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Souvenir refoulé, souvenir inventé, peut-on se fier à la mémoire ?
Travail de maturité Collège CALVIN Genève Sept 2003
Source : http://tecfa.unige.ch/perso/lombardf/calvin/TM/03/mossaz/souvnir-invent-refoul.html
Avant Propos
« Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. » Pierre Corneille.
Jessica Mossaz est une lycéenne suisse de 17 ans, elle a étudié en 2003 le « Syndrome des faux souvenirs », puis rédigé un mémoire pour obtenir son certificat de maturité. Elle a parfaitement saisi et expliqué, en termes simples, cette dérive des thérapeutes. Elle a rencontré et interrogé le Professeur Martial Van den Linden, cité et commenté le cas de Lynn Price Gondolf décrit par Élizabeth Loftus dans son livre. Elle a également interrogé un psychiatre-psychanalyste suisse et son commentaire, tout empreint de naïveté juvénile, vaut bien des analyses. Ce fut l’un des premiers écrits en français sur le sujet. Les quelques inexactitudes que j’ai relevées n’enlèvent rien à la qualité de ce travail.
Brigitte Axelrad
Résumé
Aux Etats-Unis, certaines personnes ont, après avoir suivi une psychothérapie, retrouvé des souvenirs d’abus sexuels. Plusieurs de ces personnes se sont ensuite rendu compte que ces souvenirs étaient de faux souvenirs, qu’ils ne s’étaient jamais vraiment passés. Dès lors, on peut dire que deux camps ont émergés : d’une part les psychothérapeutes qui soutiennent que ces souvenirs sont vrais et que ceux qui pensent le contraire sont en déni ; d’autre part des scientifiques, souvent spécialistes de la mémoire qui pensent que cette dernière est malléable et donc que tous les souvenirs retrouvés d’abus sexuels ne sont pas forcément vrais. Dans ce travail, j’ai essayé d’expliquer comment se forment ces faux souvenirs et de voir dans quelles mesures les deux partis avaient tort ou raison.
I Introduction
Quel est ton plus beau souvenir ? Le plus mauvais ? Le plus marquant ? Et le plus vieux ? Les souvenirs sont pour nous la preuve que nous existons, que nous avons vécu des choses, que nous étions là à ce moment précis et que nous avons assisté à cet événement. Ils ont une influence sur notre manière d’agir, de penser, de voir et de ressentir ce qui nous arrive. Les souvenirs font donc partie de nous et de notre histoire. Mais peut-on avoir confiance en ces souvenirs, sont-ils permanents, inflexibles et toujours fidèles à la réalité ?
J’aurais pu choisir ce sujet après avoir discuté avec ma mère qui m’aurait déclaré que je n’ai pas assisté à l’enterrement de ma grand-tante, alors que moi j’étais persuadée d’avoir été là et d’avoir vu ma famille en pleurs. Je me serais alors renseignée et j’aurais découvert que ma mère avait raison, je n’étais pas présente lors de ce triste événement. J’aurais alors été victime d’un faux souvenir et cela aurait pu éveiller mon intérêt sur ce sujet. Mais ce n’est pas le cas, je me souviens que je ne suis pas allée à l’enterrement de ma grand-tante, et jusqu’à présent, tous mes souvenirs se sont avérés corrects. Alors, qu’est ce qui m’a poussée à choisir ce sujet ? En fait cela m’est venu un peu par hasard. J’ai d’abord voulu faire une sorte de recherche sur l’impact qu’a un sourire sur une personne, mais la première documentation que j’ai trouvée étant un peu trop » dentaire » pour moi, je me suis dirigée vers la mémoire dont je ne connaissais pratiquement rien, mais qui me semblait être un sujet intéressant. M. Lombard m’a prêté son gros livre de psychologie (1) qui comportait un chapitre sur la mémoire. Après avoir lu ce chapitre, j’ai décidé que la biochimie de la mémoire m’intéressait peu, mais que sa fiabilité serait mon sujet.
Ensuite, je me suis beaucoup documenté, j’ai découvert ce qu’est un faux souvenir et tout le phénomène qui l’entoure. Je me suis rendu compte qu’un livre me serait indispensable : le livre d’Elisabeth Loftus et de Katherine Ketcham (2) que j’ai lu d’un trait, tellement il était intéressant. Puis j’ai découvert qu’un expert de la mémoire et des faux souvenirs se trouvait à Genève ! J’ai alors pris contact avec lui et je l’ai rencontré. J’ai également fait une interview d’un psychanalyste. Puis, il a fallu écrire. Pour clarifier un peu mes idées, j’ai discuté avec une amie qui côtoie des psychologues, cela m’a permis de relativiser un peu les choses et d’être plus objective. Lors de la transcription de l’interview du professeur Van der Linden, j’ai du modifier un peu ce qu’il a dit.
En effet, vu que l’interview était orale, certaines expressions ne pouvaient pas être retranscrites mots pour mots. Voilà, le travail est maintenant terminé, je vous laisse poursuivre votre lecture et j’espère que vous trouverez ce sujet aussi passionnant que moi.
II Cadrage théorique
Afin de mieux comprendre ce dont je parle tout au long de ce travail de maturité, il y a quelques mots et concepts clés qu’il est important de comprendre.
La mémoire
Avant tout, il faut être au clair sur ce qu’est la mémoire.
C’est une activité biologique et psychique qui permet de retenir des expériences antérieurement vécues (4). Beaucoup étudiée, de nombreuses théories on fait surface, la dernière, notamment défendue par le professeur Van der Linden(3), étant qu’elle est composée principalement de cinq systèmes regroupés en deux groupes.
Le premier contient tout ce qui a trait à la mémorisation à long terme, c’est-à-dire :
– La mémoire sémantique, qui sert à l’acquisition de connaissances générales sur le monde et renferme une carte cognitive des lieux.
– La mémoire procédurale, où est stocké l’apprentissage de nouvelles habiletés perceptives, motrices ou cognitives acquises par l’action.
– Les systèmes de représentation perceptive qui sont impliqués dans le stockage de la forme et de la structure des objets, des visages et des mots (sans leur signification).
– La mémoire épisodique, celle qui nous concerne et qui permet le stockage et la prise de conscience d’épisodes personnellement vécus, c’est donc là que sont stockés nos souvenirs.
