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Dernière mise à jour le 25 février 2015.
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Avant-propos
Depuis 2009, je m’intéresse au concept de « refoulement » et à la théorie de « l’amnésie dissociative traumatique » mis en avant pour justifier les thérapies de la « mémoire retrouvée ». L’article du Dr. Piper fait un point complet sur cette question. J’ai donc tenu à mettre cet article à la disposition des lecteurs de ce site. Je l’ai traduit en français et ajouté les titres de paragraphes pour en faciliter la lecture.
Il a été écrit, en 2008, par le Dr. August T. Piper, psychiatre à Seattle, Washington, Linda Lillevik, avocate spécialisée dans la protection de l’enfance, et Roxanne Kritzer de Seattle University School of Law. Il est publié dans Psychology, Public Policy, and Law 2008, Vol. 14, No. 3, 223–242 sous le titre : « WHAT’S WRONG WITH BELIEVING IN REPRESSION? ». Il est destiné, par les auteurs, à éclairer les avocats et les juges états-uniens sur : les souvenirs retrouvés en thérapie, l’amnésie dissociative traumatique et le refoulement. La revue comprend l’analyse des travaux scientifiques réalisés jusqu’en 2008. Je l’ai traduite pour les juristes français, les élus de la République, et nos lecteurs. Les sous-titres de paragraphes ont été ajoutés pour faciliter la lecture.
Note : Le terme anglais « repression » peut se traduire, selon le contexte, par « répression » ou « refoulement ». Selon la théorie psychanalytique de S. Freud, le refoulement des souvenirs de traumatisme dans l’inconscient est involontaire. Les gens auraient tendance à refouler ces souvenirs de traumatisme quand ils sont trop douloureux ou difficiles à gérer pour se protéger.
Ci-dessous les extraits principaux traduits en français :
Quel mal y a-t-il à croire dans le refoulement ?
Une analyse pour les professionnels du droit.
Pourquoi faire ce travail d’analyse ?
Certains tribunaux au cours des dernières années ont terni leur crédibilité en adoptant volontairement et aveuglément la théorie de la mémoire refoulée. Cette acceptation peut détruire la réputation des individus accusés à tort, et, en omettant d’accorder l’attention voulue aux preuves scientifiques, donne du crédit à la pseudoscience et rabaisse la méthode scientifique. Ce document a été rédigé pour informer les juges et les procureurs et apporter la preuve pertinente qui montre que :
• A) les concepts de mémoire réprimée et récupérée ne sont généralement pas acceptés dans la communauté psychologique et psychiatrique ;
• B) les études citées pour appuyer ces concepts révèlent des failles importantes ;
• C) beaucoup de « preuves » empiriques ont été accumulées sur la théorie du refoulement ;
• D) les études utilisant la meilleure méthodologie offrent le moins de soutien pour l’hypothèse du refoulement ;
• E) il n’existe aucune preuve que les souvenirs récupérés révèlent précisément les spécificités des événements d’il y a longtemps. La théorie de la mémoire refoulée récupérée n’est pas soutenue par la science.
La croyance, en quoi consiste-elle ?
Beaucoup de profanes, et certains professionnels de la santé mentale aussi, en sont venus à croire au cours des deux dernières décennies ou plus que les souvenirs poignants, voire brutaux, d’événements de l’enfance – même ceux répétés de nombreuses fois sur de plus longues périodes – peuvent être refoulés, ou rejetés complètement hors de la conscience. Pour éviter la douleur psychique que de tels souvenirs causeraient, l’esprit leur refuse prétendument l’accès à la conscience. Le résultat serait que la personne ne se souvient de rien du tout des événements, et cela peu importe la durée du temps entre eux et peu importe à quelle fréquence ils sont répétés (Bass & Davis, 1988; Briere, 1989; MacMartin & Yarmey, 1998; Ofshe & Singer, 1994; van der Kolk, 1994; van der Kolk et Fisler, 1995). Ce procédé de rejet est involontaire et automatique et se produit prétendument immédiatement, même pendant que l’événement nocif se déroule (Ofshe & Singer, 1994). Les abus sexuels de la petite enfance, ainsi va la théorie, sont particulièrement susceptibles et même d’invariables causes de ce défaut de mémoire (Bliss, 1986; Brown, Scheflin, et Hammond, 1998; Coons et Milstein, 1986; Herman, 1992).
