Le biomimétisme : les animaux-robots

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Le biomimétisme : les animaux-robots

par Brigitte Axelrad – SPS n°317, juillet 2016

 Introduction

C’est dans la cinquième partie du Discours de la méthode, pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences (1637), que Descartes exposa la théorie des animaux-machines. Il considérait que les animaux étaient, à l’égal des machines, des assemblages de pièces et de rouages, dénués de conscience et de pensée. Cependant, comparant l’animal-machine créé par Dieu avec la machine fabriquée par l’homme, il voyait en l’animal : « […] une machine, qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée, et a en soi des mouvements plus admirables, qu’aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes. » (Ve partie. Œuvres et lettres, La Pléiade, pp. 164-165). C’était l’époque des merveilleuses poupées articulées, automates mais pas autonomes, conçues et fabriquées par l’homme, qui mimaient des scènes animées, comme par exemple, « Le joueur de flûte traversière » de Vaucanson, dont le but premier était d’étudier la respiration humaine, ou « Le canard », qui était présenté, dans le prospectus de l’époque, comme « un canard artificiel en cuivre doré qui boit, mange, cancane, barbotte dans l’eau et fait la digestion comme un canard vivant », avec des mouvements que l’on pouvait programmer. Voltaire considérait Vaucanson comme le rival de Prométhée [1].

Sources d’inspiration pour l’homme

De tout temps, les inventeurs se sont inspirés de l’organisation de l’animal, de son aptitude à s’adapter aux conditions du milieu extérieur, pour fabriquer des machines capables d’effectuer des tâches de plus en plus complexes. C’est ce qu’on appelle le biomimétisme.

Mais si les animaux ont été une source d’inspiration pour la fabrication de machines, l’observation pure et simple de la nature n’a pas toujours été suffisante pour que les machines inventées par l’homme remplissent les tâches que l’animal, l’oiseau par exemple, effectue excellemment. Citons Léonard de Vinci (1452-1519), qui étudia le vol des oiseaux, ainsi que l’anatomie de leurs ailes, la fonction et la position des plumes, et en fit de nombreux croquis. Son rêve était de fabriquer une machine volante sur le modèle de l’oiseau. Il imagina l’ornithoptère, machine volante avec des ailes d’oiseau mises en mouvement par la force musculaire humaine, mais qui ne put jamais voler.

Un Français, Etienne Œhmichen (1884-1955) chercha à percer le mystère du vol des insectes et à le reproduire. Malheureusement, il mourut oublié et ruiné. Pourtant, d’après un article du Monde du 18 janvier 2012, « les travaux d’Œhmichen […] sont aujourd’hui réhabilités dans un domaine de pointe : les microdrones. De par leur taille, ces engins volants de moins de 15 cm posent de nouvelles contraintes et nécessitent de s’intéresser aux techniques de vol inspirées du vivant » [2].

En 1903, les frères Wright, pionniers de l’aviation, s’inspirèrent des pigeons en vol pour construire le premier aéronef plus lourd que l’air et effectuèrent le premier vol motorisé contrôlé d’un avion. D’autres inventeurs prirent la chauve-souris pour modèle.

Un procédé en plein développement

Le biomimétisme est, selon le Centre Européen d’Excellence en Biomimétisme de Senlis (CEEBIOS), une « véritable opportunité pour le futur [qui] consiste in fine à faire de la recherche autrement, en s’inspirant du vivant pour tirer parti des solutions et inventions produites par la nature. » [3]. Cette approche, inventée par Otto Schmitt, Professeur de biophysique, génie biomédical et génie électrique, a été vulgarisée en 1997 par la biologiste américaine, Janine M. Benyus, dans son livre, Biomimicry, Innovation Inspired by Nature, traduit en France en 2011 sous le titre Biomimétisme, quand la nature inspire des innovations durables [4].

Le biomimétisme – du grec, bios (vie) et mimesis (imitation) –, a conduit à toutes sortes d’inventions qui rendent service à l’homme ou lui permettent de mieux connaître et comprendre le vivant.

Une nouvelle faune

Elle est très riche et prometteuse. En voici quelques exemples :

Crabes, tortues, cygnes, poissons…

Ils ont inspiré des chercheurs des quatre coins du monde. Le Crabster CR200 est un robot-crabe de 2,40 m de long, qui a été conçu par des scientifiques de l’Institut Coréen des Sciences Océaniques pour explorer les fonds marins traversés par de très forts courants.

Madeleine, un robot aquatique qui imite les formes des tortues pour nager dans les profondeurs, a été imaginée par des chercheurs new-yorkais.

Des chercheurs en robotique de l’Université nationale de Singapour ont développé des robots-cygnes quasi autonomes pour améliorer la surveillance des milieux naturels grâce à différents capteurs permettant de mesurer le pH, la turbidité, la teneur en chlorophylle ou en oxygène dissous de l’eau. Ces robots-cygnes glissent sur l’eau avec la même élégance que leur modèle naturel [5].

Des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Techno-logy) ont créé un poisson synthétique, souple et autonome, capable de se déplacer dans l’eau presqu’aussi rapidement qu’un vrai poisson.