Ce qui a permis au professeur Van der Linden et à ses collègues de différencier la mémoire épisodique des trois autres systèmes, c’est notamment l’étude de cas amnésiques. En effet, chez les amnésiques, ce n’est pas toute la mémoire à long terme qui est touchée mais seulement la mémoire épisodique. L’amnésique est donc parfaitement capable d’accomplir des tâches impliquant la mémoire à long terme, comme tenir une conversation, même si dix minutes plus tard il ne se souvient plus l’avoir fait.
Le deuxième groupe qui s’occupe de la mémoire à court terme ne contient qu’un seul système:
– La mémoire de travail, dont la mission est de maintenir temporairement une petite quantité d’informations sous une forme aisément accessible pendant la réalisation de tâches cognitives diverses.
Bien sûr, beaucoup de choses sur la mémoire restent un mystère et puisqu’elle est constamment sujette à de nouvelles recherches, il se peut que d’un jour à l’autre toute cette théorie soit bouleversée par une autre découverte.
Mais en fait, pourquoi oublie-t-on ? Ne serait-ce pas plus simple si on se souvenait de tout, si notre mémoire était » parfaite » ? Détrompez-vous, l’oubli est important, peut-être même tout aussi important que la mémoire. En effet, à chaque instant de notre existence, des milliers d’informations viennent à nous, il serait complètement inutile de tout retenir ! Si vous vous souveniez de tous ce que vous avez mangé depuis que vous aviez cinq ans, vous vous imaginez à quel point ce serait dur pour votre cerveau de se rappeler exactement de ce que vous avez mangé la veille ?
Les psys
Il faut aussi distinguer tout ce qui se cache derrière l’abréviation » psy « .
– Le psychiatre est un médecin qui soigne les maladies mentales (il peut prescrire des médicaments, contrairement au psychologue).
– Le psychologue lui, n’est pas médecin, il a fait ses études dans une faculté de psychologie et soigne aussi la psyché, c’est-à-dire ce qui est relatif au mental et à l’affectif.
– En Suisse, le psychothérapeute est le terme général qui désigne le psychologue et le psychiatre. A l’étranger, on peut cependant le distinguer de ceux-ci. Il a des pratiques un peu particulières, très diverses, qui vont de l’hypnose à la sexologie ou encore à la relaxation.
Dans le livre d’Elisabeth Loftus et de Katherine Ketcham(2), c’est le terme de psychothérapeute qui est employé. Moi-même, j’emploierai le mot psychothérapeute tout au long de ce travail pour désigner les thérapeutes américains qui soutiennent qu’on ne peut pas implanter des souvenirs dans la mémoire des patients
– Le psychanalyste est un psychologue ou un psychiatre* qui a ensuite fait une formation spécifique à la psychanalyse et qui est reconnu par ses pairs comme tel. Cette formation peut durer une dizaine d’années et contient une analyse personnelle.(10)
* Note : Ici une petite erreur : le psychanalyste peut aussi exercer son art sans avoir suivi de formation ni en psychologie ni en psychiatrie, une analyse personnelle suffit.
Le faux-souvenir
Maintenant, précisons juste ce qu’est un faux souvenir. Dans le dictionnaire, on peut lire qu’un souvenir est » une survivance dans la mémoire d’une sensation, d’une impression, d’une idée, d’un évènement passé » (4). Le faux souvenir, c’est en quelque sorte le souvenir d’un événement qu’on n’a pas vécu.
Prenons un exemple tout bête : pour l’anniversaire de vos treize ans, vous décidez d’inviter une quinzaine de personnes à la piscine. Vous espérez surtout que Jean, le nouvel élève de votre classe, va venir car vous le trouver très mignon. Il répond oui à votre invitation et vous êtes aux anges. Pendant toute la semaine qui précède votre anniversaire vous ne pensez qu’à lui et aux bons moments qui vous attendent. Vous imaginez le scénario parfait, vous pensez que vous allez vivre le plus beau jour de votre vie…Seulement une heure avant la fête il vous appelle pour vous dire que malheureusement sa mère l’a privé de sortie et qu’il ne pourra pas venir. Quelle déception pour vous ! Dix ans plus tard, vous discutez avec des amis de vos plus beaux anniversaires, vous racontez que vos treize ans étaient vraiment magiques, vous avez passé la journée à la piscine avec le garçon de vos rêves, vous vous rappelez parfaitement de cette journée, le temps qu’il faisait, ce que vous avez mangé, ce que vous avez fait. Mais Christine, votre amie d’enfance vous assure que Jean n’était pas venu à votre anniversaire et que vous aviez été très déçue. Vous ne la croyez pas, jusqu’à ce que vous finissiez par regarder les photos de cet anniversaire et que vous voyez que Jean n’était pas présent. Vous avez eu un faux souvenir. A treize ans, vous aviez imaginé avec tellement de détails cette journée, que dix ans plus tard, vous avez confondu la réalité avec l’imaginaire. Le faux souvenir ne concerne donc rien de particulier.
Cependant dans ce travail, je vais surtout parler des faux souvenirs d’abus sexuels car ils sont d’une gravité extrême et influencent de façon permanente la personnalité et la vie des gens.
Le phénomène des faux souvenirs
Peut-être faut-il aussi expliquer ce que je veux dire par » phénomène des faux souvenirs « . Dans les années 1970, aux Etats-Unis, le mouvement féministe a commencé à s’imposer : les viols, agressions sexuelles et autres incestes, jusqu’alors un sujet tabou, ont pu être dévoilés plus facilement.
Dans les années 1980, de plus en plus de femmes adultes retrouvent, après avoir suivi une thérapie, des souvenirs d’abus sexuels qu’elles avaient refoulés. Dès lors, les psychothérapeutes sont de plus en plus demandés. Beaucoup de livres décrivant les symptômes de souvenirs refoulés d’abus sexuels sont publiés. Ces souvenirs retrouvés deviennent de plus en plus mis à jour et médiatisés dans les années 1990. On en fait des émissions télévisées, un show dramatique, un évènement sensationnel qui va même jusqu’au tribunal, les victimes demandant des indemnités. On commence à douter de n’importe quel souvenir de geste affectueux. Le souvenir retrouvé d’abus sexuels devient alors quelque chose de banal et le moindre malaise peut être un symptôme de souvenirs refoulés d’abus sexuels.
Depuis, des associations telles la False Memory Syndrome Foundation (FSMF ; Fondation du Syndrome des Faux Souvenirs) sont apparues pour défendre et protéger les victimes de faux souvenirs. Ceci a entraîné une véritable guerre entre deux camps : d’un coté les psychothérapeutes et les » survivants » (c’est le nom qu’ils emploient pour désigner les victimes d’abus sexuels qui en ont refoulé le souvenir), de l’autre, beaucoup de victimes de faux souvenirs, de parents de victimes complètement désemparés et de scientifiques, comme Elisabeth Loftus. Alors où mènera ce débat ?
