Élizabeth Loftus: Le cas de Lynn Price (Jessica Mossaz)

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Ces textes sont extraits du travail de Jessica Mossaz ,effectué au Collège Calvin à Genève, et publié en septembre 2003 intitulé : Souvenir refoulé, souvenir inventé, peut-on se fier à la mémoire ?

Sommaire de la page

Le cas de Lynn Price Gondolf rapporté par Élizabeth Loftus

Extraits du livre d’Elisabeth Loftus et de Katherine Ketcham, Le syndrome des faux-souvenirs, Edition Exergue (1997) p.29 à p.43

Le viol par son oncle qu’elle n’a jamais oublié

 » Il l’assit sur le siège arrière de sa vieille fourgonnette et la força à regarder. Il sortit son couteau de poche et éventra le poisson.  » C’est dégoûtant, » s’écria-t-elle avec une grimace horrifiée en voyant les tripes du poisson tomber sur le sol poussiéreux du Texas. Il sourit en essuyant sur son jean ses mains tachées de sang. Il défit d’une main sa ceinture; de l’autre, il la serra fort contre sa poitrine et la plaqua contre le siège. Elle fixa le plafond moisi et ressentit une sensation étrange dans ses jambes, qui pendaient hors du camion; elles les sentaient comme gonflées de sang, lourdes, déconnectées, de plus en plus engourdies.
Il releva sa robe et elle sentit quelque chose de chaud et dur contre son ventre. Elle sentit la lame l’éventrer du sternum au pubis. Elle hurla de terreur en se débattant, certaine de voir ses tripes se déverser sur le plancher rouillé de la fourgonnette, vidée comme le poisson mort. Il rit ; puis, frappant le plat de la lame contre sa paume:  » T’as eu la trouille que j’te coupe, hein? « . Il posa le couteau et défit son pantalon, en quelques secondes. Alors, il y eut la douleur familière, les poussées, la sensation d’être disloquée, ses fesses frottant contre le vinyle brûlant, l’impression bizarre de flotter en l’air en surplombant la scène.
Quand tout fut terminé, ils rentrèrent à travers les champs de pétrole du Texas. Il y avait le soleil brûlant, les tourbillons de poussière, et son oncle qui riaient de ses propres histoires drôles.
Lynn Price Gondolf n’a jamais oublié avoir été violée par son oncle quand elle avait six ans. Elle pouvait se remémorer d’autres scènes semblables à travers les années: des détails concrets et précis de caresses, de sodomie, de manipulations sadiques et même de torture. Vingt ans plus tard, elle pouvait encore sentir le bord chaud et ensanglanté du couteau contre son ventre. Elle pouvait se rappeler la couleur de ses sandales et son écorchure à sa cheville, le ciel chauffé à blanc et la poussière dans ses dents. Elle pouvait se rappeler l’œil mort. fixe, du poisson… comme ses yeux, pensait-elle, alors qu’elle s’élevait en regardant vers le bas son oncle et l’enfant emprisonnée sous son corps pesant, les jambes pendantes hors du camion. Les années passèrent mais les souvenirs restèrent comme des intrus indésirables impossibles à chasser.

Treize ans plus tard Lynn commence une thérapie

Treize ans après que son oncle l’eût violée pour la dernière fois, Lynn décrocha le téléphone et appela une clinique thérapeutique dans son voisinage. Depuis des années, elle souffrait d’un trouble alimentaire et pesait 25 kilos de trop. Elle ingurgitait toutes sortes de nourritures malsaines, puis se rabattait sur les diurétiques, les laxatifs et les purges. Chaque cycle de boulimie et de purge ne faisait qu’augmenter son sentiment de culpabilité et ses remords. Elle était déprimée, anxieuse, remplie de honte et désespérée de ne pas
contrôler son corps. Elle voulait être  » normale « . C’est ce qu’elle expliqua au thérapeute qui répondit à son appel. Il écouta son histoire, se tut un moment, puis lui demanda:  » Lynn, a-t-on abusé de vous sexuellement?  »
 » Oui,  » répondit-elle, surprise par la capacité du thérapeute à lire dans son passé à partir de ses symptômes. Elle relata brièvement, les viols par son oncle.
 » A-t-il été le seul?  »
Elle rit.  » Ça m’a suffi. « 

