Savez-vous combien pèse votre âme ?

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publié en ligne le 9 décembre 2019 – Pseudo-sciences

Il semble exister une “matière” invisible dans le corps humain qui s’en échappe au moment de la mort. Cette matière a une masse mais elle traverse toutes les barrières physiques. Je ne peux qu’en conclure qu’elle s’échappe dans une dimension qu’on ne peut encore percevoir.

– Katherine […] tu viens de peser l’âme humaine. »

Dan Brown,
Le symbole perdu, JC Lattès, 2009

L’âme et la pensée ont depuis toujours fait l’objet d’interrogations religieuses, métaphysiques, scientifiques. Depuis l’Antiquité jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’âme (du latin anima) a souvent été tenue pour une cause de la vie et de la pensée. De ce point de vue, un être « inanimé » ne vit pas, ne pense pas, il est à l’égal d’une machine ou d’une pierre.

Des philosophes mais aussi des scientifiques se sont demandé si l’on pouvait prouver l’existence matérielle de ces entités, l’âme et la pensée. Curieusement, deux physiologistes eurent comme point commun l’invention d’une balance dont la vocation était de peser, pour l’un, la « pensée », et pour l’autre, l’ « âme ». Mais si certaines hypothèses ont conduit sur la piste de la science, d’autres, comme celle du poids de l’âme, n’ont pas quitté le terrain du mythe. C’est sans doute dû au fait que, comme le dit Cyrille Barrette, docteur en éthologie de l’université de Calgary, dans une conférence intitulée « L’âme et la science » [1], l’âme n’a rien d’un objet :  « ce n’est qu’un mot qui désigne une idée qu’on a inventée pour représenter une sensation : la sensation d’être habité par une existence, par une conscience, par un “je” qui parle dans ma tête à la première personne du singulier. »

Sommaire de la page

Le poids de la pensée selon Angelo Mosso

À la fin du XIXe siècle, un physiologiste italien, Angelo Mosso 1, supposa qu’effectuer une tâche mentale intense faisait affluer le sang au cerveau, ce qui augmentait son poids. Il inventa une balance géante composée en particulier d’une table de bois centrée sur un pivot, équilibrée à l’aide de poids, sur laquelle il demandait à un sujet de s’étendre et de rester immobile le temps nécessaire pour que le sang se distribue de façon uniforme dans les tissus et reproduise une situation où un individu ne se sert que de son cerveau. Il proposait au sujet des tâches telles que lire un journal, écouter des sons, déchiffrer un rébus, etc.

Il fit plusieurs expériences qu’il décrivit dans un manuscrit intitulé La temperatura del cervello ; studi termometrici, di Angelo Mosso. Con 49 incisioni e 5 tavole fuori testo, publié en 1894, ainsi que des démonstrations publiques qui suscitèrent l’enthousiasme [2].

En mai 2013, dans un article de Brain [2], où il commente la description que fait Mosso de son expérience, le neurologue Stefano Sandrone écrit :  « Il n’y a toujours pas de preuve définitive que l’accroissement du débit sanguin [durant les tâches cognitives] cause une augmentation détectable du poids du cerveau. » Cependant il considère comme fondamentale l’intuition de Mosso selon laquelle les variations du flux sanguin dans l’encéphale sont liées à son fonctionnement. En septembre 2016, Daniela Ovadia, journaliste scientifique et codirectrice du laboratoire Neurosciences et société de l’université de Pavie (Italie), écrit dans Cerveau et Psycho :  « L’imagerie par résonance magnétique (IRM) ou la tomographie par émission de positons (TEP) reposent en effet sur l’idée que l’augmentation duflux sanguin dans certaines zones du cerveau reflète leur activité, car celle-ci nécessite un apport de substances transportées par le sang comme le glucose ou l’oxygène. » [3]

Dans l’article de Brain cité plus haut, Stefano Sandrone écrit que la balance pour mesurer la circulation sanguine dans le cerveau sera considérée par les neuroscientifiques comme l’un des ancêtres des techniques d’imagerie médicale non invasives.