Et s’étendra-t-il en Europe ? Seul l’avenir nous le dira *. (2) (6)
* Note : On est en 2013, soit 10 ans plus tard, et le débat n’a jamais eu lieu.
Le refoulement
Le refoulement* est un terme beaucoup employé par certains psychothérapeutes partisans de la théorie de Freud. D’après eux, certains évènements traumatiques sont si douloureux que le corps et l’esprit préfèrent ne pas s’en rappeler, ils en refoulent le souvenir dans leur inconscient. Ainsi, ces personnes ne se souviennent plus du tout de ces événements.
Cependant, elles ne sont jamais vraiment entièrement heureuses et épanouies et sont souvent malades, par exemple en dépression. Pour guérir, disent ces psychothérapeutes, il faut qu’elles aillent rechercher ce souvenir, qu’elles l’affrontent et qu’elles l’acceptent. Une des manières d’y parvenir peut être l’hypnose. (2)
* Note : Aucune preuve scientifique de l’existence du refoulement n’a été apportée. Il s’agit donc d’une hypothèse de S. Freud.
L’hypnose
L’hypnose est un » état de sommeil artificiel provoqué par suggestion » (4). La personne hypnotisée ne semble entendre que l’hypnotiseur, elle répond de manière automatique, ignorant tous les aspects de l’environnement sauf ceux indiqués par l’hypnotiseur. Il a été découvert que la mémoire et la conscience de soi-même peuvent être changées par suggestion, et les effets de ces suggestions peuvent être prolongés sur les activités réveillées ultérieures.
Parmi les expériences les plus dramatiques de l’hypnose, on trouve les distorsions de la mémoire. Si l’on suggère que des événements fictifs se sont réellement passés, le sujet hypnotisé peut, non seulement s’en rappeler, mais il peut également entrer dans leurs détails. Un moyen spécial de distorsion de la mémoire est celui de la » régression » à un âge antérieur. C’est celui-ci qui est souvent employé lors des séances de thérapies. La personne hypnotisée semble revivre des évènements qui lui sont arrivés quand elle était enfant ; son discours, son écriture et son moteur général deviennent enfantins.
La » régression » à un âge antérieur semble rendre le sujet hypnotisé moins concerné par la véracité de ses souvenirs et il remplit les trous grâce à son imagination. Ceci peut ensuite lui permettre de retrouver des souvenirs refoulés, mais il est souvent difficile de distinguer les faits de la fiction. (5)
Fred Frankel, ancien président de la Société Internationale d’Hypnose et professeur à la faculté de médecine d’Harvard résume bien ce qu’on sait sur l’hypnose :
» Si les études en laboratoire ont montré de façon répétée que l’hypnose pouvait accroître le nombre de souvenirs, certains peuvent être exacts, mais un nombre probablement équivalent ne l’est pas. De plus, l’hypnose amène le sujet à une confiance accrue en ses souvenirs, indépendamment du fait qu’ils sont vrais ou faux. Des éléments suggérés sous hypnose sont incorporés au sein de souvenirs considérés [par le patient] comme véridiques quoique faux. » (6)
La dépression
La dépression est un » état pathologique de souffrance marqué par un abaissement du sentiment de valeur personnelle, par du pessimisme et par une inappétence face à la vie « . (4) La dépression est souvent la raison qui nous amène chez le psy : on ne se sent pas bien, on est mal dans sa peau mais, généralement, on ne sait pas pourquoi, alors, on va voir le docteur de la psyché. C’est aussi, selon certains psychothérapeutes, un des » symptômes » de souvenir refoulé d’abus sexuels.
La psychologie cognitive
Ce dernier siècle, de très nombreuses théories relatives à l’apprentissage ont fait surface, des théories qu’on peut simplifier en deux orientations : les théories stimulus-réponse et les théories cognitivistes. Selon les théories stimulus-réponse, dont un des représentants les plus connu est Pavlov, un lien associatif se crée entre une action (c’est-à-dire le stimulus) et une réaction (c’est-à-dire la réponse). Cette orientation explique bien les hypothèses physiologiques simples, mais pas les apprentissages complexes. Aussi, d’autres théories sont venu la compléter : les théories cognitivistes dont un genevois, Jean Piaget est un des auteurs. Ces théories élargissent leurs études aux activités de connaissance, telles la perception, la mémoire, le langage et l’apprentissage. Elles partent du principe que l’organisme agit de manière intelligente dans son milieu, en se faisant de son environnement des représentations mentales qu’il adapte sans arrêt à ses besoins et à ses croyances. C’est cette orientation que suivent des personnes comme le Professeur Van Der Linden et Elisabeth Loftus. (8) (9) (11)
Attention, ce que je viens de mentionner est très simplifié, toutes ces théories ont chacune leurs différences et leurs subtilités.
III Problématique
Le problème dans ces cas de souvenirs retrouvés, c’est qu’on ne sait pas qui dit vrai.
En effet, imaginez une patiente, déjà très vulnérable lorsqu’elle débute une thérapie, commençant à prendre des antidépresseurs ou d’autres pilules de ce genre, participant à des thérapies de groupe ou la plupart des autres participantes se demandent aussi si elles ont été abusées, faisant des séances d’hypnose, s’éloignant de sa famille et de ses amis. Son psychothérapeute devient son confident, son meilleur ami, il lui demande sans cesse d’essayer de se rappeler, d’imaginer, de se souvenir…
Peut-on se fier à elle et à ses souvenirs, lorsque quelques mois plus tard elle se souvient enfin d’un attouchement ou d’un viol ? Mais d’un autre côté, elle a peut-être vraiment été abusée dans son enfance et a refoulé ce souvenir trop pénible. Ce serait, à ce moment-là, une catastrophe de ne pas la croire, de ne pas prendre au sérieux son souvenir et son malaise.
De plus, on ne peut pas vraiment se fier au parent accusé d’inceste, car s’il a vraiment commis ce dont on l’accuse, il risque fort bien de le nier et de continuer à mentir. Alors qu’il ait commis ou non l’inceste, l’accusé dira qu’il n’a rien fait. Enfin, ce que disent les psychothérapeutes n’est pas forcément véridique.