Le thérapeute la dirige lentement vers ses parents

Lynn commença aussitôt une psychothérapie et, dès le début, son thérapeute s’attacha à retrouver les détails explicites des abus sexuels de son enfance. Il insistait sur la nécessité de retrouver les détails pénibles de ce qui s’était passé dans la fourgonnette, jusqu’à
décrire la taille et la forme du pénis de son oncle. Elle dut revivre, plusieurs fois, les souvenirs douloureux. À l’issue de la deuxième ou troisième séance, les questions de son thérapeute se portèrent, sans détours, vers ses parents.
 » Où étaient tes parents durant ces épisodes de viol?  » demanda-t-il.  » Ne savaient-ils pas que ton oncle te molestait?  »
 » Je ne le leur ai jamais dit,  » répondit-elle,  » pas jusqu’à cette année.  »
 » En es-tu sûre? Réfléchis-y, Lynn… Pense à toutes les fois où tu es partie avec lui. Combien de fois: vingt ou trente? Qu’est-ce que tes parents pouvaient donc bien penser, lorsque ton oncle t’emmenait en voiture?  »
Elle protesta.  » Ils ne savaient pas, parce que je ne leur disais rien. J’avais trop honte. Ils étaient pauvres comme Job, ils travaillaient douze heures par jour, chaque jour de la semaine, et ils avaient trois autres enfants. J’étais l’aînée, et ils supposaient que je pouvais me débrouiller toute seule, et que je leur parlerais si quelqu’un me faisait du mal.  »
 » Tout ce que je veux, c’est que tu y réfléchisses,  » dit-il d’un ton doux et rassurant. « Essaie d’imaginer la scène. Tu étais une fillette de six ans, partant avec son oncle pour plusieurs heures. Tu revenais sale, en sueur, probablement épouvantée. Tu as sans doute pleuré, tu étais dans tous tes états, tu t’es accrochée à ta mère. Penses-tu réellement qu’ils ne savaient pas que quelque chose d’anormal se passait? Réfléchis-y, Lynn. Continue à te rappeler exactement ce qui s’est passé. « 

Étape 1 : Tu as peut-être raison,  peut-être que mes parents savaient.

Elle y réfléchit. Bientôt, elle ne pouvait penser à rien d’autre. Son thérapeute ne cessa de l’encourager à fouiller sa mémoire, lui suggérant d’écrire un journal et de pratiquer l’auto-hypnose en se relaxant et en respirant profondément, pour essayer de se rappeler ce qui s’était passé. Après quelques semaines de thérapie intensive et d’introspection (soul searching), elle céda.  » Tu as peut-être raison,  » dit-elle.  » Peut-être que mes parents savaient. » *

Étape 2 : Est-il possible que ton père, ait aussi abusé de toi ?

Son thérapeute changea alors d’objectif.  » Si tes parents étaient au courant, pourquoi ont-ils laissé les choses continuer ?  » Elle haussa les épaules, ce qui incita le thérapeute à tourner sa question différemment.  »
Maintenant que nous savons qu’ils savaient, et que nous savons qu’ils n’ont rien fait pour arrêter tout ça, peut-être pouvons-nous nous demander: faisaient-ils partie du problème ? Est-il possible que ton père, ou ta mère, ou les deux ensemble, aient aussi abusé de toi ? « 

Étape 3 : Mais Lynn résiste

Lynn se mit à nouveau sur la défensive. Peut-être que ses parents ne voulaient simplement pas y penser, ou peut-être qu’ils savaient mais ne pouvaient pas croire que c’était vrai. Peut-être qu’ils faisaient de leur mieux, même s’ils ne me protégeaient pas, même s’ils n’étaient pas capables d’arrêter les viols. Ils n’étaient pas parfaits, mais ils faisaient de leur mieux.
Elle essaya de ramener la conversation sur ses troubles alimentaires.  » J’ai encore des difficultés pour me contrôler,  » dit-elle.  » J’ai l’impression que je ne peux pas m’arrêter de m’empiffrer pour aller ensuite me purger.  »
 » Ce que tu essaies de vomir, c’est un flash-back,  » conclut le thérapeute.  » Si tu parviens à te rappeler la vérité sur ton passé, le besoin de te purger te passera, et tes troubles alimentaires disparaîtront.  »
 » Ma mère et mon père ne m’ont jamais touchée !  » dit-elle, soudainement en colère.
 » Lynn, Lynn,  » dit-il, avec la voix patiente d’un parent cherchant à amadouer un enfant rebelle,  » tes symptômes sont trop graves et trop persistants pour que les abus sexuels de ton oncle suffisent à les expliquer, aussi terribles que ces abus aient pu être. Tu te rappelles ces incidents, tu y as fait face et tu en es venue à bout. Mais ton trouble alimentaire persiste, tu n’as toujours pas regagné le contrôle de toi-même, et tu ne comprends pas pourquoi. Je pense qu’il doit y avoir quelque chose d’autre dans ton passé, quelque chose de bien pire, auquel tu n’as pas encore fait face. « 

