendance à croire en des souvenirs refoulés.

2013 – Faux souvenirs : même les plus doués y succombent

Psychotémoins_webLe site PsychoTémoins* (CNRS-INIST) animé par Frank Arnould a publié, le 21 novembre 2013,  en français, le résultat des études sur le sujet. Je cite :

Les personnes ayant une mémoire autobiographique exceptionnellement performante ne sont pas immunisées contre les faux souvenirs. En 2006, l’équipe dirigée par Elizabeth Parker, du département de neurologie de l’université de Californie, aux États-Unis, a décrit le premier cas d’une personne possédant une mémoire autobiographique tout à fait exceptionnelle. La jeune femme en question pouvait se souvenir avec une précision incroyable des détails de son passé dès qu’une date particulière lui était soumise. (La personne ayant tenu des journaux intimes pendant de nombreuses années, la précision de ses souvenirs a pu être vérifiée).
Intuitivement, on pourrait penser que les personnes présentant ce profil mnésique extraordinaire seraient moins vulnérables à la formation de faux souvenirs. Or, selon les résultats d’une nouvelle étude dirigée par Lawrence Patihis** et Aurora LePort, du département de psychologie et du comportement social de l’université de Californie. ce n’est pas du tout le cas. Lawrence Patihis a déclaré « C’est un paradoxe fascinant. En l’absence de désinformation, ces personnes ont ce qui semble être une mémoire autobiographique détaillée presque parfaite, mais elles sont vulnérables à des distorsions, comme n’importe qui d’autre […] Cela pourrait aider à éduquer les gens – y compris ceux qui utilisent les souvenirs comme des preuves, tels que des psychologues cliniciens et les professionnels de la justice – sur l’existence des faux souvenirs. »
L’équipe californienne estime que ces nouvelles connaissances permettront un jour de prévenir la formation des faux souvenirs. Le détail de ces travaux est publié dans les Proceedings of the National Academy of Sciences. Lire l’article complet ici.

* –   Le site a cessé  son activité par suite d’une restriction de budget. C’est dommage!
**-  Lawrence Patihis travaille dans le groupe de recherche d’Élizabeth Loftus.

2013 – Un nouveau regard sur la fiabilité des témoignages d’enfants

Le site PsychoTémoins* (CNRS-INIST)  a publié, le 19 novembre 2013,  en français, le résultat des études sur le sujet :
Binet_webContrairement à une idée couramment admise, une série de travaux récents indiquent que, dans certaines circonstances, les jeunes enfants produisent moins de faux souvenirs que les enfants plus âgés et les adultes. Jusqu’à récemment, un consensus s’était forgé chez les experts scientifiques et les acteurs du monde judiciaire : les enfants sont des témoins moins fiables que les adultes parce qu’ils sont plus sensibles aux suggestions et aux distorsions de la mémoire. Cette idée est ancienne et remonte notamment aux travaux du psychologue français Alfred Binet (Binet, 1900).

Or, ces dernières années, de nouvelles données expérimentales sont venues ébranler ce consensus. En effet, plusieurs équipes de recherche ont observé que les jeunes enfants produisaient parfois moins de faux souvenirs que leurs camarades plus âgés et les adultes ! Il s’agit donc d’une évolution contre-intuitive des faux souvenirs avec l’âge, une sorte d’inversion développementale (Brainerd & Reyna, 2012 ; Brainerd, Reyna, & Ceci, 2008).[…]

Pour Charles Brainerd, les recherches récentes sur l’inversion développementale des faux souvenirs remettent en cause les idées classiques sur la fiabilité de la mémoire des enfants par rapport à celle des adultes : « […] il est maintenant bien établi que les faux souvenirs peuvent augmenter de manière spectaculaire avec l’âge et, par conséquent, il n’est plus tenable de soutenir le principe selon lequel les témoignages d’enfants sont intrinsèquement plus contaminés par les faux souvenirs que les témoignages d’adultes », conclut-il (p. 340, notre traduction). Lire l’article complet ici.

2013 – Entretien cognitif avec le témoin et faux souvenirs

Psychotémoins_webLe site PsychoTémoins* (CNRS-INIST)  a publié, le 21 octobre 2013,  en français, le résultat des études sur le sujet :

L’entretien cognitif, méthode permettant de recueillir un plus grand nombre d’informations correctes sur un crime, peut-il protéger la mémoire des témoins oculaires contre les faux souvenirs suggérés ?

L’entretien cognitif est une procédure permettant de recueillir, auprès du témoin ou de la victime, un plus grand nombre de détails corrects que celui obtenu au moyen d’un entretien standard de police (voir Demarchi & Py, 2006, Ginet, 2003, et Memon, Meissner et Fraser, 2010, pour des synthèses récentes des travaux). Il repose, notamment, sur l’utilisation d’outils de communication et intègre différentes aides mnémotechniques construites à partir des résultats de la recherche cognitive sur la mémoire. Son utilisation est enseignée aux policiers dans de nombreux pays, dont la France.[…]

Une étude, dont les résultats vont paraître dans la revue Applied Cogntive Psychology, vient tempérer l’espoir des chercheurs concernant l’effet protecteur de l’Entretien Cognitif contre les faux souvenirs suggérés (LaPaglia, Wilford, Rivard, Chan, & Fisher, à paraître). L’expérience montre en effet que les participants ayant d’abord été interrogés à l’aide d’un Entretien Cognitif à propos d’une scène de vol sont les plus enclins à rapporter, dans un test final de leur mémoire des faits, de fausses informations qui leur ont été communiqués entre temps, et ce, par rapport aux participants ayant été initialement interrogés à l’aide d’un test de rappel libre des faits. Les chercheurs ont conclu que si l’Entretien cognitif permettait bien de recueillir un plus grand nombre de détails corrects sur un crime (ce qu’a d’ailleurs confirmé leur propre expérience), il n’immunisait pas forcément contre les faux souvenirs suggérés.

Effet de génération et faux souvenirs

À la fin des années 70, les psychologues Norman Slamecka et Peter Graf découvrent que les sujets de leurs expériences se souviennent bien mieux de mots après les avoir générés eux-mêmes qu’après les avoir simplement lus (Slamecka & Graf, 1978). La mémorisation d’informations est donc facilitée si l’apprentissage est actif plutôt que passif.

Cet effet de génération n’aurait pas que des effets bénéfiques pour la mémoire. Des informations erronées et générées par soi-même seraient une source potentiellement très puissante de faux souvenirs. C’est bien ce qu’indique l’étude d’Amina Memon et de ses collègues relatée ci-dessus, mais aussi d’autres travaux récents (par exemple, Lane & Zaragova, 2007). Les témoins oculaires de ces expériences doivent générer eux-mêmes des informations trompeuses, en étant forcés à répondre à des questions pour lesquelles ils ne détiennent pas la solution. Ces questions portent, en effet, sur des détails absents de la scène de crime. Les témoins sont donc contraints de les inventer. Ces réponses fabriquées et autogénérées ont alors tendance à se transformer en faux souvenirs. Lire l’article complet ici.

Psychotémoins_webLire aussi le récapitulatif INIST des articles  “Faux souvenirs et suggestibilité”  ici. Une mine ! Je tiens à souligner le travail exceptionnel de Frank Arnould. Lorsqu’il m’a annoncé l’arrêt de son activité en 2014, j’en ai éprouvé  une grande tristesse. Un grand merci à vous.

2013 – La métaphore du “mammouth laineux”. Pourquoi de nombreux psychologues cliniciens résistent à la pratique fondée sur les preuves?

Clinical Pychology_web
Scott O. Lilienfeld, Lorie A. Ritsche, Steven Jay Lynn, and all. publient dans le numéro de novembre 2013 de la revue Clinical Psychology un article intitulé : “Why many clinical psychologists are resistant to evidence-based practice: Root causes and constructive remedies”.
Ils rappellent notamment la métaphore du “mammouth laineux” pour caractériser le rôle des événements de l’enfance dans les thérapies psychodynamiques traditionnelles. Selon cette métaphore largement utilisée, les douloureux souvenirs d’enfance sont enfouis dans l’inconscient sous leur forme primitive originale (un peu comme les mammouths laineux conservés intacts dans la glace de l’Arctique) et continuent d’affecter négativement le comportement actuel des patients. Les psychanalystes traditionnels croient ainsi que les thérapeutes doivent revisiter l’enfance de leurs clients pour traiter ces souvenirs d’enfance et éradiquer ainsi l’influence des souvenirs funestes sur le fonctionnement actuel du patient.
Les auteurs écrivent :
Au milieu des années 1990, plusieurs enquêtes (Polusny & Follette, 1996; Poole, Lindsay, Memon, et Bull, 1995) ont révélé que près d’un quart des psychothérapeutes au niveau doctorat utilisaient deux ou plusieurs techniques suggestives, pour sonder les souvenirs refoulés d’abus, incluant l’hypnose, l’imagerie guidée, et le questionnement répété comme :
– Êtes-vous sûre que vous n’avez pas été abusée?
– Je vous encouragerais à continuer à y penser.
On peut douter que les cliniciens contemporains connaissent plus qu’auparavant les risques de création de faux souvenirs avec les procédures suggestives. D’ailleurs deux études récentes démontrent que les croyances douteuses concernant la mémoire et les techniques de récupération de souvenirs sont toujours utilisées par de nombreux professionnels de la santé mentale. Dans une étude sur 220 praticiens professionnels de la santé mentale du Canada, incluant 76 psychologues, Legault et Laurence (2007) ont trouvé que :
– 41% des psychologues étaient d’accord avec la phrase “l’hypnose permet aux gens de se souvenir des choses dont ils ne se souviendraient pas autrement” (p. 121) et que de façon plus remarquable
– 67% des psychologues conviennent que “l’hypnose peut être utilisée pour récupérer des souvenirs ou des événements réels remontant à aussi loin que la période de leur naissance”(p. 121).
– 27% des psychologues ont souscrit à l’opinion que “les souvenirs récupérés doivent être fiables parce que personne ne veut avoir été abusé comme enfant” (p. 122).