En effet, ils sont souvent eux-mêmes aussi persuadés que leur patient qu’il y a vraiment eu acte incestueux. Alors, comment faire ? Qui croire ? A qui se fier ? A notre mémoire ?
IV Confrontation des deux tendances
Les partisans à la théorie de Freud
Tout d’abord, voyons un peu ce qu’est la théorie de Freud.
Au début de son œuvre, Freud découvre chez ses patientes des souvenirs de traumatismes de nature sexuelle survenus dans leur enfance. Mais peu après, il » change d’avis » et déclare que ces souvenirs ne se sont jamais réellement produits, que ce ne sont que des fantasmes et que ce sont ces fantasmes-mêmes qui créent le traumatisme. Ainsi, il instaure le concept selon lequel il existe une sexualité chez l’enfant, ce qui est un des fondements de la psychanalyse.
Les psychothérapeutes qui utilisent la première théorie de Freud, celle qui dit qu’un souvenir refoulé d’un inceste peu créer un traumatisme, pensent que si Freud a soudainement » changé d’avis « , c’est à cause des règles sociales de l’époque, et non parce qu’il pensait lui-même s’être trompé.
Selon eux, en voulant s’éviter des ennuis, Freud a en quelque sorte choisi la solution de facilité.
Ces psychothérapeutes pensent donc qu’un abus sexuel subit pendant l’enfance peut laisser des séquelles importantes et qu’une de ces séquelles serait le refoulement de ce souvenir : un souvenir trop déplaisant serait rangé dans un petit tiroir et fermé à clé par notre inconscient, pour qu’il ne nous fasse pas souffrir.
C’est le même principe lorsque, consciemment, on ne veut pas penser à quelque chose de désagréable. Qui ne s’est jamais dit avant de s’endormir : » ne penses pas à ça, tu y penseras demain, maintenant penses à quelque chose de plaisant sinon tu vas encore faire des cauchemars » ?
Lorsqu’on a refoulé le souvenir d’un certain événement on est, selon ces psychothérapeutes, » en déni « , c’est-à-dire que non seulement on ne se souvient pas de cet événement, mais en plus on ne veut pas s’en souvenir, notre corps et notre esprit ne veulent pas revivre les sensations très désagréables qu’amène ce souvenir.
Ainsi, l’inconscient ne livrera pas la clé du tiroir facilement. Cependant, la victime n’est généralement pas très bien dans sa peau, un souvenir refoulé entraîne souvent un certain malaise chez cette personne, qui peut se traduire en dépression ou en boulimie par exemple.
C’est ce mal être qui peut amener la victime à suivre une thérapie chez un psychothérapeute, une thérapie qui peut aboutir à la reconnaissance d’un souvenir refoulé, à la délivrance d’un terrible traumatisme et à la guérison.(2)
Certains de ces psychothérapeutes ont écrit des livres décrivant les symptômes d’un abus sexuel dont on aurait refoulé le souvenir. On peut ainsi voir si on a le profil d’une » survivante » et s’il serait alors profitable de commencer une thérapie.
En voici maintenant un extrait (7) :
» Jusqu’à maintenant, nous n’avons jamais rencontré de femme pensant qu’elle avait été abusée, et qui a fini par comprendre qu’elle s’était trompée. La progression va toujours du doute vers la confirmation. Si vous pensez que vous avez été abusée et si votre vie en montre les symptômes, c’est que vous l’avez été.
La liste des symptômes :
1. Vous est-il difficile de savoir ce que vous voulez ?
2. Avez-vous peur de faire de nouvelles expériences ?
3. Si quelqu’un vous fait une suggestion, pensez-vous que vos devez la prendre en considération ?
4. Suivez-vous les suggestions d’autrui comme s’il s’agissait d’ordres ?
Si vous avez répondu par l’affirmative ne serait-ce qu’à une seule de ces quatre questions, vous pouvez conclure que vous avez subi des sévices dans votre développement entre le neuvième et le dix-huitième mois de votre vie, pendant la période où vous avez commencé à ramper et à explorer le monde, en suivant votre curiosité innée. «
Je ne ferai pas de commentaires sur les déductions tirées des symptômes décrits pour le moment, mais je pense qu’il vaudra la peine d’y revenir dans la synthèse.
Ma rencontre avec un psychanalyste était finalement assez différente de ce à quoi je m’attendais. Ce que j’en ai tiré d’important, c’est que pour un psychanalyste ou un psychothérapeute, le principal c’est le patient et son bien être. Peu importe la véracité de ce qu’il raconte, ce qui importe c’est pourquoi il le raconte, ce que ça cache et comment on va pouvoir le soigner.
Les personnes opposées à cette théorie
Les personnes opposées à ces psychothérapeutes pensent que la mémoire est malléable et suggestible. C’est-à-dire que les souvenirs ne sont pas fixes comme des photographies qu’on garde dans un album et qui restent intactes durant le reste de notre vie. Non, les souvenirs peuvent changer avec le temps, ils seraient plutôt comme des photos noires et blanches qu’on colorerait et recolorerait nous-mêmes inconsciemment au fil du temps après avoir vécu d’autres évènements et ressenti d’autres émotions.
Comme le dit très bien le professeur Van Der Linden : « Plus vous êtes capable de [vous] faire une image mentale vivace, précise avec beaucoup de qualités perceptives, voir du mouvement, des odeurs…
Plus vous allez avoir des difficultés à décider si un souvenir est un souvenir de quelque chose de vécu ou […] d’imaginé. » Et comme, dans les thérapies, on fait très souvent appel à l’imagination, au rêve et à l’hypnose, l’apparition de faux souvenirs va être favorisée.
Bien sûr, ces personnes sont tout à fait conscientes et d’accord qu’il existe des abus sexuels refoulés, mais elles pensent que la façon dont se déroulent les séances de thérapies n’est pas correcte car ils sont propices aux faux souvenirs.
Les interrogatoires de police le sont également. En effet, les suspects ou les témoins sont souvent impressionnés par les officiers de police, ils se sentent vulnérables et donc, suivant comment sont posées les questions, on peut favoriser l’implantation de faux souvenirs. Par exemple, si un officier demande à un témoin : » la voiture était-elle bleue ? » au lieu de » quelle était la couleur de la voiture ? » et que le témoin ne s’en souvient plus.
Il se peut que, quelques semaines plus tard, après y avoir beaucoup pensé, peut-être même trop, après avoir imaginé cette voiture bleue à de nombreuses reprises, le témoin confonde imagination et souvenir et déclare que maintenant il s’en souvient, la voiture était bleue.
