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Prise en charge : le retard français
(Dossier Autisme)
par Brigitte Axelrad – Science et pseudo-sciences n°317, juillet 2016
Le poème de Benjamin
Je suis étrange, je suis originalJe me demande si tu l’es aussiJ’entends des voix dans l’airJe vois que ce n’est pas ton cas et ce n’est pas justeJe veux ne pas être tristeJe suis étrange, je suis originalJe fais comme si tu l’étais aussiJ’ai l’impression d’être un garçon dans l’espaceJe touche les étoiles et ne me sens pas à ma placeJe m’inquiète de ce que les autres pensentJe pleure quand les gens rient, je me sens tout petitJe suis étrange, je suis originalJe comprends maintenant que tu l’es aussiJe dis « je me sens comme un naufragé »Je rêve d’un jour où ce ne sera pas un problèmeJ’essaye de trouver ma placeJ’espère y arriver un jourJe suis étrange, je suis original.
Benjamin (10 ans, atteint du syndrome d’Asperger.)
Ce poème d’un jeune Américain, écrit dans le cadre d’une rédaction sur le thème “I am”, (« Je suis »), a été posté par sa maman sur la page Facebook de la National Autism Association [1]. Il a donné naissance au mouvement #oddtoo (je suis étrange aussi) sur Twitter, où les internautes ont également fait part de leur différence pour rassurer son auteur, et pour qu’il se sente moins seul. Le poème a été partagé 25 000 fois en quelques heures et a donné lieu à des milliers de commentaires !
En avril 2012, dans le numéro 300 de Science et pseudo-sciences, nous avions présenté un dossier sur la question de l’autisme1, intitulé : « Autisme – Le jour se lève sur les approches scientifiques » [2]. Nous écrivions : « En France, le vrai débat sur l’efficacité des psychothérapies n’a jamais pu avoir lieu à cause de l’intransigeance d’une majorité des psychanalystes totalement fermés à toute discussion scientifique et au principe même d’une évaluation de leurs pratiques. Fort heureusement, il semble que le jour se lève pour les approches scientifiques en ce domaine ! »
Où en sommes-nous au printemps 2016, alors que s’est déroulée, le 2 avril, une nouvelle journée mondiale de sensibilisation à l’autisme et que, le 22 avril, a débuté la réunion du Comité national autisme, composé de représentants des associations, de professionnels et des administrations, chargés du suivi du 3e plan autisme (2013-2017). Si les connaissances scientifiques ont progressé [3], la compréhension de l’autisme n’a pas vraiment évolué dans l’opinion et la prise en charge des personnes autistes est encore très insuffisante à tous points de vue. C’est un fait que le retard français n’a pas été rattrapé.
L’autisme en France
En France, d’après SOS Autisme France [4], un enfant sur cent naît autiste, 650 000 personnes, dont 250 000 enfants, présentent des troubles autistiques, moins de 20% des enfants autistes sont scolarisés, un manque d’investissement dénoncé en juillet 2015 par le Conseil de l’Europe, qui avait condamné la France pour ne pas avoir respecté le droit des personnes avec autisme à recevoir une éducation, en vertu de la Charte sociale européenne. Moins de 5% poursuivent des études supérieures et très peu pratiquent un sport ou un instrument de musique. Seul un autiste sur dix travaille. En cause, une prise en charge encore trop souvent inadaptée et tardive et sous la coupe des psychanalystes. Jusqu’à présent, les parents d’autistes n’avaient pas d’autre choix que de placer leur enfant dans des lieux dédiés, un choix par défaut qui ne profite ni aux parents, ni aux enfants, ni à l’Assurance maladie pour laquelle la charge financière est importante, ou de tenter un accompagnement scolaire et faire appel à des éducateurs et des psychomotriciens, avec une maigre allocation handicap de 500 euros, loin d’être suffisante pour financer la surcharge de 3 000 à 4 000 euros par mois. Le documentaire de Sophie Robert, Le Mur ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme, en témoigne [5,6].
Laurent Mottron, professeur de psychiatrie, clinicien et titulaire de la chaire de neurosciences cognitives de l’autisme à l’Université de Montréal, écrivait dans un article du Monde, en mars 2012 : « […] pour moi la psychanalyse n’a rien à dire ni à faire avec l’autisme. La psychanalyse est une croyance, une pratique qui doit rester limitée à un rapport entre adultes consentants. On doit la sortir du soin, des enfants en particulier (et pas seulement de l’autisme). Je suis parti au Canada pour fuir cela il y a vingt ans »[7].