Étape 4 : L’appel à l’inconscient

Pense, lui dit-il, écris, rêve, imagine. Va en profondeur dans ton inconscient et sors-en tous ces souvenirs. Si seulement tu peux te rappeler, tu te sentiras beaucoup mieux.
Après un mois d’efforts désespérés mais vains, Lynn accepta d’assister, en plus de ses séances individuelles, à des séances de groupe hebdomadaires, en compagnie de huit autres patientes.  » Vous êtes en sécurité ici, en compagnie de personnes qui s’intéressent vraiment à vous,  » expliqua le thérapeute aux femmes présentes, dont les problèmes allaient de troubles alimentaires aux abus sexuels, en passant par la dépression. « Laissez venir les souvenirs, n’en ayez pas peur. Si vous pouvez retrouver ces souvenirs enfouis depuis si longtemps, ils perdront leur pouvoir sur vous, et vous serez libres de redevenir vous-mêmes.  »
Il aimait parler de la « porte  » de l’inconscient. Il expliquait que chacun a une porte, fermé par un verrou, qui garde les souvenirs douloureux et traumatiques loin de la conscience. Lorsque nous nous sentons « en sécurité « , c’est-à-dire protégés au niveau physique et émotionnel, et entourés de gens attentionnés qui souhaitent notre guérison, le verrou s’ouvre spontanément et les souvenirs se libèrent. Il encourageait le groupe:  » Laissez le verrou s’ouvrir. N’ayez pas peur. « 

Étape 5 : Le doute s’installe

Lynn avait peur. Elle était terrorisée. Tout ce à quoi elle croyait, tout ce qui était important pour elle était remis en question. Elle avait toujours cru que son père et sa mère l’aimaient et l’avaient protégée…
– Mais alors, pourquoi ne l’avaient-ils pas protégée contre son oncle ?
– Était-il possible que son thérapeute eût raison ?
– Se pouvait-il que ceux qu’elle aimait le plus au monde, ses parents en qui elle avait toujours eu confiance, eussent abusé d’elle?
S’ils l’avaient molestée, cela voulait dire que toute sa vie reposait sur un mythe, un mensonge. Était-il possible qu’elle se soit trompée durant toutes ces années ? Comment son esprit pouvait-il avoir rejeté des pièces aussi importantes de son passé ?
Toutes ces questions se bousculaient dans l’esprit de Lynn, et elle commença à se demander si elle ne devenait pas folle. Si elle ignorait la vérité sur son passé, alors sa perception de la réalité devait être complètement faussée. Si elle ne connaissait pas la vérité sur ses parents, comment pouvait-elle imaginer comprendre les motivations des autres ? Si on l’avait trompée si facilement, qui serait le prochain à abuser d’elle ?

Étape 6 : Elle ne se sentait comprise et appréciée qu’en thérapie

Préoccupé par ses changements d’humeurs imprévisibles et ses dépressions de plus en plus graves, son thérapeute l’envoya chez un médecin, qui lui prescrivit des antidépresseurs et des somnifères. Les médicaments semblaient la soulager, mais elle ne se sentait réelle et vivante qu’en présence de son thérapeute ou en séance de groupe. Elle ne se sentait comprise et appréciée qu’en thérapie. Elle acquit progressivement l’impression que son thérapeute comprenait exactement ce qui se passait dans son esprit. Il était si sûr de lui lorsqu’il garantissait aux membres du groupe qu’elles trouveraient cette vérité mystérieuse, et que, lorsqu’elles l’auraient trouvée, tous leurs problèmes s’envoleraient.
Son leitmotiv était :  » Ensemble, nous trouverons la vérité, et la vérité vous rendra libres.  »
Dès la première réunion du groupe, la quête de vérité commença pour de bon. Les huit femmes s’assirent en cercle serré, racontant leur histoire à tour de rôle, encouragées verbalement par leur thérapeute à s’étendre sur les détails. Lynn parla pendant une heure
et demie, passant par le menu les viols de son oncle. Après quoi l’une des femmes éclata en sanglots.  » Je comprends pourquoi Lynn a tant de problèmes. Elle a de bonnes raisons d’avoir des problèmes. Mais où est mon problème ? Pourquoi suis-je si malheureuse ?  »
 » Continuez à rechercher ces souvenirs perdus, » dit le thérapeute pour la rassurer.  » Quelque chose dans votre passé essaie de se faire entendre. Continuer à écouter, à attendre, à regarder, à imaginer. Ces souvenirs reviendront. « 