De mon interview du professeur Van der Linden, je retiendrai quelques points importants :
– Tout d’abord, on ne peut pas se fier à sa mémoire.
Il a été prouvé scientifiquement que la mémoire est malléable, et donc on ne peut pas se fier à elle.
– Ensuite, pendant les thérapies ou même pendant une discussion à propos d’un évènement avec un ami, plus on fait appel à l’imagination, plus il y aura des risques qu’ultérieurement on soit victime d’un faux souvenir parce qu’on risque de confondre ce qu’on a imaginé avec ce qui s’est réellement passé.
– Ensuite, les psychothérapeutes ne sont pas conscients du problème.
D’après lui, il faudrait organiser des séminaires et inclure dans leur formation des cours sur le fonctionnement de la mémoire et sur les précautions à prendre lors d’un interrogatoire.
– Enfin, le professeur Van der Linden a tout de même insisté sur le fait que tous les souvenirs d’abus sexuels ne sont pas des faux souvenirs, bien au contraire. L’abus sexuel existe et il est d’ailleurs beaucoup plus fréquent qu’on ne l’imagine.
En bref, sa rencontre m’a permis de clarifier ce que j’avais lu et a confirmé ma conviction que le phénomène des faux souvenirs est quelque chose de très dangereux dont il faudrait plus parler.
Mais comment peut-on se souvenir de quelque chose qui ne s’est pas passé ?
En fait, il y a plusieurs facteurs qui rendent le patient très fragile et suggestible.
– Tout d’abord, une personne qui décide de suivre une thérapie ne va forcément pas très bien, elle est donc déjà plus ou moins vulnérable.
– Ensuite, le psychothérapeute va mettre son patient en confiance, il va le déresponsabiliser, le patient commencera par demander conseil à son psychothérapeute, puis ne prendra plus aucune décision sans l’avoir d’abord consulté, et finira par s’en remettre entièrement à lui. Il aura ainsi un certain confort et n’aura plus besoin de prendre de décision.
– Le patient suivra peut-être aussi des séances d’hypnose, il devra essayer d’imaginer la scène, il écrira dans son journal intime ses souvenirs et ce qui pourrait être des souvenirs.
– En plus, il aura été isolé de son entourage, sa famille et ses amis seront remplacés par son psychothérapeute et généralement par d’autres » survivants » rencontrés dans une thérapie de groupe.
– La thérapie de groupe aussi favorise énormément les faux souvenirs. Pendant les séances, les » survivants » se racontent des souvenirs retrouvés d’abus sexuels tous plus affreux les uns que les autres, ils s’encouragent mutuellement, pleurent ensemble, cherchent ensemble, imaginent ensemble, rêvent ensemble et peut-être trouvent ensemble. On peut donc presque considérer ces thérapies de groupe comme des sectes.
– Ensuite, les psychothérapeutes prescrivent généralement de nombreux médicaments, comme des antidépresseurs, des somnifères, des pilules contre l’anxiété, les sautes d’humeurs, les ulcères, les maux de tête, etc…
Bref, avec tous ces médicaments, le patient est comme drogué, et son imagination peut lui jouer des tours. Les patients sont donc fragiles et ils ont une grande suggestibilité.
Enfin, on peut se demander comment le psychothérapeute explique que personne ne se souvienne pas initialement de ces abus.
En fait, la réponse clé du psychothérapeute à tous les doutes que peuvent avoir les patientes sur la véracité de ce dont elles se souviennent ou ne se souviennent pas, c’est le déni.
Le déni, c’est ce qui explique que les parents nient ce qui s’est passé, c’est ce qui explique que la patiente elle-même ne se souvienne pas forcément de ce qui s’est passé. C’est donc ce qui explique les séances d’hypnose, de thérapie de groupe, ces périodes de dépression, ces dizaines de cachets pris par jour, en bref, c’est ce qui explique ces heures de thérapie. (2)
Pour mieux comprendre comment se déroulent les séances de thérapie, je vous conseille vivement de lire un extrait du livre d’Elisabeth Loftus et de Katherine Ketcham(2) en annexe. Il raconte l’histoire de Lynn, une victime de faux souvenirs. Lynn avait été violée à plusieurs reprises par son oncle quand elle avait six ans. Elle s’en souvenait très bien.
Jeune adulte, souffrant de troubles alimentaires, elle décida d’aller voir un psychothérapeute. Celui-ci lui demanda, au premier contact, si elle avait été abusée lorsqu’elle était enfant. Elle répondit qu’oui, elle avait été abusée par son oncle. La prochaine question du psychothérapeute fut, » a-t-il été le seul ? »
Pendant les séances suivantes, le psychothérapeute s’intéressa aux parents de Lynn, » savaient-ils qu’elle se faisait abuser ? Ils devaient savoir, cela n’a pas pu leur échapper ». Au début Lynn était persuadée que ses parents ignoraient l’existence de ces abus, mais elle finit par céder et dire que c’était possible qu’ils en étaient conscients.
A partir de ce moment-là, le psychothérapeute dit à Lynn que, puisque ses parents savaient qu’elle se faisait abuser, et qu’ils n’ont rien fait pour l’en empêcher, ils devaient y participer.
Il fallait alors que Lynn cherche au fond de sa mémoire, qu’elle imagine, qu’elle rêve afin de retrouver les souvenirs de ces abus. Malgré sa réticence, Lynn fit ce que son psychothérapeute lui disait.
Elle commença une thérapie de groupe avec d’autres femmes susceptibles d’être des survivantes. Un jour, elle eut un » flash-back « , un souvenir de son père qui abusait d’elle, puis un autre, où sa mère la touchait, puis un autre, et encore un autre… Son psychothérapeute lui conseilla de confronter ses parents avec ce qu’elle avait découvert, ceux-ci n’en crurent pas leurs oreilles. Lynn s’éloigna de sa famille et de ses amis, elle prenait de plus en plus de médicaments, s’en remettait de plus en plus à son psychothérapeute qui était devenu son meilleur ami et à son groupe de thérapie qui était devenu sa famille.
Cependant, Lynn allait de plus en plus mal et tenta de se suicider à plusieurs reprises. Elle sombrait de plus en plus jusqu’au jour où son assurance refusa de payer ses séances de thérapie et ses médicaments. Son psychothérapeute la laissa complètement tomber, elle fut emmenée dans un asile public, mais le psychiatre d’Etat qui lu son dossier la renvoya immédiatement chez elle ; elle n’avait pas besoin d’aller dans un asile, il fallait qu’elle reprenne sa vie en main.