21 grammes, le « poids » de l’âme selon Duncan McDougall

La mort de la mère, Ernest Lincker (1883-1935)

La croyance selon laquelle les êtres humains possèderaient une âme immortelle qui quitterait le corps après la mort et dont la présence physique serait détectable existait bien avant le XXe siècle. Mais c’est au début de ce XXe siècle qu’un médecin américain, Duncan McDougall, émit l’hypothèse que l’âme, bien qu’invisible, avait une masse et que si l’on parvenait à la peser, cela apporterait la confirmation de son existence. En 1907, il consigna son expérience dans un article intitulé : « Hypothèses sur la substantialité de l’âme et preuves expérimentales de son existence » [4], qu’il publia dans le New York Times et la revue médicale American Medicine. Il justifia ainsi son intérêt :  « Si l’on pouvait prouver son existence, l’anxiété face à ce qui nous arrive au moment de la mort pourrait être surmontée. »

Supposant que l’âme a un poids et qu’au moment de la mort, elle quitte le corps, il inventa une balance pour la peser. Il considéra que le poids de l’âme devait correspondre à la différence de poids avant et après la mort d’un individu [5]. Il conclut dans le compte-rendu de son étude que l’âme pèse 21 grammes [6].

Les trois « hypothèses »

Mc Dungall émit trois hypothèses : (1) l’âme humaine existe et est liée au corps jusqu’à la mort ; (2) elle occupe un espace physique dans le corps et a une masse ; (3) elle quitte le corps au moment de la mort physique et lui survit. De ces hypothèses, il déduisit qu’à la mort de l’individu, la masse de son corps devait diminuer. Et c’est ce qu’il tenta de prouver.

En admettant au départ ce qu’il voulait prouver par l’expérience, à savoir l’existence de l’âme, il fit un raisonnement circulaire appelé « effet cerceau » en zététique, qui consiste à admettre d’abord ce que l’on entend prouver ensuite par la démonstration.

Le « dispositif expérimental » macabre

Dans le compte-rendu de son expérience, McDougall décrivit en détail le lit spécial installé dans son bureau comme  « disposé sur un cadre léger construit sur une poutre de plate-forme très délicatement équilibrée.  » Avec ce dispositif, il réalisa deux séries d’expériences, la première avec les six patients humains, la seconde avec quinze chiens [7]. Son dispositif devait lui permettre d’évaluer la variation de masse avec une précision de 5,67 g dans la série d’expériences sur les humains et de 1,77 g dans celle sur les chiens.

L’expérience avec les humains

Dans un sanatorium voisin, il repéra six patients sur le point de mourir et les coucha successivement sur ce lit. Quatre d’entre eux étaient atteints de tuberculose – d’après lui, ils restent calmes au moment de mourir –, un de diabète et un d’une maladie non précisée, tous en phase terminale.

McDougall prit toutes sortes de précautions pour éliminer autant d’explications physiologiques que possible qui auraient risqué de fausser la mesure, telles que l’expulsion de l’air des poumons, le vidage de la vessie et des intestins, etc., afin d’être sûr que la perte de masse mesurée ne pouvait être due à aucun autre facteur que celui du départ de l’âme hors du corps. Les expulsions d’urine ou de selles restaient sur le lit, et la faible évaporation dans l’air de l’humidité et de la transpiration était elle-même prise en compte. Il ne mesura pas la masse du corps avant et après la mort, mais la variation de masse du lit sur lequel se trouvait le sujet.

L’expérience avec les chiens

Le Vol de l’âme, Louis Janmot (1814-1892)

Il prit dans un chenil quinze chiens qu’il euthanasia. Sans doute influencé par la théorie cartésienne de l’ « animal-machine » 2, il observa que  « les résultats étaient uniformément négatifs, aucune perte de poids à la mort. » Ce résultat corrobora son hypothèse : il en conclut que la différence entre l’Homme et l’animal est que les animaux n’ont pas d’âme et que l’Homme en a une.

En se fiant à ses mesures, McDougall déclara que la perte de masse au moment du décès des humains était de trois quarts d’once, soit 21,3 grammes, ce qui correspondait au poids de l’âme et apportait selon lui la preuve scientifique de son existence, alors même que cette perte ne concernait que le premier patient (d’autres chiffres furent obtenus pour les suivants) ! Les 21,3 grammes furent arrondis au fil du temps à 21 grammes, qui resteront définitivement dans la mémoire collective. Il est vrai que, de tout temps, ce nombre a été considéré comme ésotérique.

La légende des 21 grammes

Ce nombre de 21 grammes nourrira toutes sortes de légendes qui courent depuis sur Internet. On le rencontre dans des romans fantastiques comme Le peseur d’âme d’André Maurois (1931), Le symbole perdu de Dan Brown (2009) ou encore le film 21 grammes d’Alejandro González Inárritu (2003), dont le titre ainsi que la bande annonce sont tirés de cette conviction :  « On dit que nous perdons tous 21 grammes au moment précis de notre mort… Tous. 21 grammes… Le poids de cinq pièces de monnaie. Le poids d’une barre de chocolat. Le poids d’un colibri. On dit qu’on perd tous 21 grammes. Est-ce le poids de notre âme ? Est-ce le poids de la vie ?  »

Au début des années 2000, le sociologue Jean-Pierre Le Goff organisa un événement poétique évoquant la légende des 21 grammes. Il annonça l’événement ainsi :  « Je connais l’histoire depuis mon adolescence. L’ai-je lue ? L’ai-je entendue ? Je ne m’en souviens plus. Un savant voulut un jour connaître le poids d’une âme. Il pesa un moribond à la dernière extrémité et, immédiatement, il le repesa après son dernier souffle. Il trouva une différence de 21 grammes en moins, qu’il attribua au poids de l’âme. » Le Goff reprit son enquête en 2003-2004 et découvrit alors les expériences de McDougall.