La théorie soutient, en outre, que les souvenirs enfouis seraient stockés, souvent avec une parfaite fidélité aux événements originaux (Bass & Davis, 1988; Terr, 1994; van der Kolk et Fisler, 1995), et que les influences malignes des souvenirs sont à l’origine de plusieurs problèmes psychiatriques (Herman, 1992; Ofshe & Singer, 1994). En effet, les promoteurs de la mémoire réprimée croient que le traitement de ces problèmes nécessite de « récupérer » les souvenirs enfouis – de les amener à la conscience – , où ils seraient censés fournir un enregistrement de ces événements d’il y a longtemps (Herman, 1992; Terr 1994). Tous ces processus représentent le phénomène dans lequel les adultes, qui d’abord ne connaissaient absolument rien d’avoir été victimes de violence sexuelle étant enfants, vont ensuite affirmer plus tard se «rappeler» qu’elle a eu lieu.
Les questions qui se posent ?
• Que dit la science sur ces croyances?
• Sont-elles largement acceptées dans les communautés psychologiques et psychiatriques ?
• Avec quelle fréquence et avec quelle puissance le refoulement fonctionne-t-il ?
• En fait le refoulement existe-t-il véritablement ?
• Les souvenirs récupérés sont-ils fiables et véridiques ?
Les communautés psychologiques et psychiatriques semblent être de plus en plus sceptiques quant aux souvenirs refoulés et « récupérés » d’un passé lointain (Brandon, Boakes, Glaser, & Green, 1998; Crews, 1997; McNally, 2005; Paris, 1996b; Piper, le pape, et Borowiecki, 2000; Pope & Hudson, 1995; Rofe’, 2008; Stocks, 1998). Mais, les avocats et les juges comprennent-ils bien les raisons de ce scepticisme, à savoir que la science ne soutient pas ces concepts?
Parce que les cas juridictionnels impliquant ces concepts ont prouvé être vexatoires (Porter, Campbell, Birt, et Woodworth, 2003; Van Koppen & Crombag, 1999), le présent document est offert dans l’espoir de fournir aux avocats et aux juges de l’information pour faciliter cette tâche. Il examine la littérature, en particulier celle publiée depuis la revue de 1999 par Faigman, Kaye, Saks, et Sanders, qui était critique à l’égard des souvenirs refoulés et récupérés (Faigman, Kaye, Saks, et Sanders, 1999).
• Les connaissances scientifiques sur ces concepts ont-elles changées depuis ?
• Comment depuis 1999 les tribunaux ont-ils statué et ont-ils admis des témoignages sur la base des souvenirs refoulés et récupérés?
La terminologie.
Ce document examine une seule question : des preuves scientifiques soutiennent-elles l’idée que des gens deviennent souvent incapables de se souvenir d’événements atroces, puis, après une période d’amnésie, en « récupèrent » le souvenir ? Le papier n’est pas concerné par les mécanismes présumés de ce phénomène hypothétique ; le mécanisme n’est pas pertinent à la question de savoir si les preuves pour le phénomène existent. Tant qu’il y a accord sur la question en cours de discussion, le terme spécifique appliqué à la question ne devrait pas détourner l’attention de la question de savoir s’il se produit.
Les théoriciens ont utilisé beaucoup de termes pour décrire cet événement hypothétique et ils les ont parfois utilisés de façon imprécise, le lecteur pourrait tirer bénéfice d’une brève discussion sur la terminologie.
• amnésie traumatique,
• refoulement,
• amnésie psychogène,
• répression,
• amnésie dissociative,
• refoulement robuste ou massif, etc….
Explications sur ce vocabulaire.
Dans les discussions sur les expériences très stressantes qui causent des troubles de la mémoire :
• Il vaut mieux éviter le terme « amnésie traumatique », car il risque de produire une confusion avec le déficit de la mémoire produit par des atteintes physiques au cerveau.
Note : Certains parlementaires en France, mal informés lors du débat sur l’allongement du délai de prescription en 2014, ont confondu l’amnésie traumatique (provoquée par un accident par exemple) et l’amnésie dissociative explicitée plus loin.
• Répression et refoulement engendrent aussi de la confusion. Freud considérait les deux termes comme à peu près équivalents (Erdelyi, 2006).