Le travail pour corriger ces croyances erronées est donc immense, en France aucune étude de ce type n’est faite, mais on imagine les résultats dans un pays où l’idéologie freudienne est aussi prégnante.

2014 – Quelle est la validité scientifique du refoulement ?

mcnally_webRichard McNally est Professeur de psychologie à l’Université Harvard, expert des troubles de l’anxiété. Il a effectué des recherches sur le fonctionnement cognitif des adultes qui rapportent des histoires d’abus sexuel infantile. Il a répondu à quelques-unes de mes questions.

BA : Refoulement, amnésie traumatique, amnésie dissociative, amnésie dissociative traumatique : est-ce la même chose ?

RMcN : Les différences entre ces termes sont insignifiantes et sans rapport avec le débat sur les souvenirs refoulés et retrouvés de traumatismes. Tous ces termes impliquent que quelqu’un encode une ou des expérience (s) traumatique (s), puis devient incapable de rappeler le souvenir du traumatisme parce quil a été trop traumatisant.

Pourtant, comme l’illustre le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) de façon si spectaculaire, les personnes gravement traumatisées ne se souviennent que trop bien de leur traumatisme. Elles en éprouvent des souvenirs intrusifs, des souvenirs bouleversants, mais pas une incapacité à s’en souvenir. En fait, la notion que l’on peut être gravement traumatisé et totalement ignorant d’avoir été traumatisé – grâce au « refoulement » – est un morceau de folklore dénué de tout fondement scientifique convaincant. (« Thanks to repression is a piece of folklore devoid of convincing scientific support. »)

BA : Vous avez effectué des recherches sur les souvenirs refoulés, pourriez-vous en expliquer la teneur ?

RMcN : J’ai mené des recherches en laboratoire sur les personnes présentant des souvenirs “retrouvés” d’abus sexuels dans l’enfance, des gens qui croyaient qu’ils avaient été victimes d’abus, mais qui n’en avaient pas de souvenirs, des personnes qui ont déclaré n’avoir jamais oublié leur abus, et des personnes qui ont déclaré n’avoir jamais été victimes d’abus. Nous avons étiqueté ces groupes :
1) le groupe de la mémoire retrouvée,
2) le groupe des souvenirs refoulés,
3) le groupe de la mémoire continue,
4) le groupe de contrôle.

Les objectifs poursuivis

1 – Nous avons vérifié si nos sujets des souvenirs « refoulés » et des souvenirs « retrouvés » étaient plus aptes en laboratoire  à oublier l’information liée à un traumatisme que nos sujets de la mémoire « continue » et que ceux du groupe « de contrôle ». Ils ne l’étaient pas.

2 – Nous avons également vérifié si (en laboratoire) les deux premiers groupes ont démontré une propension à développer de faux souvenirs à l’aide du paradigme simple de McDermott

(Deese–Roediger–McDermott (DRM) paradigm), qui utilise une liste de mots pour étudier les faux souvenirs. Nous avons prouvé leur propension à développer de faux souvenirs.

3 – Nous avons procédé à d’autres expériences et obtenu des résultats similaires avec des sujets dont les souvenirs étaient probablement faux (c’est-à-dire des souvenirs de vies antérieures et d’enlèvements par des extraterrestres).

Toutefois, cette propension ne prouve pas que leurs souvenirs d’abus sexuels soient faux ; mais c’est une possibilité.

Autrement dit, la recherche en laboratoire peut tester des hypothèses sur les mécanismes censés opérer pour les souvenirs « refoulés » ou pour de faux souvenirs d’abus sexuels, mais on ne peut pas éthiquement induire de tels souvenirs en laboratoire.

2014- Sur quels critères les thérapeutes de la « mémoire retrouvée » basent-ils leur pratique ?

0040501-11KH Scott Lilienfeld, Professor of PsychologyScott O. Lilienfeld est Professeur de psychologie à l’Université Emory à Atlanta. Ses principaux domaines de recherche sont les désordres de la personnalité, les diagnostics et classifications psychiatriques, les pratiques en psychologie basées sur les preuves et les challenges posés par la pseudoscience en psychologie clinique. Il a répondu à quelques-unes de mes questions.

BA : Quelle est la position de la communauté scientifique  sur  le phénomène des faux souvenirs?

SL : Cette croyance n’est pas étayée par des preuves scientifiques. En fait, elle est fortement contredite par les preuves. Ces faits expliquent pourquoi elle a été rejetée par la grande majorité de la communauté de la science psychologique, notamment d’éminents experts sur la science de la mémoire. Ironiquement, même Freud lui-même, qui a d’abord cru aux souvenirs retrouvés d’abus d’enfants, a fini par penser que ces « souvenirs » étaient en fait des fausses reconstructions, qui ont souvent été implantées par inadvertance par des psychothérapeutes.

Autrement dit, il n’existe aucun mécanisme de mémoire connu où la remémoration soudaine de souvenirs oubliés depuis longtemps peut se produire. De nombreuses études démontrent que les personnes qui ont subi un traumatisme terrible, comme le viol brutal, le combat en première ligne pendant la guerre ou des expériences de l’Holocauste, ne les oublient pas. En fait, comme le trouble de stress post-traumatique le démontre amplement, la plupart du temps ces gens ne se rappellent ces expériences que trop bien. Bien sûr, dans de rares cas, les personnes oublient des expériences traumatisantes. Mais la plupart de ces cas isolés peuvent être expliqués par d’autres causes, telles que des lésions cérébrales résultant de la guerre ou, dans une étude largement citée, un coup de foudre qui a fait perdre conscience à une personne.

BA : Peut-on créer de faux souvenirs ?

SL : Comme je l’ai dit plus haut, il y a peu ou pas de soutien scientifique à l’existence des souvenirs retrouvés. Il est vrai que certains adultes semblent retrouver des souvenirs précis de traumatismes de l’enfance en psychothérapie ou sous hypnose. Souvent, ces souvenirs apparents émergent à la suite de questions suggestives répétées et d’instructions par des thérapeutes, bien intentionnés, mais mal formés. Mais ces souvenirs n’ont pratiquement jamais été corroborés par des données indépendantes, telles que les informations du dossier médical.[…]

Des études montrent que la plupart des gens peuvent être tout à fait convaincus de la véracité de certains souvenirs qui sont manifestement faux. Par exemple, des études systématiques des souvenirs d’événements hautement émotionnels, comme l’explosion en 1986 de la navette spatiale américaine Challenger, la mort de la princesse britannique Diana à Paris en 1997 ou les attaques terroristes du 11 septembre à New York montrent que beaucoup de gens sont convaincus de détails spécifiques de ces événements, qui sont en fait faux.

Les données montrent que de nombreux Américains se souviennent nettement avoir vu en direct à la télévision le premier avion frapper l’une des tours du World Trade Center ; en fait, ce souvenir est impossible parce que cet événement n’a pas été diffusé à la télévision en direct et n’est devenu disponible sur une cassette vidéo que bien après que les attaques se sont produites (seule la collision du deuxième avion a été diffusée à la télévision en direct).

BA : Quel est votre avis sur la prise en compte des souvenirs retrouvés comme preuves, pour justifier l’allongement du délai de prescription dans la loi française ?

SL : Si le Parlement Français modifie la loi pour permettre la présentation de la mémoire retrouvée comme preuve, il ira à l’encontre d’énormes quantités de données et de connaissances scientifiques bien établies en ce qui concerne les mécanismes de la mémoire. Les dernières décennies de recherche médicale et psychologique nous ont apporté un enseignement puissant, mais largement négligé : une tradition clinique bien établie n’est pas toujours équivalente à la preuve scientifique. Nous devons nous tourner vers des données bien établies, pas vers des intuitions viscérales (“gut hunches”). Nous devons distinguer les faits scientifiques de la fiction scientifique. Si nous ne le faisons pas, nous risquons de faire subir un préjudice grave à des personnes innocentes et à leurs familles.