De nombreux chanteurs et rappeurs reprendront ce thème en chœur jusqu’à aujourd’hui.

Les faiblesses de l’ « étude » de McDougall

Tout d’abord, l’échantillon était trop réduit pour conclure que l’âme humaine existe, qu’elle a une masse et que celle-ci est constante. McDougall le reconnaîtra :  « Je suis conscient qu’un grand nombre d’expériences serait nécessaire afin de le prouver au-delà de tout risque d’erreur. » Cependant, il reste que même si la taille de l’échantillon avait été plus grande, cela n’aurait évidemment pas permis d’aboutir à de telles conclusions sur l’existence de l’âme.

Par ailleurs, les critères de la mort étaient imprécis. À quel moment avait-il situé la mort ? Était-ce quand le cœur s’était arrêté ? Ou la respiration ? Ou le cerveau ? Et comment l’avait-il constatée ?

Comme nous l’avons déjà dit, l’expérience était partie de l’hypothèse selon laquelle l’âme humaine existe, a une masse mesurable et quitte le corps au moment de la mort. Aux objections d’autres scientifiques, comme par exemple le fait que le poids ne chute pas toujours juste au moment de la mort, mais quelques minutes plus tard, McDougall avait opposé une interprétation a posteriori :  « Je crois que dans ce cas, celui d’un homme flegmatique lent de corps et d’esprit, l’âme est restée dans le corps après la mort. » Ou encore :  « Le poids de l’âme est retiré du corps pratiquement à l’instant du dernier souffle, bien qu’il puisse rester dans le corps pendant une minute complète chez les personnes au tempérament lent. » Le temps mis par l’âme pour quitter le corps dépendrait donc selon McDougall du tempérament du mourant.

Enfin, certains commentateurs ont objecté qu’il aurait fallu pouvoir non seulement répliquer l’expérience, mais encore la refaire en alternant de façon aléatoire humains et chiens. McDougall avait cette conviction :  « Si des expériences supplémentaires suffisantes prouvent qu’une perte de substance se produit au moment de la mort et n’est pas expliquée par les canaux de perte connus, l’établissement d’une telle vérité ne peut manquer d’être de la plus haute importance. » Il reste que même ainsi, on n’aurait pas pu conclure définitivement à l’existence de l’âme, en particulier parce qu’elle est l’hypothèse de départ et que l’interprétation de l’expérience est une pure extrapolation.

Dans Petites expériences extra-sensorielles – Télépathie, voyance, hypnose ainsi que Paranormality : Why we see what isn’t there [8], Richard Wiseman, professeur de psychologie à l’université du Hertfordshire et membre du Committee for Skeptical Inquiry (CSI), a rapporté qu’un médecin, Augustus P. Clarke, avait reproché à McDougall de n’avoir pas pris en compte  « la hausse soudaine de la température corporelle au moment de la mort, lorsque le sang cesse de refroidir à l’air par le biais de sa circulation dans les poumons. » Selon Clarke, si cette hausse ne se produit pas chez les chiens, c’est parce qu’ils ne se refroidissent pas en transpirant, mais en haletant. La perte de masse au moment de la mort ne prouvait donc pas que l’Homme a une âme et que le chien n’en a pas.

Des chercheurs firent d’autres hypothèses pour prouver l’existence physique de l’âme, mais aucune n’aboutit. Tous s’accordèrent cependant sur le manque de rigueur scientifique de l’expérimentation menée par McDougall.

Richard Wiseman avance avec humour qu’au sein de la communauté scientifique, cette expérience est rangée dans  « une grande pile de curiosités scientifiques intitulée “Presque certainement faux” ». Il dit clairement que les phénomènes paranormaux n’existent pas. Mais, de la même manière que la science des voyages dans l’espace transforme notre vie quotidienne, les recherches sur la télépathie, les consultations des voyants pour la prédiction de l’avenir – comme si notre destin était inscrit dans les étoiles –, communiquer avec les morts, faire tourner les tables et voir des fantômes, les expériences de sortie du corps ou encore celles qui tentent d’apporter des preuves matérielles de l’existence de l’âme sont des sources d’informations remarquables sur notre cerveau, notre comportement et nos croyances.