Le terme répression a évolué pour désigner une décision active et plus ou moins voulue « de prêter attention à une impulsion consciente ou à un conflit » (Vaillant, 1990, p. 262), alors que le refoulement, comme discuté ici, est considéré fonctionner automatiquement et inconsciemment (Brandon et al., 1998; McNally, 2003; Ofshe & Singer, 1994), provoquant « un enfouissement du souvenir » (Terr, 1994, p 85)..
• En outre, bien que l’amnésie psychogène soit parfois utilisée comme synonyme de refoulement, les termes ne doivent pas être utilisés de manière interchangeable.
L’amnésie psychogène est caractérisée par une perte massive de la mémoire rétrograde (c’est à dire, la perte de rappel pour une période entière de temps avant un instant donné), alors que le refoulement discuté ici implique un échec circonscrit à rappeler un ou plusieurs événements traumatique(s).
En outre, contrairement au refoulement, l’amnésie psychogène,
– n’a pas de relation temporelle immédiate à un traumatisme (c’est à dire, qu’elle se produit à un temps variable par la suite) ;
– n’est pas accompagnée par la perte de l’identité personnelle,
-se termine généralement brusquement plutôt que progressivement ;
– dure rarement plus de quelques semaines ; et
– ne nécessite habituellement pas une psychothérapie pour sa fin (Brandon et al., 1998; McNally, 2003, p 187.).
• Dans cet article, l’amnésie dissociative, définie comme résultant du refoulement, se réfère à l’incapacité à se rappeler qui résulte prétendument d’une blessure psychologique grave. Jenifer Freyd (1996) accepte cette utilisation du « refoulement », et elle et d’autres auteurs considèrent que le terme est synonyme de dissociation (Erdelyi, 1990, 2006; MacMartin & Yarmey, 1998). Par exemple, « le refoulement et la dissociation sont parfois utilisés de façon interchangeable, et même quand [ils ne sont pas], les différences entre eux sont souvent peu claires » (Bowers et Farvolden, 1996, p. 358). En outre, les promoteurs des souvenirs récupérés croient que les deux, le refoulement et la dissociation, remplissent la même fonction protégeant le psychisme des individus traumatisés (MacMartin & Yarmey, 1998; Ofshe & Singer, 1994). Les cas juridiques illustrant ce phénomène hypothétique deviennent ainsi des cas de la mémoire réprimée ; des souvenirs autrefois dits refoulés sont devenus des souvenirs récupérés.
Amnésie « versus » refoulement.
Il faut se rappeler ce que l’amnésie et le refoulement signifient ou ne signifient pas.
L’amnésie signifie une incapacité à se rappeler quelque chose (McNally, 2003). Elle « connote un état pathologique. . . emportant avec elle l’implication que l’amnésie [induite par un traumatisme] est une condition pour un besoin de traitement » (Lire et Lindsay, 2000, p. 144).
– Le terme ne renvoie pas à une personne qui a délibérément essayé d’éviter de penser à un événement désagréable.
– Il ne se applique pas à une situation dans laquelle quelqu’un n’avait tout simplement pas pensé à un événement pendant une longue période, mais il aurait été tout à fait capable de se rappeler si on le lui avait directement demandé;
– On ne peut parler de refoulement si un rappel approprié déclenche un souvenir immédiat.
Le trouble du stress post traumatique (PTSD) « versus » refoulement.
Un autre phénomène, le trouble du stress post traumatique (PTSD), est parfois, mais à tort, considéré comme un exemple d’un souvenir traumatique refoulé. Comme preuve, certains théoriciens citent le critère du PTSD du DSM-IV sur « l’incapacité à se rappeler un aspect important du traumatisme.»
Note : Rappelons que le PTSD (trouble de stress post-traumatique) est une réaction psychologique consécutive à une situation durant laquelle l’intégrité physique et/ou psychologique du patient et/ou de son entourage a été menacée et/ou effectivement atteinte (notamment accident grave, mort violente, viol, agression, maladie grave, guerre, attentat).