2014 – Est-il possible de différencier  un faux souvenir et un vrai souvenir ?

Loftus

Elizabeth Loftus est Psychologue et Professeur à l’Université de Californie à Irvine (UCI), auteur d’une vingtaine de livres et de plus de 400 publications scientifiques, Elizabeth Loftus est reconnue comme l’une des meilleures expertes américaines de la mémoire.

BA : J’ai demandé à Elizabeth Loftus s’il est possible de différencier  un faux souvenir et un vrai souvenir ?

EL : – Oui, si on peut vérifier que l’événement remémoré s’est réellement produit : témoignages, examens cliniques, présence de traces, ADN, ce qui constitue la « corroboration ou confirmation indépendante » du récit lui-même.

– Non, pour la majeure partie des souvenirs retrouvés en thérapie qui n’avaient jamais existé jusque-là et qui portent sur des événements qui se sont passés 20 à 30 ans auparavant.

BA : Pourtant les souvenirs “retrouvés”  peuvent être vivaces et précis ?

EL : Les critères invoqués de clarté, précision, vivacité, émotion, qui accompagnent le récit ne sont pas probants : un faux souvenir peut être aussi clair, précis, vif, émotionnel, qu’un vrai. Le problème n’est pas que tous les souvenirs induits ou retrouvés soient faux, le problème est que la probabilité qu’ils soient faux n’est pas négligeable et qu’il n’y a aucun moyen de le vérifier en dehors d’une confirmation extérieure.”

2014 – Souvenirs refoulés (Davis & Loftus, mai 2014)

Au début des années 1980 et plus encore dans les années 1990, des dizaines de revendications juridiques ont été déposées par les victimes présumées, alléguant qu’elles avaient récemment “récupéré” des souvenirs d’abus sexuels qui avaient été « refoulés » pendant des périodes s’étendant sur plusieurs années ou plusieurs décennies (Loftus et Ketcham, 1994 ; Pendergrast, 1995).

Les nombreuses questions soulevées par ces affirmations sont parmi les plus controversées de l’histoire de la psychologie.

  •  Un phénomène, tel que le  refoulement, existe-t-il ?
  • Si oui, peut-on vraiment refouler les souvenirs  d’événements dramatiques et aussi personnellement traumatisants que les horreurs de la guerre ou les abus sexuels, commis par des auteurs aussi proches que les membres de la famille, le clergé, les cultes sataniques ou simplement le voisin d’à côté ?
  • Si oui, ces souvenirs refoulés peuvent-ils être récupérés intacts, même après de nombreuses décennies, exempts de toute fabrication ou de distorsion ?
  • D’autre part, les images et les pensées ressenties comme de vrais souvenirs peuvent-elles être fausses ?
  • Ces souvenirs, qui semblent réels et vifs même si les événements ne sont jamais arrivés, peuvent-ils être en quelque sorte fabriqués de toutes pièces (from whole cloth). Si oui, par quels processus ?
  • Comment pouvons-nous connaître la différence entre des souvenirs réels et de faux souvenirs?
  • Fondamentalement, comment pouvons-nous connaître les réponses à ces questions?
  • Y a-t-il des méthodes scientifiques disponibles et adéquates pour enquêter sur ces questions?

Les différentes solutions de la controverse sont peu susceptibles d’être acceptées par la vaste communauté thérapeutique et la communauté scientifique, en partie parce qu’elles s’appuient sur des critères de vérité différents pour évaluer la question. Alors que la communauté scientifique exige des preuves scientifiques à l’appui de n’importe quelle position, la communauté des thérapeutes est plus convaincue par la réalité subjective de leurs expériences et de celles de leurs clients.

2015 – L’aveu, la « reine des preuves » ?

2015 05 03 julia shaw_rec_webUne étude anglo-canadienne, conduite par les psychologues Julia Shaw , notre photo, (University of Bedfordshire) et Stephen Porter (University of British Columbia) et réalisée avec 60 sujets de 20 à 31 ans, vient d’être publiée dans la revue Psychological Science de janvier 2015, sous le titre « Constructing Rich False Memories of Committing Crime » .

À l’issue des trois entretiens, 70 % des sujets ont fait le récit détaillé du faux souvenir induit par l’expérimentateur. Ils se sont « souvenus » d’avoir été les auteurs d’un crime qu’ils n’ont pourtant jamais commis !

Ces résultats confirment ainsi les travaux de chercheurs sur les faux souvenirs induits, tels que ceux d’Elizabeth Loftus . L’étude de Julia Shaw et Stephen Porter est la première à démontrer de manière expérimentale la facilité avec laquelle des techniques suggestives d’interrogatoire peuvent provoquer chez une personne la formation de faux souvenirs d’actes criminels et induire leur aveu.

2015 – L’amnésie infantile

Freud pensait que l’amnésie sur les premières années de notre vie était due au refoulement de la sexualité infantile. Selon lui, cette amnésie durait jusqu’à la puberté. Or, cette théorie est infirmée par les recherches en neurosciences.

Le phénomène d’amnésie infantile est un des résultats de la construction de la mémoire et du langage et se produit sur une période où l’enfant ne peut pas mettre de mots sur ses expériences personnelles et ne peut les raconter. Les adultes peuvent rappeler des souvenirs d’enfance, dont les plus anciens remontent à l’âge de trois ou quatre ans, lorsque on peut le vérifier.

La première enquête, en 1896, – que peu de psychologues ont contribué à faire connaître – sur la date des premiers souvenirs d’enfance a été faite par Victor et Catherine Henri.

Dans les années 1940, aux États-Unis, l’intérêt pour ce thème fut relancé sous l’influence de la psychanalyse. C’est ainsi qu’en 1948, Waldfogel [2] mena une enquête sur 124 étudiants pour lesquels 486 souvenirs furent rapportés. Les résultats confirmèrent ceux de l’étude des Henri et montrèrent que les souvenirs rappelés dépendaient à la fois du développement du vocabulaire de 1 à 7 ans et de la capacité à raconter un événement à partir de 4 ans. Ils mirent aussi en évidence que la plupart des premiers souvenirs étaient des images visuelles associées à des émotions fortes, aussi bien positives que négatives, telles que la joie, la tristesse, la peur, etc.

Les enquêtes ultérieures confirmèrent que l’évolution des souvenirs était fonction du développement général de l’enfant et que l’amnésie infantile était liée au manque d’éléments de représentation linguistique et non pas au refoulement inconscient, qui n’a jamais pu être prouvé de manière empirique et que certains thérapeutes adeptes des « thérapies de la mémoire retrouvée » nomment maintenant amnésie dissociative traumatique. Cela lui donne une connotation scientifique, sans en changer pour autant la définition infondée ni l’explication ad hoc par l’inconscient psychique freudien. Cette dénomination rappelle abusivement celle d’amnésie traumatique. Ce type d’amnésie temporaire dure de quelques jours à quelques semaines et se produit après un choc crânien ou un accident. Il est prouvé scientifiquement.

2015 – Le guide de l’hypnose

le-Guide-de-l'hypnose_webIl s’agit d’un ouvrage collectif, introduit et dirigé par le Dr Jean-Marc Benhaiem, entouré de dix médecins, psychiatres, psychothérapeutes, anesthésistes ou addictologues et d’une psychologue clinicienne. Tous sont spécialisés dans l’hypnose thérapeutique et médicale.

Mais nulle part, je n’ai trouvé dans ce guide la mise au point très importante, aussi bien pour les professionnels que pour les patients, que J.-M. Benhaiem avait faite dans un article du Huffington Post, le 23 décembre 2013, sous le titre « L’hypnose ne permet pas de retrouver la mémoire de faits réels… » : « L’hypnose peut créer de faux souvenirs parce qu’elle a pour objectif le soulagement de la souffrance. Mais ces souvenirs n’ont aucune valeur pour la Police ou la Justice : ils sont fabriqués de toute pièce. La vraie application de l’hypnose n’est pas la remémoration, mais l’oubli. La plupart des pathologies obsessionnelles, les regrets, la rumination, les plaintes, les culpabilités et les douleurs, attendent leur remède : l’oubli. Oublier n’est pas ne pas savoir. Oublier c’est ne plus se référer au passé pour exister. Tous ceux qui veulent réactiver le passé devraient penser qu’ensuite il leur faudra oublier pour trouver un apaisement ».

Par ailleurs, si le chapitre « Hypnose et anesthésie » fait référence à plusieurs études qui montrent nettement les apports de l’hypnose dans ce domaine, d’autres chapitres, tels que « Hypnose et addictions, un désenvoûtement ? » en manquent singulièrement. Les références bibliographiques et les témoignages ne suffisent pas pour convaincre de l’efficacité de l’hypnose dans le traitement des addictions ou des syndromes de stress post-traumatiques.