Lynn alla chez un autre psychothérapeute, s’inscrivit dans un programme de traitement pour alcooliques et drogués, trouva du travail et essaya d’oublier son passé, de penser au présent et à l’avenir comme le lui conseillait son programme.
Tout le contraire de ce que lui disait son ancien psychothérapeute. Elle finit par comprendre que ces flash-back n’étaient que les fantasmes d’une droguée, et reprit contact avec sa famille, malgré sa honte de ce qui s’était passé. Lynn retrouva sa mémoire.
V Synthèse
Comme je l’ai déjà dit, mon interview avec un psychiatre * s’est finalement déroulée de manière très différente de ce à quoi je m’attendais. Je pensais que cette rencontre allait me rassurer, que j’allais apprendre que les psys en général étaient mis au courant de tout le phénomène des faux souvenirs et que durant leur formation, on les avait rendus attentifs aux risques de manipulations involontaires des patients pendant les séances de thérapie. Je m’étais même dit que peut-être, ils avaient du suivre quelques cours sur le fonctionnement de la mémoire.
* Note : Jean-Marc Chauvin est psychiatre-psychothérapeute, psychanalyste, membre de la Société Suisse de Psychanalyse.
Alors quelle surprise pour moi lorsque je me suis rendu compte que pour avoir une réponse du psychanalyste, il a fallu que je précise ce qu’était un faux souvenir ! J’en ai retenu d’une part, que malgré beaucoup d’années d’étude, on ne leur parle pas ou presque pas de la mémoire et d’autre part, que pour eux, ce qui est important, c’est le patient. Si un patient déclare qu’il a peut-être été abusé lorsqu’il était enfant, le psy ne va pas chercher à savoir si c’est vrai. Ce qui compte, c’est avant tout de guérir le patient, et si le patient pense que c’est possible, c’est qu’il y a une raison, et c’est cette raison que va chercher le psy.
Cela vous fait peur ?
J’avoue que moi-même j’ai été un peu effrayée par son discours, je trouvais catastrophique qu’on ne leur avait pas parlé du danger des faux-souvenirs et des précautions à prendre lorsqu’ils posaient des questions lors des séances de thérapies. Cependant, j’ai ensuite réalisé que ces cas révélés récemment aux Etats-Unis étaient rares *.
Les psys qui conduisent ces thérapies qui tournent si mal sont de mauvais psys, ils font mal leur travail, ils détruisent des familles… Mais, ils sont peu nombreux, et presque inexistants en Europe *. Alors, c’est sûrement pour cette raison que les psys en Europe ne sont pas trop sensible au problème, ils font bien leur travail, pourquoi leur parler de ceux qui le font mal.
* Note : En 2003, c’est l’impression qu’on en avait en Europe, mais en 2013 on constate que la vague de faux souvenirs est immense partout en Europe : France, Suisse, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas etc…Le nombre de thérapeutes concernés est aussi considérable.
Parlons maintenant des symptômes cités auparavant : malgré tous mes efforts pour être la plus objective possible, je ne vois strictement rien de juste, de vrai, de bien dans ces symptômes.
Ils sont complètement tirés par les cheveux, on voit tout de suite qu’ils ne veulent rien dire, selon ces symptômes, il suffit qu’on hésite entre un coca ou un thé froid, par exemple, pour pouvoir être sûr d’avoir été abusé. C’est complètement aberrant, comment peut-on être sûr de quelque chose dont on n’a aucun souvenir et aucune preuve !
Ce qui est drôle, c’est aussi la précision que ces auteurs arrivent à donner grâce à des questions aussi vagues. N’est-ce pas effrayant de penser qu’aux Etats-Unis, on peut se procurer un de ces livres pour » survivantes » dans n’importe quelle librairie !
Mon interview avec le professeur Van der Linden m’a permis de répondre à une de mes principales questions.
En effet, ce que je ne comprenais pas, c’était surtout comment les psychothérapeutes pouvaient agir ainsi ? N’avaient-ils vraiment aucun scrupule de prendre le risque de détruire des familles ? Étaient-ils si cupides qu’ils prolongeaient la thérapie fragilisant encore plus leurs patients ?
En fait, ce n’est pas une question d’argent. Les psys ne dirigent pas les patientes sur des fausses pistes de manière voulue.
Le fait est que ces psychothérapeutes y croient vraiment, ils sont persuadés que leurs patientes ont vraiment été abusées et qu’elles en ont refoulé le souvenir, ils veulent les aider, en vérité ils pêchent par excès de zèle.
De plus, cet entretien m’a confirmé que la mémoire était malléable et qu’on ne peut pas s’y fier. C’est alors assez effrayant de découvrir que nos souvenirs ne sont pas forcément tous exacts, que ce n’est pas parce qu’on se rappelle d’un évènement qu’il s’est vraiment produit. Par ailleurs, un même évènement n’est généralement pas ressenti de la même manière chez deux, trois, dix, cent personnes différentes. Tout dépend de l’humeur du moment, des émotions procurées par cet évènement, et bien sûr du caractère de la personne.
L’extrait montre très bien comment se déroule la fabrication de faux souvenirs et à quel point certains psychothérapeutes en sont responsables. Ils ne se rendent pas compte de l’influence qu’ils ont sur leur patient, qu’ils peuvent implanter des souvenirs facilement, à cause d’une simple suggestion.
De plus, ils prennent tout le problème à l’envers ! En effet, grâce aux » symptômes » que lui décrit sa patiente, le psychothérapeute affirme qu’elle a été abusée dans sa jeunesse, et c’est alors qu’ensemble, le psy et sa patiente vont essayer de retrouver les » preuves » de cet abus, c’est-à-dire des souvenirs refoulés.
Mais, en discutant autour de moi, notamment avec des gens qui ont eu une formation en psychologie, je me suis rendue compte que ce n’est pas du tout ainsi que doit se dérouler une thérapie. Le psy ne doit rien suggérer, il peut essayer de faire le lien entre les différents évènements que le patient lui raconte, mais en aucun cas doit-il affirmer que le patient s’est fait abuser si lui-même ne s’en souvient pas !