Étape 6 : Le premier  « souvenir » apparut comme un éclair

Le premier  » souvenir  » apparut comme un éclair dans l’esprit de Lynn, alors qu’elle conduisait sa voiture pour faire des courses. Tandis qu’elle attendait nerveusement la fin d’un feu rouge, son esprit se remplit soudainement d’une image: un homme se tenait
dans le coin d’une pièce sombre. C’était comme si quelqu’un avait pris une vieille photographie en noir et blanc, en avait arraché les coins, et l’avait introduite dans sa tête. Ébranlée, elle retourna tout de suite chez elle et appela son thérapeute.
 » Peux-tu identifier l’homme qui apparaît dans ce souvenir? » demanda-t-il.
 » Je pense que c’est mon père, » répondit-elle. Au fur et à mesure qu’ils parlaient, l’image devenait moins floue dans son esprit.  » Oui, oui, je suis sûre que c’est mon père.  »
 » Que fait-il?  »
« Il est debout dans le coin. Je ne peux voir que sa tête.  »
 » Pas son corps ?  »
 » Non, juste sa tête, dans le coin.  »
 » Est-ce qu’il fait des gestes, est-ce qu’il bouge ?  »
 » Non, il est juste là, debout.  »
 » Ou es-tu, quel âge as-tu ?  » Le thérapeute avait l’air excité.
 » Je dois avoir six ou sept ans,  » dit Lynn.  » J’ai l’impression d’être allongée sur un lit, ou quelque chose d’autre, et je le regarde.  »
 » Imagine que ton père marche vers toi,  » suggéra le thérapeute.  » Imagine qu’il se rapproche du lit. Peux-tu me dire ce qui se passe ensuite ?  »
Lynn commença à pleurer, parce qu’une partie manquante de la scène venait soudain d’apparaître.  » Il est juste au-dessus de moi,  » murmura-t-elle.  » Je peux sentir qu’il me touche. Il touche mes jambes.  »
Un autre fragment de souvenir vint prendre sa place, puis un autre, et encore un autre… Elle pouvait tout voir à présent.
 » Il écarte mes jambes. Il se tient au-dessus de moi. Il est sur moi.  » Elle ne pouvait contrôler ses larmes et parlait difficilement à travers ses sanglots.  » Mon Dieu, Mon Dieu, Papa, non, Papa, non !  »
Quelques semaines plus tard, un autre souvenir émergea. Lynn avait parlé au groupe d’un épisode de sa vie, survenu lorsqu’elle était à l’école primaire. Sa mère lui donnait un bain et lui mettait des bigoudis de couleur rose.  » Elle me tirait les cheveux dans le cou,  » se rappela Lynn.  » Je n’aimais pas ça ; ça me faisait mal.  »
Son thérapeute voulait s’étendre sur cet épisode.  » S’est-il passé quelque chose de significatif dans le bain ?  » Lynn répondit que non, rien d’autre ne s’était passé ; tout ce dont elle se souvenait, c’était les bigoudis et ce pincement. Son thérapeute lui suggéra que, peut-être, elle bloquait inconsciemment un souvenir traumatique.  » Pense à ce qui s’est passé dans la baignoire,  » dit-il.  » Rentre chez toi et réfléchis, écris, imagine, fouille ton âme. « 

Étape 7 : un autre flash-back

Trois jours plus tard, Lynn eut un autre flash-back. Elle se voyait dans la baignoire. Sa mère lui lavait les cheveux, et sa main commença à descendre lentement sur la poitrine de Lynn. Elle commença à frotter les seins de Lynn, puis sa main continua à descendre, touchant, remuant, explorant les parties interdites.
Alors que Lynn racontait ses souvenirs au groupe, elle rougit d’embarras et de honte. « Ton corps se rappelle la honte que tu as ressentie il y a vingt-cinq ans, » expliqua le thérapeute.  » Un « souvenir corporel » (body memory) est un signe puissant que ton corps a stocké ce souvenir comme une sorte d’énergie physique.
Maintenant que tu es prête à faire face à ton passé, les souvenirs oubliés émergent spontanément, déclenchant une forte réaction physiologique. Tu ressens ce qui doit être de nouveau ressenti, tant au niveau physique qu’au niveau émotionnel. « 

Étape 8 : La confrontation

Cela faisait moins de deux mois que Lynn était en thérapie lorsque son thérapeute lui suggéra de confronter ses parents avec la  » vérité  » sur son passé. Selon lui, la seule manière pour elle de se libérer du passé était de rencontrer ses parents et de leur parler ouvertement des abus qu’elle avait subis de leur part. L’idée remplit Lynn d’horreur, mais son thérapeute l’assura qu’il serait à ses côtés et la soutiendrait à chaque moment. Un face-à-face était le seul moyen sûr de traverser puis de dépasser ses souffrances, insistait-il.
Lynn appela ses parents et leur apprit qu’elle suivait une psychothérapie pour ses troubles alimentaires. Elle expliqua qu’elle suivait trois ordonnances médicales contre la dépression, l’anxiété et l’insomnie, et qu’elle avait des pulsions suicidaires. Son thérapeute était préoccupé par son état et pensait qu’une rencontre avec ses parents pouvait l’aider. Pouvaient-ils venir assister à une séance ?