2015 –CANNABIS: Il emmêle le réel et l’imaginaire 

Cette étude espagnole,  publiée le 26/04/2015, menée avec l’utilisation de techniques de neuro-imagerie, a comparé les souvenirs de consommateurs de cannabis à ceux de témoins, afin d’identifier des différences dans la rétention de séries de mots. Elle démontre pour la première fois que les consommateurs de cannabis ont un hippocampe moins actif, une structure clé impliquée dans le stockage des souvenirs. Pour le coup, ces usagers sont plus enclins à mélanger le vrai et le faux, à créer des distorsions de mémoire et à développer de faux souvenirs. Ces travaux, présentés dans la revue Molecular Psychiatry, suggèrent aussi qu’un usage chronique de cannabis pourrait accentuer les problèmes de mémoire liés à l’âge.

2016-04-09-grahique-cannabiUn aspect inconnu de l’usage du cannabis à long terme est son potentiel de perturber les mécanismes de la mémoire et de surveillance de la réalité qui permettent normalement de distinguer entre les événements véridiques et   les  imaginaires.
Les souvenirs d’événements qui ne se sont jamais produits, ou  faux souvenirs, se retrouvent dans des affections neurologiques et psychiatriques. Ils ont été décrits dans le syndrome stress post-traumatique, la psychose, les troubles dissociatifs mais aussi dans les  faux souvenirs “retrouvés” en thérapie,   et en cas de fabulation ou «mensonge honnête» associée à des aveux de crimes qui n’ont pas été commis, entre autres.
Le cannabis est parfois prescrit** par des psychiatres et des psychothérapeutes (sous supervision médicale) , notamment à l’étranger,  pour supprimer ou atténuer des troubles de l’anxiété par exemple .
Les données suggèrent que le cannabis aurait un effet prolongé sur les mécanismes cérébraux qui nous permettent de faire la différence entre le réel et l’imaginaire.
L’effet pourrait aller jusque-là se rappeler ce qui n’est jamais arrivé, précisent les auteurs, notre mémoire se construisant progressivement et étant vulnérable à ces distorsions. Ainsi, ces  » faux souvenirs  » sont fréquemment identifiés dans plusieurs troubles neurologiques et psychiatriques, et deviennent plus fréquents avec l’âge.

Nous avons tous nos faux souvenirs, sur notre enfance par exemple. Le contrôle sur la “véracité” de nos souvenirs est une tâche cognitive complexe qui, en fait, nous permet d’avoir notre propre sens de la réalité.

Les résultats de l’étude indiquent que les consommateurs de cannabis   ont une sensibilité accrue à des distorsions de la mémoire même lorsqu’il s’agit  d’abstinents momentanés ou définitifs et sans trace résiduelle de la drogue, ce qui suggère une altération durable des mécanismes de la mémoire et de contrôle cognitif impliqués dans le suivi de la réalité.

** Voici par exemple un  d’un traitement au cannabis prescrit au Canada pour dépression, anxiété et  TOC sous supervision médicale et le résultat :
La posologie proposée est  de 1,6 gramme par jour d’un produit qui contient 9% de THC et 9% de CBD.  Le 
cannabis est administré par inhalation toutes les trois heures, jour et nuit. Ce traitement permet de faire disparaître presque entièrement les symptômes dépressifs, l’ anxiété, tout comme les TOC.
Au bout de quelques mois  le souvenir de son père qui la violait a surgi dans son esprit, mais elle n’a pas clairement vu le visage de son père en raison de la noirceur (la nuit), Elle se souvient d’avoir crié par en dedans…. “

Sources:
Santé Blog
Molecular Psychiatry 31 March 2015
Telling true from false: cannabis users show increased susceptibility to false memories (Visuel@ Hospital Sant Pau)

2016 – Serait-il éthique d’implanter des faux souvenirs en thérapie ?

Dans une étude publiée dans la revue Applied Cognitive Psychology, Robert Nash, psychologue et Maître de Conférences à l’Aston University, traite de la question de l’éthique des faux souvenirs implantés en thérapie. ( lire l’article)
Il dit : ” Ce qui est important c’est que tout comme les souvenirs d’événements qui ont vraiment eu lieu, nous savons que même les faux souvenirs peuvent influencer la façon dont nous nous comportons.”
Dans une nouvelle étude financée par la Welcome Trust et publiée dans la revue Applied Cognitive Psychology, il décrit une « thérapie de faux souvenirs » fictive, pour des personnes obèses, appliquée à près d’un millier de membres du public au Royaume-Uni et aux États-Unis qu’il appelle la “False Memory Diet.” *
La question posée aux participants était : Est-ce que cette thérapie fictive est acceptable?
De façon spectaculaire, il y avait très peu de consensus sur la réponse. En effet :

  • 41% des répondants ont dit qu’il serait généralement inacceptable pour un thérapeute de les traiter de cette façon si ils étaient obèses,
  • 48% ont dit que ce serait acceptable.
  • un peu plus d’un quart des gens ont dit que la thérapie serait totalement contraire à l’éthique, et
  • un sur dix croit que ce serait complètement éthique.

Certains ont été principalement troublés par la mécanique de la thérapie, soulignant que la notion de professionnels de la santé mentant à leurs patients est extrêmement contraire à l’éthique.

“Pour beaucoup de gens, l’idée la plus troublante est que l’implantation de faux souvenirs nous priverait de notre libre arbitre et de l’authenticité – nos personnalités ne seraient plus authentiques, nos décisions de vie plus vraiment les nôtres.” […]
“Réfléchir à ce champ de mines éthique peut nous rappeler que les souvenirs sont parmi nos atouts les plus précieux. “

* Des adultes peuvent être amenés à croire à tort qu’avoir mangé certains aliments  ( asperges, œufs durs…) étant enfants les avait rendus malades et que ces fausses croyances peuvent avoir des conséquences à l’âge adulte. Élisabeth Loftus et ses étudiants avaient notamment piégé et filmé le journaliste Alan Alda en reportage pour le programme TV  “Scientific American Frontiers.” , qui avait refusé des œufs durs au cours d’un pique-nique à l’Université d’Irvine, « il avait alors un drôle de regard crispé ».

2016 – Une interview de Julia Shaw

Publiée le 1 Octobre 2016 sur Atlantico

Atlantico: Vous vous définissez comme une “hackeuse de la mémoire”.
Pouvez-vous expliquer en quoi consistent précisément vos méthodes de recherche ? Comment arrivez-vous à modifier la mémoire humaine de vos cobayes ?

Je me définis comme une “hackeuse de la mémoire” car je peux délibérément déformer le souvenir de quelqu’un. Je hacke les souvenirs d’une personne en lui parlant. En réalité, c’est assez facile. Au cours de trois entretiens amicaux, j’arrive à faire en sorte qu’elle confonde son imagination avec un souvenir. Mes participants croient que je sais des choses à propos d’eux qu’ils ont oubliés, je parviens donc à leur faire s’imaginer de façon répétée des évènements tels ils auraient pu arriver. Peu à peu, tandis que les expériences deviennent plus complexes et créatives, il devient de plus en plus dur pour eux de les distinguer d’une expérience réelle.

A la fin de mes trois sessions, plus de 70% de mes participants pensent avoir commis un crime qui ne s’est jamais produit ou avoir fait l’expérience d’un autre événement émotionnellement éprouvant qui n’a jamais eu lieu.

A : Dans votre dernier livre, The Memory Illusion, vous dites arriver à créer “de faux souvenirs”. A quoi cela peut-il correspondre ? Avez-vous des exemples concrets de créations de “faux souvenirs” ?

Julia Shaw : La mémoire est constituée d’un réseau de cellules cérébrales qui change naturellement au fil du temps. Ces cellules cérébrales peuvent être combinées et recombinées, et à la fin elles peuvent s’associer dans des manières qui ne représentent pas vraiment ce qui s’est passé.

Cela est en partie dû au fait que la mémoire est un processus social, et qu’à chaque fois que nous partageons un souvenir, nous le changeons selon la version des événements des autres, ce qui modifie le récit sur le moment. C’est peut-être pour cela que les souvenirs deviennent “meilleurs” à chaque fois qu’on les raconte. Nous sélectionnons les plus intéressants, oublions ceux qui le sont moins, et ajoutons des fragments de fiction en chemin.

A : Serons-nous bientôt en mesure de faire l’inverse : effacer un souvenir bien réel, mais douloureux et pénible, de notre mémoire ?

Julia Shaw : Les scientifiques spécialistes de la mémoire sont déjà en train d’effacer des souvenirs. Une équipe de scientifiques à Amsterdam traite avec succès les phobies en modifiant les souvenirs et les réactions liées à la peur à l’aide de drogues qui rendent les souvenirs plus malléables.

Lire la suite dans l’article intitulé Ca va swinguer… : modifier nos souvenirs ou en créer de nouveaux est désormais possible.