La science et l’âme

La mort, Hans Baluschek (1870-1935)

La science et l’âme sont antinomiques : le problème que l’âme pose à la science vient de ce que l’âme est fondamentalement immatérielle alors que la science est par essence matérialiste. McDougall aurait voulu montrer pour en prouver l’existence que, contrairement à ce que disent les philosophies spiritualistes, l’âme est une substance matérielle, qu’elle a une masse, qu’elle quitte le corps au moment de la mort et que le corps est plus léger après la mort. Mais si on ne peut prouver que quelque chose n’existe pas, en l’occurrence l’âme, ceux qui affirment son existence matérielle ou immatérielle ne sont jamais parvenus à en apporter la preuve. Du point de vue du principe de parcimonie ou encore du rasoir d’Occam [9], l’hypothèse que l’âme existe et qu’elle quitte le corps au moment de la mort est une hypothèse coûteuse. Elle n’est pas nécessaire pour postuler l’existence de la pensée. Notre cerveau fonctionne, nous en avons les preuves au moyen des tracés d’une IRM (imagerie par résonance magnétique) ou par les opérations intellectuelles qui mènent à la science et à d’autres activités.

Cependant, ainsi que le disent Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard dans 100 % rumeurs (Payot & Rivages, 2014) :  « Le débat sur la place de l’âme dans un monde dominé par la science n’est pas clos. Il oppose les partisans de “la science”, pour lesquels la notion d’âme est un scandale vivant, et ceux de la tradition et de la spiritualité, fermement attachés à la conception d’un esprit transcendant survivant à la mort. Ces derniers sont plus visibles aujourd’hui en cette époque de rejet de “la science.” »

L’expérience pseudo-scientifique de McDougall témoigne d’une imagination fertile, mais son interprétation et les mesures obtenues ne font pas le poids face aux exigences de rigueur d’une démarche scientifique et ne permettent pas de conclure à une quelconque existence matérielle de l’âme. Notons cependant que le 16 octobre 1920, le New York Times annonça sa mort avec le plus grand sérieux sous le titre  « Il a pesé l’âme humaine » ! Il ne fait aucun doute que si la légende des 21 grammes lui a survécu pendant un siècle, elle lui survivra encore longtemps !

Références

^[1] Barrette C, « La Science et l’âme  », juin 2009. Sur le site de l’université Laval aeutaq.ulaval.ca

^[2] Mosso A, “La temperatura del cervello ; studi termometrici, di Angelo Mosso. Con 49 incisioni e 5 tavole fuori testo”, Fratelli Treves, 1894.

^[3] Sandrone S et al., “Weighing brain activity with the balance : Angelo Mosso’s original manuscripts come to light”, J Neurol, 2012, 259 :2513-2514, et Brain, en ligne le 17 mai 2013..

^[4] Ovadia D, « Angelo Mosso, le peseur de pensées », Cerveau & psycho, 24 août 2016. Sur cerveauetpsycho.fr

^[5] McDougall D, “Hypothesis Concerning Soul Substance Together with Experimental Evidence of The Existence of Such Substance”, American Medicine, April 1907. Sur le site de l’International Ghost Hunters Society ghostweb.com

^[6] Fabre G, « 21 grammes, le poids de l’âme ? ». Sur cortecs.org

^[7] Mikkelson D, “Weight of the Soul”, Snopes, 27 octobre 2003. Sur Snopes.com.

^[8] Wiseman R, Petites expériences extra-sensorielles – Télépathie, voyance, hypnose, Dunod, 2012, et Paranormality : Why we see what isn’t there, Pan Books, 2015.

^[9] Gauvrit N, « Autour du rasoir d’Occam. Les superstitions rationnelles ? », SPS n° 286, juillet-septembre 2009.Sur afis.org

1 Angelo Mosso (1846-1910), membre de l’Académie des Lyncéens à Rome (la plus ancienne académie scientifique d’Europe), et de l’Académie royale des sciences de Suède, a enseigné à l’université de Turin et dirigé l’Institut de physiologie de la ville.

2 Descartes pensait que l’animal n’a ni âme ni raison. De ce fait, il ne pense pas et ne parle pas. Il n’est rien d’autre qu’une machine perfectionnée. Il réagit comme un automate à des stimuli. Dans la cinquième partie du Discours de la Méthode(1637), dans la Lettre au Marquis de Newcastle(23 novembre 1646), il compare l’animal à une horloge, composée de pièces mécaniques et de ressorts.

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