Elisabeth Loftus et Katherine Ketcham ont écrit ce livre dont j’ai beaucoup parlé, Le syndrome des faux-souvenirs. (2)
Elles font parties de ces personnes qui luttent contre les faux souvenirs et essayent de sensibiliser la population au problème. Elisabeth Loftus joue un rôle clé dans le débat sur les faux souvenirs. Elle intervient comme expert dans de nombreux procès, écrit beaucoup d’articles et fait de nombreuses recherches et séminaires, mais elle a beaucoup d’opposants.
Ceux-ci soutiennent la théorie du refoulement et du déni, et trouvent qu’avec son livre et ses articles, elle déforme et minimise la réalité des abus sexuels. Les malheureuses femmes qui souffrent déjà de l’abus en lui-même endurent encore le scepticisme de la population. Ils estiment que les situations décrites dans son livre, comme l’histoire de Lynn, sont exagérées, et qu’elles devraient être compensées par des récits de séances qui se déroulent de manière plus correcte. Bien sûr qu’il existe de mauvais psychothérapeutes, mais on trouve aussi de mauvais médecins, de mauvais avocats, de mauvais présidents, et on ne les condamne pas tous pour autant ! disent-ils.
A l’avenir, ce qu’on peut craindre de ce problème du » syndrome des faux souvenirs « , c’est que, comme beaucoup de nouveautés purement américaines au départ, il ne s’étende en Europe et peut-être même en Asie par la suite. On pourrait alors voir de mauvais psychothérapeutes se multiplier et ainsi les victimes de faux souvenirs d’abus sexuels deviendraient aussi fréquentes que les vraies victimes d’abus sexuels.
* Note : La crainte était justifiée.
VI Conclusion
En conclusion, je pense que mon sujet est tout aussi intéressant qu’assez effrayant.
En effet, j’ai ainsi pu découvrir qu’on ne peut pas toujours se fier à sa mémoire. Cela signifie qu’en vérité, lorsqu’on dit : » Bien sûr que c’est arrivé, je m’en souviens, j’étais là, » on ne prouve rien du tout !
Un souvenir n’est pas une preuve au sens propre. C’est d’autant plus inquiétant que plus on a de l’imagination, plus il y a de risques qu’on confonde plus tard réalité et imaginaire, et qu’on soit victime d’un faux souvenir. Etant une grande rêveuse, je me dis que peut-être dans quelques années, je ne saurais plus faire la différence entre ce qui m’est vraiment arrivé et ce que j’ai imaginé. Cela prête à réflexion, mais on ne peut s’interdire de rêver et d’imaginer, alors, comment faire ? Je pense qu’il faut simplement garder en tête que notre mémoire peut se tromper, et donc cela ne sert à rien de se disputer inlassablement avec quelqu’un à propos d’un désaccord sur un souvenir.
Je crois que ce qui a été le plus dur pour moi dans ce travail, mis à part l’écriture, c’était de rester objective. J’ai fait de mon mieux, mais je sais que parfois, je n’ai pu contenir mes émotions. C’est difficile de ne pas montrer qu’on a pris parti lorsqu’on est entièrement d’accord avec une des opinions.
Les psychothérapeutes américains qui soutiennent qu’on ne peut pas implanter des souvenirs dans la mémoire des patientes ont raison lorsqu’ils disent aussi qu’il ne faut pas minimiser la fréquence et l’horreur des abus sexuels afin de ne pas enfoncer les vraies victimes d’abus sexuels dans leur mal être.
Leurs opposants sont d’ailleurs tout à fait d’accord sur ce point. Ceux-ci ne veulent pas rendre l’abus sexuel moins grave qu’il ne l’est, seulement ils veulent aussi rendre la population attentive au fait que la mémoire est malléable, que des souvenirs peuvent être implantés chez une personne totalement saine d’esprit et qu’il faut donc faire attention à la manière dont se déroulent les séances de thérapie et les interrogatoires de police.
Ainsi, les opposants à ces thérapeutes sont tout de même modérés et ont, à mon avis, entièrement raison.
Quelles pourraient être les solutions aux problèmes des faux souvenirs ?
Bien sûr, les faux souvenirs existeront toujours, comme je l’ai déjà dit, on ne peut pas » s’arrêter d’imaginer et de ressentir des émotions « .
Cependant, je pense qu’il faudrait parler des faux souvenirs, afin que tout le monde se rende compte qu’on ne peut pas se fier aveuglement à sa mémoire. Il est vrai que de parler des faux souvenirs concernant les abus sexuels peut nuire aux véritables victimes d’abus sexuels. Celles-ci pourraient avoir l’impression qu’on ne les croit pas ou qu’on ne trouve pas ces abus importants. Mais, rien n’empêche de parler de la malléabilité de la mémoire sans forcément parler des abus sexuels.
Ce travail m’a permis de me familiariser un petit peu avec l’université et la recherche. C’était assez impressionnant de parler avec le professeur Van der Linden, un expert qui fait vraiment des recherches faisant avancer les connaissances sur la mémoire. Ce travail a permis de confirmer une de mes pensées : il y a d’innombrables sujets dont les théories ne sont que des suppositions, personne ne sait vraiment comment tout cela fonctionne. La mémoire fait partie de ces sujets, les théories se modifient constamment grâce aux nouvelles recherches et aux nouvelles découvertes.
Je crois que si je peux me permettre de donner un conseil, ce serait celui-ci : si un jour vous ressentez le besoin d’aller voir un psychothérapeute, alors il faudrait prendre son temps avant de commencer la thérapie proprement dite, et prendre rendez-vous chez deux, voir trois psychothérapeutes, juste pour se faire une idée et être sûr qu’ensuite vous ferez votre thérapie chez le thérapeute qui vous convient le mieux.
Grâce à ce travail, j’ai aussi pu me rendre compte de ce qu’est la mémoire. Bien sûr, la mémoire étant un sujet très compliqué, je ne suis pas une experte, mais j’ai réalisé que la mémoire est peut-être une des choses les plus précieuses pour un être humain. C’est ce qui rend nos vies si riches en émotions, en sentiments et en humeurs. Nos souvenirs ont une influence inimaginable sur notre personnalité. Une vie sans mémoire, ce n’est pas une vie, c’est juste une succession de moments présents.
Alors, même si l’on ne peut pas entièrement se fier à sa mémoire, on doit tout de même être reconnaissant que chaque matin, lorsqu’on se réveille, on se souvient de ce qu’on a fait la veille.