2016 – Je me souviens donc je me trompe ( l’état de la connaissance scientifique )

ARTE a diffusé le samedi 10 décembre 2016 à 22h35, en co-production avec CNRS Images, un reportage consacrée à la recherche sur les faux souvenirs. J’ai enregistré pour les visiteurs du site les 23 premières minutes ( à visionner sur ma page Audio/vidéo).
Les plus grands scientifiques mondiaux de la mémoire y ont contribué :
américains : Prof. Élizabeth Loftus, Prof. Daniel Schacter, Thomas Ryan (MIT); Prof. Suzumu Tonegawa;
allemands : Prof. Jan Born (Univ. Tübingen);
japonais : Prof. Hinomu Tanimoto (Univ. Tohoku à Sendaï);
français : Prof. Pascal Roulet (neurobiologiste CNRS), Karim Benchenane (CNRS), Prof. CHU Philippe Birmes, Romain Bouvet (CNRS).
Ils expliquent en français l’état de la connaissance scientifique sur la mémoire.

Extraits :
Comme le rêve, la mémoire dilue les couleurs, modifie les images, et falsifie les histoires. C’est un secret troublant que les laboratoires du monde entier sont en train de mettre au jour. Nos souvenirs sont fragiles, influençables. Quelle confiance accorder à ces souvenirs qui nous sont si précieux ? Pour quelle raison saugrenue notre cerveau nous raconte-t-il toutes ces salades ? Bienvenue dans le monde déroutant de la mémoire falsifiée. Le reportage est une enquête sur les infidélités de notre mémoire. On va suivre en 52 minutes la brigade scientifique des faux souvenirs.

Élizabeth Loftus a été la première à débusquer les faux souvenirs en 1974. Pour elle tous les souvenirs sont suspects et en particulier ceux de notre petite enfance. Si vous chérissez particulièrement les vôtres, alors n’écoutez pas ce qu’elle va vous dire. Les images qui vous trottent dans la tête vous les avez reconstruites. Et vos souvenirs plus récents sont truffés d’approximations, d’inventions, d’erreurs et de détails rajoutés à postériori. Notre mémoire peut être contaminée de toutes sortes de façons. N’allez pas croire que vous êtes immunisés contre les faux souvenirs, ils s’immiscent partout et chez chacun d’entre nous. En cause le fonctionnement même de notre cerveau, probablement la machine la plus complexe jamais inventée par le vivant. Le mécanisme de la mémoire commence à peine à se dévoiler. Elle dit: « Je suis convaincue que les faux souvenirs constituent un problème majeur dans notre société, j’en suis persuadée en partie à partir du nombre d’erreurs judiciaires qui ont été découvertes, des tests ADN ont étés pratiqués et ont permis d’innocenter plusieurs centaines de personnes. Des gens ont passé 10, 15, 20 ans en prison pour des crimes qu’ils n’ont pas commis, on le sait aujourd’hui. Quand vous vous intéressez à ces cas, vous constatez que c’est en général une mémoire défaillante qui a conduit à de telles erreurs«

Daniel Schacter, à Harvard, l’un des membres éminents de la brigade des faux souvenirs, s’est donné pour mission de prendre notre cerveau en flagrant délit de falsification à l’aide de l’imagerie cérébrale, car une IRM ne ment pas. Il a scanné de nombreux cerveaux pour tenter de découvrir la signature des faux souvenirs. Par l’imagerie cérébrale il tente de voir le cerveau se tromper en temps réel. Il trouve que le cerveau fait bien la différence entre un vrai et un faux souvenir, mais il discrimine le vrai du faux à notre insu. Pourquoi n’en avons nous pas conscience ? Quel phénomène entretient la confusion entre le vrai et le faux ? Pour Daniel Schacter la réponse est aussi dans l’imagerie cérébrale. Il a découvert que notre conscience ne faisait pas vraiment la différence entre se souvenir pour de vrai et imaginer quelque chose de très proche. Dans les 2 cas les mêmes zônes du cerveau sont activées, l’origine des caprices de notre mémoire se trouve peut-être là. Il dit: « La mémoire a beaucoup en commun avec l’imagination, imaginer et se souvenir sont 2 choses très similaires. Dans nos expériences beaucoup des régions activées sont les mêmes dans les 2 cas. Cette similarité de l’activité du cerveau quand il se souvient et quand il fait appel à l’imagination pourrait en partie expliquer les faux souvenirs ». Notre cerveau serait donc coupable de quiproquo, de confondre l’imagination et la mémoire. Comment se fait-il que les millions d’années d’évolution de l’homme n’ait pas conduit à une machine à souvenir plus fiable ? Un ordinateur, lui, stocke définitivement et sans erreur des milliards de données. Sommes-nous condamnés à être trahis par notre cerveau ?

Pascal Roulet, qui mène ses recherches à l’Université de Toulouse, sonde depuis des années les mécanismes à l’origine de cette imperfection.

Il a fait une découverte capitale : nous modifions nos souvenirs quand nous les utilisons, se rappeler change le souvenir. Il appelle cela le « syndrome du pécheur marseillais ». Le pécheur a pris un poisson de 10 centimètres, le lendemain si quelqu’un l’interroge sur ce qu’il a pris la veille, comme il est marseillais, il va avoir tendance à exagérer un petit peu, donc il va répondre 20 centimètres. Le problème c’est qu’il va mémoriser l’information initiale plus l’exagération donc il va mémoriser en mémoire à long terme un poisson de 20 centimètres. Quand une semaine plus tard on va lui demander : qu’avez-vous pris il y a une semaine ? Il va se souvenir d’un poisson de 20 centimètres et comme il est marseillais il va rajouter un petit peu et donc ça va faire un poisson de 30 centimètres et il va stocker cette information de nouveau dans la mémoire à long terme. Donc, ce qui est intéressant ici, c’est qu’il y a une évolution progressive du souvenir. A chaque fois qu’on va réactiver le souvenir, eh bien on va ajouter des petits éléments et le souvenir initial et le souvenir final peuvent être très différents. »
A chaque fois qu’on se souvient d’une situation, une modification, un nouveau détail est susceptible de se glisser dans le souvenir.

Il y a 15 ans Pascal Roulet et d’autres chercheurs ont découvert le mécanisme qui explique cette étrange propriété de notre mémoire; en remontant à la surface un souvenir redevient momentanément fragile et malléable. (16’14) La fragilisation et la reconsolidation du souvenir sont des phénomènes parfaitement non-conscients, nos souvenirs se transforment donc complètement à notre insu, comment se fier,  alors, à un témoignage, même sincère ?

Vous assisterez aussi à la formation des futurs juges, à l’ENM à Bordeaux, sur la fragilité des souvenirs et des témoignages. La sincérité d’un témoignage ne suffit donc pas à approcher la vérité. Le faux souvenir est une réalité qui empoisonne la justice depuis toujours. Pour pallier ce problème en France, l’Ecole Nationale de la Magistrature a mis en place un atelier entièrement consacré à la fiabilité de la mémoire et des témoignages. L’objectif : sensibiliser les futurs magistrats au problème des faux souvenirs.

La conclusion de l’émission : « La découverte de la malléabilité des souvenirs constitue aujourd’hui une formidable opportunité pour pallier les défaillances de notre cerveau. »

2016 – 2017 – On se crée facilement de faux souvenirs

Beaucoup de gens sont enclins à « se souvenir » d’événements qui ne se sont  jamais produits, selon une nouvelle recherche de l’Université de Warwick.

  • Environ 50% d’entre nous sont susceptibles de croire avoir vécu des événements fictifs, comme l’a montré une recherche effectuée à l’Université de Warwick *.
  • L’ étude sur les faux souvenirs comprenait plus de 400 personnes
  • Elle suscite des questions sur l’authenticité des souvenirs utilisés dans les enquêtes médico-légales, les salles d’audience
  • La désinformation dans les “news” peut créer des souvenirs collectifs incorrects, affectant les comportements et les attitudes de la société.
    Dans une étude sur les faux souvenirs, le Dr Kimberley Wade, Département de psychologie de l’Université de Warwick, démontre que si on nous parle d’un événement complètement fictif de nos vies et qu’on nous fait  imaginer cet événement à plusieurs reprises comme s’étant produit, près de la moitié d’entre nous accepterait qu’il s’est produit.
    Plus de 400 participants ont collaboré  à des études (au nombre de 8) sur l’implantation de souvenirs qui ont donné lieu à des événements autobiographiques fictifs suggérés.
    Pour paraître convaincants et manipuler la mémoire des cobayes, les chercheurs se sont notamment appuyés sur l’utilisation d’informations propres à chacun des participants, sur l’élaboration d’un récit relativement détaillé, le tout avec la complicité de proches, qu’il s’agisse de parents ou de frères et sœurs.
    Les évaluateurs indépendants ont codé les transcriptions en utilisant sept critères :
    – accepter la suggestion,
    – l’élaboration au-delà de la suggestion,
    – l’imagerie,
    – la cohérence,
    – l’émotion,
    – les énoncés des souvenirs (memory statements),
    – ne pas rejeter la suggestion.
  • environ 50% des participants croyaient, dans une certaine mesure,  qu’ils avaient vécu ces événements. Les participants à ces études en sont venus à se souvenir d’une série d’événements faux, comme avoir fait une balade en montgolfière dans l’enfance, jouer une farce à un enseignant, ou créer des ravages pendant un mariage de famille.
  • En utilisant ce schéma, 30,4% des cas ont été classés comme faux souvenirs
  • 23% ont été classés comme ayant accepté l’événement à un certain degré.
  • Lorsque la suggestion comprenait des informations pertinentes, une procédure d’imagination, et n’était pas accompagnée d’une photo représentant l’événement, le taux de formation de souvenirs était de 46,1%. En résumé :
  • 30% des participants semblaient « se rappeler » l’événement – ils ont accepté l’événement suggéré, ont élaboré sur la façon dont l’événement s’est produit et ont même décrit des images de ce à quoi l’événement ressemblait.
  • 23% supplémentaires ont montré des signes qu’ils ont accepté l’événement suggéré à un certain degré et ont cru qu’il s’est vraiment passé.