Oui, bien sûr, répondirent-ils, quand et où tu voudras.
La semaine précédant la rencontre, Lynn se livra dans le groupe de thérapie à des répétitions en vue de la confrontation avec ses parents.  » Tu es trop gentille,  » lui dirent les autres femmes du groupe.  » Tu devrais être plus énergique à propos de tes sentiments.  »
 » Tu es est en déni (you’re in denial)  » lui dit son thérapeute,  » parce que ton « enfant intérieur » (inner child) conserve encore cette loyauté envers tes parents. Rappelle-toi : ils ne pouvaient pas ignorer les abus que tu as subis ; et s’ils savaient, cela veut dire qu’ils y ont participé. Sois forte, ne recule pas.  »
Lynn se présenta à la rencontre fatidique avec une liste écrite de toutes les blessures et de tous les traitements abusifs que ses parents étaient censés avoir commis. Son thérapeute commença par expliquer que Lynn était gravement malade ; elle souffrait depuis plusieurs années d’un problème alimentaire, et elle venait récemment de développer une dépression majeure. Il conclut ainsi :  » La survie de votre fille dépend de vous. Écoutez attentivement ce que votre fille va vous dire, sans l’interrompre.  »
Lynn se mit à lire sa liste : Vous ne m’avez jamais comprise. Vous ne m’avez jamais réellement aimée. Vous n’êtes pas venus voir mes matchs de basket-ball. Vous ne vous êtes jamais intéressés à ce qui se passait à l’école. Vous aviez l’habitude de hurler après moi et
de me frapper. Un jour, Papa m’a traitée de putain. Mon oncle m’a violé régulièrement, et vous n’avez rien fait pour l’en empêcher.
 » Nous ne savions pas qu’il abusait de toi,  » dit son père, en bafouillant.  » Mais peut-être que nous aurions dû savoir. Si nous avions su, chérie, nous t’aurions protégée.  »
 » N’interrompez pas, s’il vous plaît,  » dit le thérapeute. La mère de Lynn était en pleurs. Le thérapeute lui passa une boîte de mouchoirs en papier.
Lynn continua à lire sa liste. Vers la fin, elle hésita. La semaine précédente, en thérapie de groupe, elle avait discuté d’un souvenir traumatique où apparaissait une sœur de son père, une habituée des établissements psychiatriques. Quand Lynn avait à peu près sept ans, sa tante l’avait prise à part et lui avait dit:  » Tes parents se sont mariés deux semaines après ta naissance. Cela veut dire que ton papa n’est peut-être pas ton papa. Tu es peut-être l’enfant d’un autre homme.  »
Lorsqu’ils avaient discuté en groupe de la liste que Lynn devait lire à ses parents, ils l’avaient poussée à ce qu’elle aborde cette question avec eux.

Son thérapeute avait approuvé :  » Sans cela, tu ne guériras jamais. « 
Elle avait écrit une question simple. Regardant droit vers son père, Lynn finit par la prononcer:  » Es-tu mon père ?  »
Son père marmonna quelque chose comme:  » J’crois qu’oui.  »
Lynn se leva et quitta la pièce, et le thérapeute la suivit aussitôt.
Dans le couloir, il la serra contre lui.  » Tu as été merveilleuse,  » lui dit-il. Derrière la porte fermée, elle pouvait entendre les sanglots de sa mère.

Étape 9 : Les tentatives de suicide, le diagnostic

L’année suivante, Lynn essaya de se suicider cinq fois. Après une de ses tentatives, elle fut hospitalisée deux jours. Elle suivait plusieurs ordonnances simultanément, prenant :

–  du Xanax contre l’anxiété,
–  du Melleril contre ses flash-back,
–  du Lithium pour ses sautes d’humeurs,
–  du Azantac et
–  du Carasate pour ses ulcères,
–  du Restoril pour dormir et
–  du Darvocet pour ses maux de tête.

Son thérapeute ne cessait de modifier ses diagnostics. En moins d’un an, les diagnostics de Lynn couvrirent la liste suivante :

–   syndrome schizo-affectif,
–   trouble bipolaire,
–   dépression névrotique,
–   stress post-traumatique,
–   trouble dissociatif,
–   trouble dysthymique et
–   personnalité borderline.

Étape 10 : Les autres patientes du thérapeute vont aussi de plus en plus mal

Les autres femmes du groupe se trouvaient aussi sur une pente dangereuse. Au cours de leur première réunion, lorsqu’elles s’étaient présentées les unes aux autres, seule l’une d’entre elles s’était identifiée comme une victime d’abus sexuels. Après trois mois de séances hebdomadaires, elles avaient toutes retrouvé des souvenirs d’abus sexuels perpétrés par un ou plusieurs membres de leur famille. Elles étaient toutes des  » survivantes  » (survivors), selon le jargon convenu.
Dès que le thérapeute eût établi que chaque femme du groupe avait été abusée par un membre de son entourage familial, il leur conseilla d’éviter les réunions familiales.  » La famille possède un système de déni très élaboré,  » expliqua-t-il,  » et ce n’est qu’en vous retirant du système familial que vous pouvez espérer guérir.  »
Un jour, l’une des femmes éclata en sanglots.  » Je veux parler à mon frère, il me manque tant. S’il te plaît, tout ce que je veux faire, c’est l’appeler et lui dire combien je l’aime.  »
 » C’est trop dangereux,  » répondit le thérapeute.  » Ton frère est en déni à propos de ce qui s’est passé avec toi. Si tu essaies de rétablir une relation avec lui, tu vas être entraînée toi-même à nouveau dans le déni. Tu es trop vulnérable maintenant, tu dois devenir plus forte. Rappelle-toi : nous sommes ta famille, maintenant. Nous sommes les seuls en qui tu puisses avoir confiance.  »
Lorsque les femmes du groupe recevaient des cartes ou des lettres de leurs familles, elles les apportaient au réunions pour les lire et les analyser.