VII Bibliographie
Livres et revues
(1) David G Myers (1995), Psychologie, Médecine-sciences Flammarion, p. 287-319
(2) Elisabeth Loftus et Katherine Ketcham (1997), Le syndrome des faux-souvenirs, Edition Exergue
(3) Philippe Lambert (septembre 2002), Vers le concept d’une mémoire multiple, Tempo Médical, p. 12-15
(4) Le petit Larousse illustré 1997, Dictionnaire encyclopédique
(5) (1984), The New Encyclopaedia Britannica (Macropaedia), Encyclopaedia Britannica Inc., 15th edition
(6) Olivier Blond (juillet-août 2001), Le syndrome des faux souvenirs, La Recherche (n°344), p. 69-71
(7) Lear (1992), Retrouver l’enfant en soi, Edition le Jourparu cité par Elisabeth Loftus et Katherine Ketcham dans Le syndrome des faux-souvenirs, Edition Exergue (1997)
(8) Alain Lieury (1997), La psychologie est-elle une science ?, Dominos Flammarion
(9) Jo Godefroid (1993), Les fondements de la psychologie-science humaine et science cognitive, Editions Etudes vivantes
(10) Jean-Claude Liaudet (2002), La psychanalyse, Le cavalier bleu
(11) Maurice Reuclin (1978), Psychologie, Edition Puf, p. 147-151
Jean-Yves et Marc Tadié (1999), Le sens de la mémoire, Gallimard, p. 240-250
Ibid. p. 286-293
Ibid. p.297-303
M. James Nichols and William T. Newsome (2 December 1999), The neurobiology of cognition, Nature (vol. 402), p. C35-C38
Regina M. Sullivan, Margo Landers, Brian Yeaman, Donald A. Wilson (7 septembre 2000), Good memories of bad events in infancy, Nature (vol. 407), p.38-39
Ivan Izquierdo, Daniela M. Barros, Tadeu Mello e Souza, Marcia M. de Souza, Luciana A. Izquierdo, Jorge H. Medina (18 juin 1998), Mechanisms for memory types differ, Nature (vol. 393), p. 635
Stuart Sutherland (24 juillet 1997), Tales of memory and imagination, Nature (vol 388), p.239
Michael C. Anderson, Collin Green (15 mars 2001), Suppressing unwanted memories by executive control, Nature (vol. 410), p. 366-369)
Martin Conway (18 février 1999), Unique memories: creating the minds RI’, Nature (vol. 397), p. 575-576
Elisabeth Bacon, Laurence Paire-Ficout, Marie Izaute (juillet-août 2001), Je l’ai sur le bout de la langue !, La Recherche (n°344), p. 46-49
Pierre Jacob (juillet-août 2001), Identité personnelle et apprentissage, La Recherche (n°344), p. 26-29
Dan Sperber (juillet-août 2001), L’individuel sous l’influence du collectif, La Recherche (n°344), p. 32-35
Alain Vanier (juillet-août 2001), Mémoire freudienne, mémoire de l’oubli, La Recherche (n°344), p.72-75
Emmanuel Monnier (juillet-août 2001), Etudiants en quête de produits miracles, La Recherche (n°344), p.86-87
Boris Cyrulnik (juillet-août 2001), Récit des rêves et poids des souvenirs, La Recherche (n°344), p. 96-97
Olivier Postel-Vinay (juillet-août 2003), Que reste-t-il du refoulé freudien ?, La Recherche (n°366), p. 70-73
Elisabeth Loftus (mars 2003), Our changeable memories : legal and practical implications, Nature reviews, Neuroscience (vol. 4), p.231-234
Dr Frank Stora, Véronique Coher (1989), Ne perdez plus la mémoire, Les guides santé Hachette, p. 95-97
Ibid. p. 54
Ibid. p. 185
Ibid. p. 189
Ibid. p. 194
Anne Ancelin Schützenberger (1993), Aïe, mes aïeux ! , La méridienne, Desclée de Brouwer
Internet
Sigmund Freud, Données encyclopédiques, copyright © 2001 Hachette Multimédia/Hachette Livre, page consulté le 26 avril 2003
http://fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/sy/sy_1046_p0.html
VIII Remerciement
Tout d’abord je voudrais dire un grand merci à M. Lombard qui m’a beaucoup aidée et encouragée tout au long du travail. J’ai vraiment senti qu’il y avait quelqu’un sur qui je pouvais compter, si jamais j’avais besoin d’aide.
Je voudrais aussi remercier Martial Van der Linden, professeur de neuropsychologie aux universités de Genève et de Liège pour m’avoir accordé un peu de son temps.
Merci aussi au Docteur Chauvin pour une interview qui m’a été très bénéfique.
Enfin je voudrais remercier Valentine Rubeli, logopédiste, pour avoir lu le livre d’Elisabeth Loftus et de Katherine Ketcham et m’avoir donné son point de vue sur le sujet.
IX Annexes
Extraits de l’interview de Martial Van der Linden, professeur de neuropsychologie aux universités de Genève et de Liège (9 mars 2003)
» Effectivement, on ne peut pas se fier à sa mémoire. »
» Plus votre souvenir est construit avec des détails sensoriels, perceptibles d’odeurs etc., plus vous allez jugez que vraisemblablement, vous avez vécu cet événement. »
» La mémoire, c’est un phénomène constructif […] et en fonction d’indices qu’on utilise pour récupérer un souvenir, on peut récupérer des aspects différents du souvenir. […] Donc récupérer un souvenir, c’est toujours reconstruire une situation. Et quand on a récupéré une information, un souvenir, […] on peut le modifier, malheureusement, et on peut y intégrer de nouvelles choses. »
» Il y a un certain nombre de psychothérapeutes qui ont une très très mauvaise connaissance du fonctionnement de la mémoire, du mécanisme de la mémoire. Des gens qui ne se sont pas nécessairement tenu à jour et qui ne sont pas conscients du phénomène. »
» Ce que vous [devez retenir] comme mécanisme de base par rapport à l’implantation de faux souvenirs, c’est le fait qu’à un certains moment, pour des raisons différentes, la personne confond quelque chose qu’on lui a raconté ou qu’elle a imaginé avec quelque chose qu’elle croit avoir vécu. […] Mais qu’on soit bien clair, ça ne veut pas dire que tous les souvenirs d’abus sexuels sont de faux souvenirs. «
Extraits de l’interview de Jean-Marc Chauvin, psychiatre et psychanalyste (13 avril 2003)
» Mon intérêt […] va moins être d’éclaircir la véracité ou non du dit-souvenir que d’essayer de comprendre quel est l’économie de ce dit faux souvenir dans l’équilibre général de la personne. «