    Le Dr Wade et ses collègues concluent qu’il peut être très difficile de déterminer quand une personne se souvient d’événements passés réels, par opposition à de faux souvenirs – même dans un environnement de recherche contrôlée ; et plus encore dans des situations réelles.

    Le Dr Wade commente l’importance de cette étude :
    « Nous savons que de nombreux facteurs influent sur la création de fausses croyances et de souvenirs – comme demander à une personne d’imaginer à plusieurs reprises un événement faux ou de voir des photos pour « rafraichir » leur mémoire. Mais nous ne comprenons pas comment tous ces facteurs interagissent.  Des études à grande échelle comme notre méga-analyse nous en rapprochent un peu plus. »

    La journaliste Geneviève Comby  du Matin-Dimanche  (Suisse)  écrit le 22 janvier 2017 :
    Le phénomène des faux souvenirs est connu des spécialistes, même s’il déstabilise volontiers le commun des mortels. « Notre mémoire est farcie de souvenirs déformés et de faux souvenirs », assène le professeur en neuropsychologie à l’Université de Genève Martial Van der Linden, qui observe régulièrement l’étonnement de ses étudiants lorsqu’il aborde la question.

    Il faut relier cet étonnant processus au fonctionnement même de notre mémoire autobiographique. Celle-ci ne stocke pas nos souvenirs, elle les reconstruit, particulièrement sur le long terme. La mémoire n’est donc pas une photographie précise de ce qui s’est passé. « Nous construisons nos souvenirs et nous le faisons à deux niveaux, précise Martial Van der Linden. Lors de la mise en mémoire, mais aussi lors de la récupération. Nous sélectionnons ce qui correspond à nos croyances, à nos valeurs, etc. »

    Chaque fois que nous faisons remonter un souvenir, nous le modifions. Ce système en perpétuelle évolution permet à de pseudo-événements de s’incruster. Pour peu que l’on s’en fasse une représentation détaillée, un faux souvenir peut nous apparaître vrai. « C’est d’autant plus facile que vous possédez une grande imagination », note Martial Van der Linden.

    Concrètement, il peut s’avérer très difficile de déterminer si une personne se souvient d’événements qui lui sont réellement arrivés ou non. Ça l’est dans le cadre d’une expérience en laboratoire, et ça l’est encore plus dans la vie de tous les jours. Ce qui n’est pas sans conséquences dans certains contextes, comme les témoignages recueillis dans le cadre d’affaires criminelles ou certaines thérapies visant à faire remonter des souvenirs refoulés.

    The paper, ‘A Mega-analysis of Memory Reports from Eight Peer-reviewed False Memory Implantation Studies’, is published in Memory. It is co-authored by Dr Kimberley Wade at the University of Warwick, UK, Dr Alan Scoboria at the University of Windsor, Canada, and Professor Stephen Lindsay at the University of Victoria, Canada.
    Le document intitulé «Une méga-analyse des rapports de souvenirs émanant de huit études, évaluées par des pairs,  d’implantation de faux souvenirs» est publié le 9 novembre 2016 dans Memory. Il est co-écrit par le Dr Kimberley Wade à l’Université de Warwick, au Royaume-Uni, le Dr Alan Scoboria à l’Université de Windsor, au Canada, et le Professeur Stephen Lindsay à l’Université de Victoria, au Canada.
    Auteurs : 
    Alan Scoboria (University of Windsor),  Kimberley A. Wade (University of Warwick),  Tanjeem Azad (Kent State University),  Deryn Strange (John Jay College of Criminal Justice),  James Ost (University of Portsmouth),  Ira E. Hyman, Jr. (Western Washington University),  Stephen Lindsay (University of Victoria)

2018 – Les mouvements oculaires latéraux (EMDR) augmentent les taux de faux souvenirs

Lateral Eye Movements Increase False Memory Rates

Article du 8 janvier 2018  (https://www.researchgate.net/publication/322234596_Lateral_Eye_Movements_Increase_False_Memory_Rates)
Auteurs
Sanne T. L. Houben, Henry Otgaar , Jeffrey Roelofs , and Harald Merckelbach
Maastricht University  Section Forensic Psychology,
Maastricht University, The Netherlands Section Clinical Psychology, Maastricht University,
The Netherlands

Résumé
La désensibilisation et le retraitement des mouvements oculaires (EMDR) est un traitement populaire pour le TSPT. Cependant, on en sait peu sur les effets de la mémoire de l’EMDR. Utilisant un paradigme de désinformation, nous avons examiné si les mouvements oculaires latéraux, tels qu’utilisés dans l’EMDR, augmentent la susceptibilité aux faux souvenirs. Étudiants de premier cycle (N = 82) ont vu une vidéo illustrant un accident de voiture. Par la suite, les participants ont effectué des mouvements oculaires ou ont maintenu leurs yeux immobiles. Par la suite, tous les participants ont reçu de la désinformation sous la forme d’un récit de témoin oculaire. Les résultats indiquent que les participants aux mouvements oculaires étaient moins précis et étaient plus sensibles à l’effet de désinformation que les témoins. Notre découverte suggère que l’EMDR peut présenter des inconvénients risqués dans un contexte de témoin oculaire et nécessite donc de toute urgence une recherche de suivi.

Nous avons examiné si les mouvements oculaires augmentaient la susceptibilité à l’effet de désinformation. Après avoir regardé une vidéo d’accident de voiture et effectué des mouvements oculaires ou non, les participants ont reçu de la désinformation. Conformément aux recherches antérieures (Lee & Cuijpers, 2013), nous avons émis l’hypothèse que les mouvements oculaires performants réduisent la vivacité et l’émotivité de la mémoire. De plus, nous nous attendions à ce que les participants qui avaient effectué des mouvements oculaires démontrent des niveaux accrus d’acceptation de la désinformation par rapport aux participants témoins qui ne se sont pas engagés dans la tâche de mouvement oculaire.

2018 – Légiférer au moyen de l’amnésie traumatique constitue un risque (Olivier Dodier)

Dans le domaine clinique, l’amnésie traumatique est appelée « amnésie dissociative », et se définit, d’après le DSM-5 (i.e., le système de classification des maladies mentales, élaboré par l’association américaine de psychiatrie), par « une incapacité de se rappeler des informations autobiographiques importantes, habituellement traumatiques ou stressantes, qui ne peut pas être un oubli banal ». Cette définition fait référence à un modèle théorique et clinique appelé le « Trauma Model ». Celui-ci suggère qu’un traumatisme vécu durant la petite enfance est un facteur clé dans l’apparition et le développement de maladies mentales comme la dissociation (Bremner, 2010 ; Dalenberg et al., 2012). Certaines personnes atteintes de dissociation seraient alors victimes d’amnésie concernant l’événement traumatique, afin de se protéger de son impact négatif sur la santé mentale, et plus généralement le bien-être. De façon intéressante, ces personnes seraient capables, passé un certain délai (des mois, voire des années plus tard), de récupérer ces souvenirs refoulés, sans qu’ils n’aient perdu en exactitude. D’après certains auteurs, cette vision serait soutenue par plusieurs données empiriques, notamment compilées dans une méta-analyse (i.e., une compilation d’études sur un même sujet ; Dalenberg et al., 2012), concluant que « des phénomènes d’amnésie sont liés à la dissociation au travers d’une variété de manifestations cliniques supportant l’idée que les souvenirs retrouvés sont le produit de dissociation. »

Face à ces résultats, des chercheurs spécialistes du fonctionnement de la mémoire ont rigoureusement étudié ces publications et ont émis deux principales critiques, posant ainsi la question de la validité de l’existence même de l’amnésie dissociative (e.g., Giesbrech, Lynn, Lilienfeld, & Merckelbach, 2008 ; Giesbrecht, Lynn, Lilienfeld, & Merckelbach, 2010 ; Loftus, Joslyn, & Polage, 1998 ; Lynn, Lilienfeld, Merckelbach, Giesbrecht, & van der Kloet, 2012 ; Lynn et al., 2014 ; McNally, 2003). Une première critique émise par ces chercheurs était que l’absence de souvenir apparent ne signifie pas nécessairement qu’il y a là un trouble mnésique. Par exemple, Dalenberg et ses collègues (2012) rapportaient une étude montrant que les traits dissociatifs étaient (faiblement) corrélés avec le fait de se souvenir uniquement à l’âge adulte d’abus sexuels subis durant l’enfance (Melchert, 1999). Toutefois, ils omettaient de préciser ce que l’auteur avait indiqué : ces récupérations tardives des souvenirs « ne suggèrent pas une impossibilité d’accéder de façon consciente à ces souvenirs » (p. 1171). Autrement dit, comme le précisent Lynn et al. (2014) dans leur analyse critique, le fait de ne pas penser à un épisode survenu durant l’enfance, aussi grave soit-il, ne signifie pas qu’il est impossible de s’en souvenir volontairement.