Étape 11 : N’abaisse pas tes défenses, garde tes distances

Lynn partagea une brève note de son père, signée  » Je t’aime, Papa.  » Après une longue discussion, le groupe conclut que son père essayait de la convaincre qu’il était bien son père et qu’il tentait sournoisement de la ramener vers la famille. On lui conseilla de garder ses distances. Fais attention. N’abaisse pas tes défenses.
Les efforts pour retrouver les souvenirs enfouis s’intensifiaient. Un jour, le thérapeute de Lynn lui demanda de fermer les yeux, de respirer profondément et de se relaxer ; après quelques instants, il essaya de la faire  » régresser  » jusqu’au jour de sa naissance, selon la technique dite du rebirthing. Lynn ferma les yeux et se concentra, essayant de toutes ses forces de retrouver le souvenir de sa naissance. Mais les images ne venaient pas. Son thérapeute l’encourageait à persévérer.  » Si tu ne peux pas te rappeler les détails, contente-toi d’imaginer à quoi cela pouvait ressembler. Visualise le ventre de ta mère, imagine-toi comme un petit bébé sans défense, pense à ce que tu devais ressentir en venant au monde.  »
Quand il s’avéra que la régression ne parvenait pas à faire remonter les souvenirs enfouis, d’autres techniques furent employées.  » L’écriture en transe  » était l’un des exercices favoris en thérapie de groupe (une technique qui n’est pas sans rappeler  » l’écriture automatique  » par laquelle d’autres croient communiquer, non avec leur passé, mais avec les esprits). Le thérapeute guidait ses clientes d’abord par des techniques classiques de relaxation, leur demandant de fermer les yeux et de respirer profondément à chaque fois qu’une image ou qu’une pensée se présentait, aussi triviale ou bizarre qu’elle puisse paraître, elles devaient la décrire dans leur journal. Une femme remplit plusieurs pages avec la description illustrée d’abus sexuels, mais termina son récit par ces mots:  » Tout cela n’est pas réel.  » Lorsque le thérapeute lut ce qu’elle avait écrit, il lui expliqua que toutes les victimes d’abus sexuels pensent que leur souffrance n’est pas  » réelle « , parce qu’elles ne veulent pas admettre que ces horreurs se sont effectivement produites. Tous les survivants, expliquait-il, sont en déni.

Le  » déni » était le leitmotiv qui résonnait sans cesse dans la pièce. C’était le diagnostic passe-partout, qui expliquait tout. Si l’une des femmes exprimait des doutes quant à ses souvenirs d’abus, c’est qu’elle était  » en déni « . Si vous êtes  » en déni « , répétait le thérapeute, c’est une preuve supplémentaire qu’on a bien abusé de vous. En d’autre termes, si vous vous rappelez avoir été violée, c’est que vous l’avez été, mais si vous ne vous en rappelez pas, c’est aussi que vous l’avez été. Si un parent, un frère ou une sœur nient votre histoire, vous accusent de vous tromper ou demandent des preuves ou des confirmations extérieures, c’est qu’ils sont  » en déni « . Très probablement, ils ont leurs propres souvenirs refoulés.

Les séances de groupe devenaient de plus en plus imprévisibles, de plus en plus chaotiques et éprouvantes sur le plan émotionnel. Au cours d’une séance typique, l’une des femmes décrivit un flash-back dans lequel elle était sodomisée et torturée par son père, son frère ou son grand-père. Trois ou quatre femmes étaient assises autour d’elle, se tenant par la main, le visage en larmes. De l’autre côté de la pièce, une femme frappait le mur avec une batte de base-ball en plastic, pendant qu’une autre était assise dans un coin, marmottant, les mains sur les oreilles ; une autre femme, allongée au centre de la pièce, arrachait méthodiquement les pages d’un annuaire.
L’adrénaline coulait à flots, les émotions bouillonnaient, les réactions bizarres abondaient. Une certaine accoutumance se développait chez ces femmes, envers ces séances remplies de révélations spectaculaires, d’épanchements émotionnels, où il était possible de tout exprimer, de hurler, de maudire, de gémir. Personne ne vous demandait d’arrêter, de bien vous tenir, de vous contrôler. Après une séance de 90 minutes, le monde extérieur semblait dompté, insignifiant, presque soumis.