L’autisme n’est ni une psychose ni une maladie
Depuis les années 1980, la classification internationale des syndromes autistiques comme « troubles envahissants du développement » a conduit à l’abandon de la théorie psychanalytique de l’autisme, inaugurée par Bruno Bettelheim, et de la notion de « psychose autistique », dans la quasi-totalité des pays, à l’exception de la France et de certains pays d’Amérique latine, où la culture psychanalytique exerce encore une influence particulièrement importante dans la pratique psychiatrique.
L’autisme n’est pas une psychose, dont la mère « trop froide » serait responsable, l’autisme n’est pas non plus une maladie organique. Les produits ou traitements qui prétendent « guérir » ou « traiter » l’autisme sont illusoires. Certains peuvent même comporter des risques importants pour la santé. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA, Administration des aliments et des médicaments) a publié un document intitulé « Sensibilisation et vigilance sur les faux traitements de l’autisme », pour aider les parents à lutter contre les messages faux, trompeurs et dangereux [8].
Rendre un autiste heureux en l’aidant à trouver sa place dans la société
Mettant l’accent sur la différence des autistes par rapport aux « neurotypiques » (ceux qui ne le sont pas), Laurent Mottron écrit : « Parce que l’organisation de leur cerveau est différente, les autistes ont un mode de pensée spécifique. À nous de le respecter pour qu’ils trouvent leur place dans la société ». Laurent Mottron regrette que l’on tende souvent à associer différence (par exemple les signes d’autisme) et déficit et que perdure l’illusion que l’on peut et que l’on doit réduire cette différence. Il écrit : « Comprendre l’autisme, et rendre un autiste heureux, ayant accompli ses potentialités et contribué à la société ne consiste pas à réduire sa différence, mais à lui trouver sa place ». Il est vrai que les sociétés avancées ont une faible tolérance à l’égard de la différence et que nombre de personnes autistes souffrent au quotidien de discriminations et de préjugés et bénéficient rarement d’une prise en charge adaptée.
Dans un article publié par Cerveau et psycho, en juin 2012 [9], Laurent Mottron évoquait une étude réalisée sur plus de 1 000 autistes de tous âges et de tous niveaux. Il en ressortait que l’univers mental des personnes autistes est profondément différent de celui des personnes non autistes. L’imagination, les attentes, les émotions et le langage des autistes modifient leur perception et leur mémorisation de la réalité, laquelle apparaît de ce fait plus véridique que chez les autres enfants. Par ailleurs, certains autistes ont une forme de créativité qui les oriente vers ce qui est plus structuré, comme l’écriture ou la musique, plutôt que vers le langage oral. Il existe plusieurs techniques d’intervention ou programmes d’intervention tels que l’ABA (Applied Behavior Analysis), TEACH, DENVER, LOVAAS, etc., qui visent à réduire ou même supprimer les manifestations autistiques pour normaliser le comportement autistique. Mottron pense que c’est une erreur et qu’il est plus bénéfique pour l’enfant autiste de l’aider à s’adapter tel qu’il est aux exigences de la vie sociale. Mais ce débat au sein des associations et entre les spécialistes est loin d’être clos. Ce qui est sans doute vrai pour la plupart des personnes atteintes du syndrome d’Asperger ne s’applique pas pour les autistes plus sévèrement touchés, qui représentent la majorité des cas. Pour eux, il y a un intérêt évident à « devenir un peu moins autiste ». Ceci leur permettrait déjà de gagner en autonomie personnelle, pouvoir s’habiller, se laver, interagir avec les autres sans les agresser et sans les faire fuir, et éventuellement, étudier et avoir un emploi.
Les mesures annoncées
Cependant, les déclarations récentes de Ségolène Neuville, Secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, donnent un espoir aux familles d’autistes. Dans son Discours au Comité National Autisme [10] le 21 avril, elle s’est engagée sur plusieurs mesures, telles que réduire les délais de dépistage, améliorer les établissements médico-sociaux, décharger les familles d’une partie des frais qu’entraîne la prise en charge par certains spécialistes, psychologues, éducateurs ou psychomotriciens, d’une personne avec autisme. Ces décisions sont une réponse aux demandes des familles de s’affranchir définitivement des pratiques anciennes du secteur public qui se limitent souvent à des psychanalyses, pourtant pointées du doigt par un rapport de 2012 de la Haute autorité de santé (HAS).