Une autre critique était que dans les études citées en faveur de l’amnésie dissociative (e.g., Dalenberg, 1996 ; William, 1995), les souvenirs retrouvés par certains participants n’étaient pas corroborés avec d’autres éléments permettant d’établir les faits. C’est-à-dire que les participants aux études déclaraient avoir subi des faits, les avoir oubliés, mais sans que les chercheurs ne puissent s’assurer de la véracité de la survenue des faits, et par conséquent, de leur déroulé. C’est problématique à deux niveaux : (i) cela suggère de considérer qu’un témoignage est suffisant pour tirer des conclusions aussi importantes que celles liées à l’existence même d’une amnésie traumatique ; (ii) il est alors impossible d’évaluer l’exactitude des souvenirs, alors même que d’après le Trauma Model, l’amnésie dissociative se caractérise par l’exactitude des souvenirs lorsqu’ils remontent à la surface, par eux-mêmes. Bien sûr,  souligner l’absence de corroboration ne signifie en aucun cas que les faits en question ne se sont pas produits. Simplement, à des fins de publication scientifique et de fiabilité des conclusions, il est nécessaire pour cela d’offrir des garanties de rigueur scientifique. Or la corroboration des souvenirs avec les faits est indispensable pour parvenir à cette fin.

Une troisième critique est la question de l’exactitude des souvenirs lorsqu’ils remontent à la surface. Comme précisé plus tôt, d’après le Trauma Model, les souvenirs retrouvés des années plus tard seraient particulièrement exacts, voire n’auraient subi aucune distorsion. Ce postulat va à l’encontre de nombreux consensus scientifiques sur la malléabilité des souvenirs. De façon spontanée, la récupération mnésique (i.e., l’expérience consciente du souvenir) est un système de reconstruction. C’est-à-dire que, par des mécanismes cognitifs particulièrement élaborés et complexes, les individus vont, de façon implicite (donc involontaire et sans s’en rendre compte), combler les failles du souvenir pour rendre celui-ci complet et cohérent. Ces mécanismes ne suggèrent pas que cette reconstruction va nécessairement rendre les souvenirs majoritairement inexacts. Cependant, la littérature sur les mécanismes sous-jacents aux faux souvenirs est particulièrement claire sur notre facilité à générer des proportions variables d’erreurs et d’inventions dans nos souvenirs d’événements s’étant pourtant bel et bien produits.

Pour expliquer ces phénomènes, nous pouvons citer, par exemple, la Théorie des Traces Floues (Brainerd, Reyna, & Howe, 2009), ou la théorie de l’activation des associations (Howe, Wimmer, Gagnon, & Plumpton, 2009). De plus, le Trauma Model fait l’impasse sur les influences extérieures sur les souvenirs ; particulièrement les questions posées par des tiers (e.g., proches, médecins, travailleurs sociaux, etc.) entre les faits et le rappel des faits dans un cadre judiciaire. Des dizaines d’années de travaux et un nombre incommensurable d’études sur l’effet dit de « désinformation » ont montré à quel point les souvenirs et les témoignages étaient sensibles aux suggestions ; ceci valant aussi pour les enfants (Payoux, 2014).

Certes, l’analyse de la littérature scientifique sur la mémoire des faits traumatiques ne permet pas de conclure fermement à l’inexistence de ce phénomène. Cependant, elle ne permet pas non plus de conclure à son existence. En d’autres mots, la question est encore et toujours débattue au sein de la communauté scientifique. Invoquer l’amnésie dissociative dans un tel débat public et politique comporte alors un risque : l’amnésie dissociative serait la cause de développement de psychopathologies telles que la dépression, divers troubles de l’identité ou bien des troubles anxieux. Aussi, un thérapeute convaincu par l’idée d’amnésie dissociative et prenant en charge une personne présentant un de ces troubles pourrait émettre l’hypothèse d’abus subis durant l’enfance dont les souvenirs seraient refoulés, comme cause d’un trouble psychologique qui, pourtant,  peut avoir une multitude d’autres causes.

Or il existe des pratiques thérapeutiques reconnues pour induire chez des patients des faux souvenirs (e.g., hypnose, imagerie guidée, thérapie dites « des souvenirs retrouvés »), voire des états dépressifs encore plus sévères, des conduites alcooliques ou toxicologiques, ou, enfin, des attaques de panique (Lilienfeld, 2007). Les enjeux sont alors ici d’ordre sanitaire (développement ou augmentation de symptômes psychopathologiques) et judiciaire (faux souvenirs d’abus sexuels durant l’enfance). Nous pouvons citer comme malheureux exemples les affaires Phanekham et Yang Ting, où des thérapeutes ont été condamnés pour avoir, entre autre, inoculé des faux souvenirs chez des patients en recherche d’explication à leurs états de vulnérabilité psychologique, précisément sur la base de cette idée de refoulement des souvenirs traumatiques.

Comment expliquer, alors, les cas d’individus se souvenant, spontanément et uniquement à l’âge adulte, d’abus sexuels subis durant l’enfance ? ….. lire l’article complet

En résumé, il est tout à fait possible de subir des abus sexuels durant l’enfance, de ne plus s’en souvenir durant des années avant que, soudainement, une fois adulte, ces souvenirs dramatiques rejaillissent, causant potentiellement des troubles psychologiques. Cependant, la littérature scientifique ne permet pas d’attribuer ces phénomènes à une amnésie dont l’origine serait le caractère traumatique de l’événement. Au regard des risques de dérives liés à cette idée de refoulement des souvenirs, il est délicat d’utiliser l’amnésie traumatique comme argument en faveur de l’allongement du délai de prescription ; alors même qu’il existe en parallèle des explications alternatives, fondées scientifiquement, dénuées de tout risque de dérive.

2017 – Connaissances et croyances des psychologues et psychiatres experts judiciaires concernant le fonctionnement de la mémoire

RÉSUMÉ

La mémoire est un concept central pour la justice. Enquêteurs et magistrats se basent en partie sur des témoignages afin de reconstruire la chronologie des faits, et que la vérité se manifeste. Pourtant, de très nombreuses études ont mis en avant la fragilité de la mémoire humaine. Ainsi, lors de l’instruction, il revient aux experts psychologues et psychiatres de souligner tous biais mnésiques de nature à influencer les décisions de justice. Nous avons donc évalué les connaissances et les croyances desdits experts (n = 120) sur la mémoire, en les comparants à celles de psychologues et psychiatres non-experts (n = 101), et à celles d’individus du grand public (n = 402). Les experts avaient moins de connaissances, le même niveau de croyances et plus d’incertitudes concernant la mémoire que les deux autres groupes. L’implication pratique de ces résultats est discutée et des recommandations sont formulées.

Une évaluation des connaissances concernant le fonctionnement de la mémoire similaire à celles déjà réalisées à l’international sur diverses populations d’acteurs du monde judiciaire se justifie en France pour plusieurs raisons :

  • les potentiels jurés français considèrent le contenu des expertises comme un facteur motivant la décision de déclarer un individu coupable des faits qui lui sont reprochés (Niang, Leclerc, & Testé, 2016) ;
  • (ii) les experts psychiatres et psychologues utilisent régulièrement les concepts issus de la psychanalyse dans leurs expertises (Combalbert, Andronikof, Armand, Robin, & Bazex, 2014 ; Guivarch et al., 2017), alors que la communauté scientifique rejette les explications de cette discipline relatives aux processus mnésiques (par ex., McNally, 2012 ; Patihis, Ho Tingen, Lilienfeld, & Loftus, 2014) ;
  • (iii) les experts français ne sont généralement pas commissionnés par les magistrats selon leur spécialité (c’est-à-dire, ce pourquoi ils ont été précisément formés), et il n’existe donc pas formellement de catégorie d’expert spécialiste du fonctionnement de la mémoire;
  • (iv) aucune étude française, à ce jour, ne s’est intéressée à (a) la façon dont la mémoire est considérée dans les expertises, ainsi qu’aux (b) connaissances qu’ont les experts psychologues et psychiatres français sur le fonctionnement de la mémoire humaine, et plus spécifiquement la mémoire des faits criminels; enfin,
  • (v) la France possède une procédure judiciaire dite « inquisitoire », c’est-à-dire une procédure dont la maîtrise des décisions de justice appartient à un(e) juge caractérisé(e) par son indépendance. Il (elle) lui revient alors de procéder aux investigations nécessaires afin que la vérité se manifeste. Pour cela, elle peut, au besoin, commettre des experts qu’il (elle) choisit au regard de la problématique technique soulevée par l’enquête. Ainsi, tout travail d’expertise – y compris psychologique ou psychiatrique – se fait en totales indépendance et neutralité, ceci pouvant alors augmenter le poids de leurs conclusions dans les décisions de justice (Combalbert et al., 2014). […]