Étape 12 : L’assurance santé cesse de prendre Lynn en charge

En mai 1987, Lynn était devenue suicidaire, et son thérapeute la fit admettre dans un hôpital psychiatrique. Trois mois plus tard, elle y était encore, toujours suicidaire, toujours assaillie par ces flashback; ces derniers étaient si brutaux et si bizarres qu’elle savait qu’elle était en train de perdre l’esprit. Chaque nouveau souvenir de viol, de sodomie ou de torture semblait dévorer ce qui lui restait de santé mentale. Quelques mois auparavant, elle avait coupé les ponts avec sa famille. Il ne lui restait aucun ami en dehors du groupe de thérapie. Elle ne travaillait plus depuis six mois et sa voiture, payée à crédit, lui avait été retirée. Elle était tellement dopée aux sédatifs, tranquillisants, neuroleptiques et somnifères, que sa vie ne lui semblait plus qu’une succession de rêves brouillés.
Le coup de grâce arriva le jour où son thérapeute reçut une lettre de l’assurance-santé de Lynn, l’informant que les derniers diagnostics n’étaient pas recevables et que toute feuille de soin supplémentaire serait rejetée. Son thérapeute fit irruption dans la chambre d’hôpital de Lynn et lui lut la lettre.
 » Que vas-tu faire maintenant?  » lui demanda-t-il d’un ton aigri.
 » Je ne sais pas,  » dit-elle misérablement.
 » Comment vas-tu payer tes notes d’hôpital et de thérapie?  » lui demanda-t-il.
 » Je ne sais pas.  » Elle se mit à pleurer.
Il lui reposa les mêmes questions. Que vas-tu faire ? Comment vas-tu assumer tes engagements ? Où iras-tu en sortant d’ici ? Se sentant abandonnée par la personne à qui elle avait confié son âme, Lynn dit finalement :  » Je pense que je vais rentrer pourrir chez moi. « 

Étape 13 : L’internement

Le lendemain, les adjoints du shérif arrivèrent à l’hôpital munis d’un mandat d’internement signé par le thérapeute et par un psychiatre. On passa les menottes à Lynn, puis elle fut menée vers un centre de diagnostic mental en vue de son admission dans un établissement d’État. Lynn se remémore le centre de diagnostic comme une vision d’enfer. Des hommes et des femmes se frappaient la tête contre les murs, se masturbaient en public, urinaient et déféquaient sur le sol cimenté. Des hurlements de terreur déchiraient l’air fétide. Lynn s’assit en sanglotant dans un coin de la pièce, immense et surpeuplée ; après douze heures, son corps commença à se convulser et à se recroqueviller, dans une réaction de manque et d’angoisse. Lorsqu’elle appela à l’aide, un employé lui demanda d’arrêter de crier et de se contrôler. « Vous finirez à l’asile, c’est sûr,  » lui lança-t-il en la regardant avec dégoût.
Quand l’employé l’autorisa à appeler son thérapeute, elle le supplia de signer un ordre de sortie.  » Je ferai tout, tout ce que tu voudras,  » plaida-t-elle.  » Je promets de travailler dur, je trouverai un moyen de te payer, je ferai tout ce que tu me demanderas de faire.  »
 » Je suis désolé, Lynn, mais que puis-je faire ? Tu n’as pas de travail, tu n’as pas d’assurance et tu es suicidaire. Je ne peux pas te permettre de rentrer chez toi et mettre fin à vos jours, ta seule alternative est l’asile public,  »
Ses larmes l’émurent un peu tout de même.  » C’est la seule solution,  » dit-il.  » Mais je veux bien passer un marché avec toi. Si tu acceptes de passer deux ans à l’asile, je promets de te reprendre en thérapie à ta sortie.  »
 » Je ne veux pas aller à l’asile,  » hurla Lynn. Sa tante avait été envoyée contre son gré dans un asile public, et Lynn se rappelait les conversations au sujet des fenêtres grillagées, de la puanteur, des pieds qui traînaient, des regards morts.  » Aide-moi, aide-moi, je t’en supplie, je ferai tout ce que tu voudras, tout…  »
 » Je suis désolé,  » répéta-t-il, en raccrochant.

Étape 14 : Sauvée

Soixante-douze heures plus tard, Lynn fut entendue par un psychiatre d’État. Le cœur battant à toute allure, les mains tremblantes, elle le regarda lire son dossier. Après une minute, il leva la tête vers elle.  » Vous n’avez pas besoin de l’asile.  » Il lui conseilla de rentrer chez elle et de reprendre sa vie en main. Il signa l’ordre de sortie.
Lynn ne se rappelle que peu de choses des semaines qui suivirent. Elle se souvient avoir été accueillie chez un ami, où elle resta au lit, en état de manque, incapable de dormir et transpirant abondamment : il ne lui restait plus assez d’argent pour se procurer ses médicaments. Puis elle se rappelle avoir appelé un thérapeute qu’elle avait vu quelques années auparavant, le suppliant de l’aider. Il accepta de la reprendre comme patiente, sans honoraire jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de le payer. Préoccupé par ses signes de manque, il l’envoya vers un médecin qui lui prescrivit des tranquillisants doux et lui fournit des échantillons gratuits.
Plusieurs mois passèrent. Lynn prit un appartement, acheta une vieille voiture et trouva un travail comme programmatrice informatique. Avec le temps, les souvenirs d’abus sexuels commencèrent à s’estomper, et elle décida qu’elle était assez forte pour se passer de médicament.
Elle s’inscrivit à un programme de traitement pour alcooliques et drogués. Une chose très étrange s’y produisit : on lui demanda d’oublier son passé et de construire son avenir.
Qu’allait-elle donc faire du présent, du quotidien, de chaque jour de sa vie ?, lui demandaient sans cesse les conseillers psychologiques qui la recevaient. Quand elle répondait qu’elle ne pouvait s’empêcher de penser au passé parce qu’elle n’était pas sûre de ce qui était arrivé dans son enfance, on lui conseilla de ne plus regarder vers le passé et de répondre aux problèmes du quotidien.
 » Qui t’a dit que la vie ne ferait pas mal ? Si tu es déprimée, la belle affaire !  » lui disaient-ils.  » Nous avons tous des jours où nous nous sentons mal, mais nous nous levons et nous allons au travail. Nous dormons, mangeons, prenons notre douche, peignons nos cheveux, et sortons dehors. Il faut continuer d’avancer, mettre un pied devant l’autre.  »
Lynn ne savait pas comment répondre à ces conseils. Dans sa thérapie précédente, on lui avait dit de ne rien faire si elle n’en n’avait pas envie. Si elle se sentait triste, déprimée ou si elle ne se sentait pas le courage d’affronter les tâches de la journée, elle devait appeler son thérapeute qui l’aiderait à  » rentrer en contact avec ses sentiments  » ; ou bien elle devait écrire son journal, ou encore exprimer ses frustrations en frappant des poings sur un meuble.