Le packing, un acte de maltraitance
Ségolène Neuville est revenue sur la pratique du packing qui consiste à envelopper un patient de linges froids et humides en guise de contention, à laquelle ont encore recours certains psychanalystes [11]. En effet, la commission spécialisée « Sécurité des patients » du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), chargée d’évaluer les risques éventuels liés à cette technique en mars 2010, avait conclu qu’elle ne présentait pas de « risques notables identifiés à ce jour » et qu’elle pourrait continuer à être utilisée en tant que traitement de l’autisme dans des conditions de sécurité satisfaisantes et par des professionnels spécifiquement formés [12,13]. La secrétaire d’état a dit clairement : « Enfin, je veux apporter des précisions concernant la pratique du packing sur laquelle je me suis récemment exprimée et notamment devant la représentation nationale à l’Assemblée. […] Cette technique n’est pas recommandée par la HAS (Haute Autorité de Santé) et l’ANESM (Agence Nationale d’Évaluation Sociale et Médico-sociale). […] Je veux rappeler que l’Organisation des Nations Unies (ONU) a estimé que le packing est un acte de maltraitance, et c’est aussi notre position. Cette pratique ne doit donc plus être utilisée dans les établissements. C’est pour cela que la circulaire adressée aux ARS (Agences Régionales de Santé) dans les tout prochains jours indiquera clairement que la signature des contrats d’objectifs et de moyens des établissements médico-sociaux est strictement subordonnée au respect d’engagements de lutte contre la maltraitance, et donc à l’absence totale de pratique du packing ». Il reste que certains parents ne sont pas totalement rassurés et se demandent si ces mesures annoncées seront vraiment suivies d’effets.
Le retard de la France
Dans les années 1970, une nouvelle conception organique, neurobiologique, de l’autisme avait conduit, en particulier dans les pays anglo-saxons et les pays d’Europe du Nord, au développement de méthodes radicalement nouvelles, d’insertion sociale, de « désinstitutionalisation », et de prise en charge précoce des enfants. Cette prise en charge était à la fois éducative, psychologique et thérapeutique dans le cadre d’une participation active des parents et des familles. Ces méthodes ont aussi conduit à une attention particulière à la souffrance des familles, à leur accompagnement, contribuant ainsi à atténuer leur détresse.
Malheureusement, en France, le retard sera long à rattraper aussi bien pour la prise en charge des enfants que pour celle des adultes. Le renouvellement des pratiques thérapeutiques passe par la formation, sur des bases scientifiques, de nouvelles générations de thérapeutes. Il faudra donc mettre en œuvre une réforme de l’enseignement universitaire, car près de 75% des universités continuent de dispenser des enseignements obsolètes sur l’autisme. Les théories psychanalytiques, qui ne tiennent pas compte du progrès des connaissances scientifiques, sont enseignées, non seulement dans les écoles et instituts privés de psychanalyse qui forment sans cesse davantage de psychanalystes, mais aussi dans les universités. En province comme à Paris, la plupart des facultés qui dispensent un enseignement de psychologie ont un département consacré à la psychanalyse, quand elles ne s’inscrivent pas pleinement dans son courant. En novembre 2013, une pétition pour le maintien de l’enseignement de la psychanalyse dans les Masters de psychologie à l’université avait recueilli suffisamment de signatures pour qu’il soit décidé que la mention de la psychanalyse soit maintenue, comme auparavant [14] !
Références et notes
[1] National Autism Association, page facebook
[2] SOS Autisme France : http://sosautismefrance.fr/autisme_…
[3] Dossier Autisme : 300, SPS n°300, avril 2012.
[4] L’autisme : un pas de plus vers sa connaissance (1), SPS 286, juillet-septembre 2009.
[5] Dragon bleu TV : bande-annonce, « Le Mur »
[6] Autisme : les « délires scientifiques » des psychanalystes, SPS n°299, janvier 2012.
[7] « Autisme : une mise en garde contre la méthode ABA », Le Monde, 15 mars 2012.
[8] « Sensibilisation et vigilance sur les faux traitements de l’autisme », publié par la FDA, administration américaine du médicament. Avril 2014. Traduit par Autisme France.
[9] Laurent Mottron, L’Autisme : une autre intelligence, Mardaga, 2004 ; Cerveau et psycho, mai-juin 2012 : « L’autisme : une différence plus qu’une maladie ».
[10] Discours de Ségolène Neuville – Comité National Autisme – Bilan d’étape du Plan Autisme 2013-2017, Jeudi 21 avril 2016 – Mairie de Paris.
[11] Le « packing », la camisole glacée des enfants autistes, SPS n° 288, octobre 2009.
[12] Le « packing » confirmé malgré l’absence d’intérêt thérapeutique prouvé !, SPS n° 292, octobre 2010.
[13] Note de lecture sur L’empereur, c’est moi – Une enfance en autisme , Hugo Horiot, SPS n°307, janvier 2014 –
[14] Pétition pour le maintien de l’enseignement de la psychanalyse à l’université en novembre 2013 (sur www.snppsy.org).
1 L’autisme comprend un éventail d’affections d’intensité très variable, toutes regroupées sous le terme générique de TSA (Trouble du Spectre Autistique). Ce terme englobe toute la variété des formes d’autismes, indépendamment du degré d’atteinte ou de la présence ou non d’une déficience mentale associée.