Nous avons observé des différences importantes de répartition des tranches d’âge entre les groupes de participants (par ex., environ 53 % des experts étaient âgés d’entre 50 et 69 ans, contre 4 % des praticiens non-experts et environ 8 % du grand public; environ 42 et 48 % des, respectivement, participants issus du grand public et des non-experts étaient âgés de 30 ans ou moins, contre environ 3 % des experts). Malgré l’absence d’effet de l’âge sur les différents scores, nous pouvons supposer que des psychologues ou psychiatres jeunes auraient des connaissances plus actuelles – leur formation étant souvent plus récente – que des praticiens ayant reçu leur formation, pour certains, il y a plusieurs décennies.{…]

CONCLUSION

Cette étude préliminaire permet d’instaurer un débat sur la qualification des experts judiciaires de la santé mentale en France. En effet, en ce qui concerne d’autres champs d’expertise, tels que les analyses ADN, les empreintes digitales, analyses de cheveux, les analyses balistiques ou la médecine légale, la rigueur scientifique est obligatoire et cruciale.

L’expertise mentale, elle, semble faire l’objet d’une acceptation institutionnelle en ce qui concerne l’apport de théories infondées, dépassées, et parfois contredites par les données scientifiques. Pourtant, ces théories ne garantissent aucune probabilité d’occurrence (par ex., en fonction du contexte) ou de marge d’erreur. Il est donc difficile pour les juges ou les jurés d’évaluer le poids à attribuer à une expertise. À l’inverse, la psychologie et la psychiatrie scientifiques peuvent apporter des éclairages précis et mesurés en ce qui concerne le fonctionnement de la mémoire, et permettre ainsi d’apprécier la prudence nécessaire à toute conclusion d’expertise.

D’ailleurs, comme le soulignait Brainerd (2013), « l’étude scientifique de la mémoire est aussi importante pour la justice que la biologie l’est pour la médecine » (p. 547, notre traduction). Il serait intéressant de reproduire des évaluations similaires concernant les différents points généralement abordés en expertise (c’est-à-dire, intelligence, émotions, sociabilité, personnalité, attention, psychopathologie, danger, récidive, prévention et réinsertion).

_____________________________________________________________________________

Références pour la page Recherches sur les faux souvenirs

_________________________________________________________________________________________

1 Rappeler, par exemple, le temps qu’il faisait une semaine ou deux semaines auparavant, estimer le poids d’un objet, la distance entre deux bâtiments, le temps nécessaire pour effectuer un parcours dans l’université, dessiner de mémoire le plan du hall d’entrée du bâtiment où a lieu le cours…

2 Nous nous sommes beaucoup appuyés dans cet article sur le travail de Franck Arnould, qui met régulièrement à jour l’état des recherches sur les faux souvenirs sur le site du CNRS Inist.

3 Entretien avec Elizabeth Loftus : Les faux souvenirs : « le travail de ma vie ».

4 Richardson, F.E. (1916). « Estimations of speeds of automobiles », Psychological Bulletin, 13(2), 72-73.

5 Loftus & Palmer, (1974), article sur la suggestibilité de la mémoire dans Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior

6 Davies, G.M. (2009), « Estimating the speed of vehicles : the influence of stereotypes » Psychology, Crime & Law, 15(4), 293-312.

7 Loftus 1979 ; Loftus, Miller, Burns, 1978, Loftus et Greene 1980

8 Johnson & Raye Kashtroudi & Lindsay 1993 ; Johnson & Raye 1981 ; 1998

9 Brainerd, Reyna & Ceci, 1991, 1996, 1998, 2008 Fuzzy-trace theory, Psychological Bulletin
http://psychotemoins.veille.inist.f….

10 E. Loftus, K. Ketcham, 1994, The Myth of repressed Memory, New York, St. Martin’s Griffin

11 E. Loftus, K. Ketcham, 1997, Le syndrome des faux souvenirs et le mythe des souvenirs refoulés, Editions Exergue

12http://memovocab.perso.neuf.fr/glos….

13 Loftus, « Les illusions de la mémoire », 2009, conférence à Genève.
Le pouvoir de la suggestion.

14 Maryanne Garry, Charles G. Manning, Elizabeth F. Loftus (University of Washington), Steven J. Sherman (Indiana University), « Imagination Inflation : Imagining a Childhood Event Inflates Confidence that it Occurred », Psychonomic Bulletin & Review, 3(2), 208-214

15 Mazzoni et Loftus 1998 ; Mazzoni, Lombardo, Malvagia et Loftus 1999

16 Pour l’exposé de cette expérience, voir faculty.washington.edu

17 Watkins et Peynircioglu, 1990, « The revelation effect : when disguising test items induces recognition », Brian H. Bornstein and Craig B. Neely, « The revelation effect in frequency judgment », Memory & Cognition, 2001, 29 (2), 209-213http://mc.psychonomic-journals.org/… et http://psychotemoins.veille.inist.f….

18 Geraerts, Schooler, Merckelbach, Jelicic, Hauer et Ambadar, article paru dans Psychological Science, 2007

19 Voir plus loin « 2009 – Comprendre l’expérience vécue des souvenirs retrouvés »

20http://www.psyfmfrance.fr/documents…
Article complet.

21 « Difference in True and False Memory Retrieval are related to white matter brain microstructure. » – The Journal of Neuroscience, 2009 Jul.8 ; 29(27) :8698-403.

22 McNally, R. J. & Geraerts, E. 2009, « A new solution to the recovered memory debate » Perspectives in Psychological Science, 4, 126-134

23 Extrait de l’article, p. 131  : « De façon étonnante, les souvenirs qui ont été récupérés spontanément, en dehors de la thérapie, ont été corroborés à un taux (37 %) statistiquement impossible à distinguer du taux de corroboration (45 %) pour les sujets qui n’avaient jamais oublié l’abus. » Aucun souvenir retrouvé grâce à la thérapie suggestive n’a pu être corroboré. Bien que ce taux (0 %) ne signifie pas nécessairement que les souvenirs revenus à la surface au cours du traitement soient faux, il recommande la prudence dans l’interprétation des souvenirs récupérés dans une thérapie suggestive.

24 Le test DRM (Deese-Roediger-McDermott paradigm) est utilisé notamment pour explorer la propension du sujet aux faux souvenirs. http://www.lurj.org/article.php/vol…

25Forgot-it-all-along (FIA) : « L’effet FIA se réfère à un phénomène de la mémoire dans lequel les épisodes antérieurs de remémoration sont oubliés. » « FIA refers to a memory phenomenon wherein prior episodes of remembering are forgotten. »

26 Bernstein et Loftus, 2009, in Perspectives on Psychological Science

27 Otgaar, & Candel. (sous presse). Children’s false memories : Different false memory paradigms reveal different results, Psychology, Crime & Law. Les illusions DRM : Les sujets mémorisent tout d’abord des listes de mots. Les mots de chaque liste sont associés sémantiquement à un autre mot qui, lui, n’est pas présenté (le leurre). De nombreuses études montrent que les sujets rappellent et reconnaissent ensuite à tort le leurre comme étant un mot ayant été étudié.

28 Gallo, D. A. (2010). « False memories and fantastic beliefs : 15 years of the DRM illusion. », Memory & Cognition, 38(7), 833-848

29http://psychotemoins.veille.inist.f….

30 Merckelbach, H. (2004). Telling a good story: Fantasy proneness and the quality of fabricated memories. Personality and Individual Differences, 1371–1382.

31 Rogers, P., & Emma, L. (2016). Varieties of childhood maltreatment as predictors of adult paranormality and new age orientation. Personality and Individual Differences , 37-45.

32 Shaw , J., & Porter, S. (2015). Constructing Rich False Memories of Committing Crime. Psychological Science, 291-231.

33 Geraerts, E., Smeets, E., Jelicic, M., Van Heerden, J., & Mercklebach, H. (2005). Fantasy proneness, but not self-reported trauma is related to DRM performance of women reporting recovered memories of childhood sexual abuse. Consciousness and Cognition, 602-612.

34 Olivier Dodier et Mélany Payoux
L’Année psychologique / FirstView Article / September 2017, pp 1 – 33
DOI: 10.4074/S0003503317000483, Published online: 12 September 2017

faux souvenirs mémoire manipulée