Étape 15 : Lynn commence à prendre la responsabilité de sa vie

Mais les conseillers psychologiques qu’elles voyaient maintenant lui disaient d’arrêter d’essayer de se  » réparer » et de commencer à rendre responsabilité pour sa vie. Elle se demandait ce que le mot  » responsabilité  » pouvait bien vouloir dire.
Elle avait du mal à comprendre ce qui lui était arrivé pendant sa thérapie. D’où étaient sortis ces souvenirs si précis et terrifiants ? Étaient-ils réels ? Avec le temps, les souvenirs prenaient une allure le bande dessinée, et perdaient peu à peu leur pouvoir de faire mal.
Plusieurs mois après s’être débarrassée des médicaments, elle comprit la vérité.
Tous ces souvenirs détaillés sur les abus commis par ses parents n’étaient que des fantasmes fabriqués par son esprit confus et saturé de médicaments. Elle commençait à comprendre que ces souvenirs imaginés avaient été créés par des peurs, des rêves et les désirs, à partir de morceaux de vie réelle. Les doses massives de médicaments, la fixation sur les abus sexuels, la paranoïa inspirée par son thérapeute et l’hystérie collective du groupe avaient œuvré ensemble pour créer un monde traumatique entièrement fictif. Ce sont les  » souvenirs  » qui avaient créé le traumatisme, et non l’inverse.

Étape 16 : Lynn renoue avec sa famille

Elle commença à avoir honte de ce qu’elle avait fait à ses parents. Pourrait-elle jamais les revoir ? La question lui faisait mal, presque physiquement. Elle avait tellement envie de les embrasser et de leur demander pardon, mais elle n’en trouvait pas le courage. Elle appelait sa sœur chaque semaine, et celle-ci lui donnait des nouvelles de la famille.  » Papa et Maman meurent d’envie de te voir, Lynn,  » lui dit-elle.  » Tu leur manques tant.  » Mais, pendant deux ans encore, Lynn fut incapable de renouer le contact ; elle ressentait trop de honte pour ce qu’elle avait fait.
Puis, un jour, la peine d’être séparée de ses parents surpassa sa peur de la confrontation. Elle était chez sa sœur lorsqu’ils entrèrent. Revoyant leur fille pour la première fois en plus de trois ans, ils ouvrirent les bras et l’embrassèrent, comme s’ils ne voulaient plus la laisser partir. Ils ne demandèrent jamais à Lynn d’expliquer ce qui s’était passé, n’exigèrent aucune excuse. Ils avaient ce qu’ils voulaient, ce qu’ils avaient perdu espoir de retrouver : leur fille, en bonne santé, vivante. « 

Un psychanalyste s’exprime

Jean-Marc Chauvin *
Extraits de l’interview de (13 avril 2003) :

 » Mon intérêt […] va moins être d’éclaircir la véracité ou non du dit-souvenir que d’essayer de comprendre quelle est l’économie de ce dit faux souvenir dans l’équilibre général de la personne. »

Dans un article intitulé  De l’introjection de la fonction rêvante de l’analyste il écrit:
« L’interprétation du rêve, « voie royale vers l’inconscient », avec ce qu’il ouvre sur le transfert, serait l’aboutissement asymptotique, toujours renouvelé au fil des séances, de cette rencontre intersubjective, rencontre d’un fonctionnement psychique avec celui d’un autre. Rencontre d’un objet dont la fonction objectalisante tisse les linéaments du symbolique avec le pulsionnel. Le rêve, en tant que « ce rêve dont on rêve ensemble », véritable éclosion commune, serait le témoin de cette rencontre mais aussi du processus par lequel il est advenu. »

* Psychiatre-psychothérapeute, psychanalyste, membre de la Société Suisse de Psychanalyse

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