Oiseaux et insectes volants

Le Robo-Fly est un drone-abeille développé par une équipe de l’Université Harvard. En fibre de carbone, il a la taille d’une pièce d’un centime et pèse moins d’un gramme. Il est destiné à la prévention de certaines situations météorologiques, mais ses concepteurs imaginent qu’il pourrait remplacer les vraies abeilles dans la pollinisation des fleurs grâce à l’imitation de leurs capacités oculaires [6].

Les animaux rampants ou terrestres

Dans le domaine médical, l’observation du mécanisme de propulsion de l’escargot a donné l’idée de l’imiter pour déplacer un endoscope à l’intérieur de l’organisme, en profitant du mucus qui recouvre la trachée, l’œsophage ou le colon.

Citons encore le robot-serpent pour surveiller les fonds marins, le robot-blatte pour étudier le comportement social des cafards. Pour accéder à des zones hors d’atteinte, soit trop dangereuses comme la piscine de refroidissement d’un réacteur nucléaire, soit tout simplement inaccessibles, les robots-cafards de l’Université de Berkeley et les robots-criquets de l’Université de Tel Aviv devraient être des moyens de secours efficaces.

Malgré leur petite taille, les fourmis peuvent soulever plus de cent fois leur propre masse et plus encore, si elles unissent leurs forces en formant de longues chaînes. Elles ont inspiré des scientifiques de l’Université de Stanford en Californie, qui ont conçu des robots minuscules pouvant mettre en commun leurs forces pour tirer une voiture de deux tonnes [7].

Quant à Cheetah, le robot-guépard, c’est un quadrupède mécanique qui pour l’instant court à 30 km/h sur le tapis roulant d’un laboratoire, mais est destiné à porter un jour le barda de fantassins ou bien encore des bombes. Jean-Luc Goudet, sur Futura-Sciences, écrit : « Cette étonnante mécanique galope de plus en plus vite. Le laboratoire Boston Dynamics est fier de nous présenter son nouveau record : 18,1 mph, soit 29,1 km/h. Le précédent record pour un robot quadrupède, est-il précisé, serait de 13,1 mph (21,1 km/h) et daterait de 1989 pour un bipède du MIT. D’après la Darpa1, c’est bien la course du guépard qui a inspiré les mécaniciens. Cheetah galope et, par moments, aucune des pattes ne touche le sol. De plus, quand la vitesse devient élevée, le dos se plie et se déplie. » [8]

Certains robots-animaux, pour une meilleure connaissance et compréhension du vivant

Par exemple, Psikharpax, robot-rat intelligent, s’inspire des capacités de représentation spatiale des rats pour se diriger de manière autonome. Sur Futura-Sciences, on lit : «  Il s’agit de mettre au point un robot-rat artificiel dont l’équipement sensoriel, le fonctionnement du « cerveau » informatique et les fonctionnalités sont inspirées le plus possible du rat. L’objectif principal est d’utiliser le robot comme une plateforme de test d’hypothèses biologiques pour contribuer à la compréhension de ces mécanismes chez les mammifères » [9].

Nao, le petit robot humain qui imite l’homme-animal

Si certains robots sont plus performants que les animaux qu’ils imitent, on peut alors se demander si un jour les robots qui imitent l’homme, qui marchent, courent, sourient, parlent, gesticulent comme lui, lui ressembleront tellement qu’il ne sera plus possible de les différencier. Dès maintenant, hommes et robots commencent à établir entre eux de nouvelles relations et de nouvelles interactions sociales [10]. Aujourd’hui, les robots humanoïdes effectuent des fonctions diverses : garde-malade, agent d’accueil, vendeur, policier capable de maîtriser un manifestant… Certaines expérimentations ont été lancées dans le domaine de la santé. C’est, par exemple, dans le cadre du programme Rob’Autisme, le petit robot Nao (Aldebaran, Robotics) que de jeunes autistes apprennent à programmer et à manipuler : « Dans un premier temps, les jeunes faisaient dire à Nao ce qu’ils ne pouvaient pas exprimer. On a constaté une évolution progressive. Ils se sont réellement appropriés Nao. Au bout de six mois, on avait affaire à des adolescents qui ne hurlaient plus pour se faire entendre, se concentraient mieux et réussissaient à communiquer entre eux  », a expliqué Sophie Sakka, responsable de « Robots ! » [11] et chercheur en robotique à Centrale Nantes.

« Au contraire de ce que l’on croit souvent, la robotique ne déshumanise pas la relation à l’autre. Le robot comme médiateur de soin est un nouveau champ de compétences », précise Arnaud Poitou, le directeur de l’École Centrale de Nantes.

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Mikoláš Aleš (1852–1913). Représentation du rabbin Loew et de son Golem.

Cependant ces robots, animaux ou humanoïdes, demain dotés d’une intelligence artificielle, ne risquent-ils pas un jour d’échapper à tout contrôle comme dans Frankenstein ou le Prométhée moderne ou à l’instar du Golem, qui se retourna contre son créateur ? [12]

Notes et références

1 DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), « Agence pour les projets de recherche avancée de défense », agence du département de la Défense des États-Unis.

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