Cependant, il y a deux problèmes avec cet argument :
• Premièrement, les cas juridiques de mémoire réprimée impliquent l’affirmation d’une incapacité de se rappeler non seulement un aspect de l’événement traumatique, mais rien de tout ce qui concerne ce sujet. Par exemple, les demandeurs prétendent souvent que, pendant des années, ils n’avaient aucun souvenir de la maltraitance sexuelle.
• Deuxièmement, l’esprit ne fonctionne pas comme un magnétoscope, et il n’y a donc aucune raison de s’attendre à ce que tous les aspects d’une expérience traumatisante soient encodés en priorité (in the first place) dans la mémoire .
Note : L’encodage se réfère à l’acte de former, dans le tissu nerveux, une image mentale ou une représentation symbolique d’un événement. C’est la première étape dans la formation d’un souvenir.
Dans des conditions de forte excitation, la plupart des gens s’attachent aux caractéristiques principales au détriment de celles qui sont périphériques. Les individus ayant subi un vol à main armée omettent parfois de coder le visage du voleur, souvent parce que leur attention est fixée sur son arme. Un échec de rappeler le visage de l’agresseur ne constituerait pas une « amnésie » pour un aspect important du traumatisme, parce que la victime n’a jamais codé en priorité (in the first place) le visage dans la mémoire.
Le symptôme du DSM-IV est ambigu car il ne parvient pas à faire la distinction entre [d’une part] l’encodage suivi par l’échec de la récupération (c’est à dire, l’amnésie) et [d’autre part] le simple défaut d’encoder pendant l’événement lui-même (McNally, 2005, p. 819).
En d’autres termes, pour démontrer le refoulement, il doit être démontré qu’une personne a effectivement encodé l’événement, mais, par la suite, a été incapable de s’en souvenir.
Il est important de garder à l’esprit que les événements nocifs en question sont extrêmes. Ils provoquent une peur intense, d’horreur, ou l’impuissance: par exemple, ceux qui sont énumérés dans le DSM-IV-TR comme causant le syndrome de stress post-traumatique:
– accidents de la route graves,
– camp de concentration internement,
– agressions personnelles violentes,
– des attaques terroristes, et autres.
Certains plaignants de la mémoire récupérée ont affirmé qu’ils ont réprimé le souvenir des événements qui étaient indéniablement triviaux et qui ne leur avaient causé aucune détresse à l’époque. Ces revendications n’ont aucun sens.
La notion de refoulement est-elle généralement acceptée par la loi (dans le droit américain) ?
Décisions judiciaires (extraits)
Selon le New Wigmore: un Traité sur la preuve, des avis judiciaires antérieurs et des publications scientifiques sont les deux principales sources utilisées pour déterminer l’acceptation générale (Kaye, Bernstein, et Mnookin, 2004):
» Quand d’autres tribunaux ont évalué l’acceptation générale d’une forme de preuves scientifiques, leurs opinions et leurs décisions peuvent fournir un précédent utile » (Kaye, Bernstein, et Mnookin, 2004, p. 176).
Qu’est-ce que ces sources disent de l’amnésie dissociative et ses concepts connexes ?
Piper, Pope, et Borowiecki (2000) ont examiné les décisions au niveau d’appel aux États-Unis dans les cas de mémoire récupérée. Les auteurs ont constaté qu’avant 1999 environ, la plupart des tribunaux ont refusé de reconnaître la validité du refoulement, soit pour justifier l’extension de la prescription, soit comme une théorie scientifiquement validée, qui pourrait être légitimement présentée à un jury. Ils ont également constaté que dans la grande majorité des décisions au niveau de l’appel, les tribunaux ont refusé d’accepter, explicitement ou implicitement, la validité de souvenirs réprimés et récupérés. En outre, lorsque la Cour Suprême de l’État a estimé nécessaire des auditions de témoins sur ces concepts, dans tous les cas ils ont été rejetés.
Depuis 1999, quand Faigman et ses collègues ont examiné l’état de la loi, les tribunaux des États ont continué à lutter avec l’admissibilité du témoignage d’experts sur la mémoire réprimée et les souvenirs retrouvés. Certains des États aux prises avec cette question depuis lors sont la Caroline du Sud, l’Indiana, l’Utah, l’Arizona, l’Illinois. Comme indiqué par les nombreuses opinions non publiées, la « science » qui sous-tend la mémoire refoulée est toujours contestée à travers le pays, même dans les États où le témoignage d’experts sur la mémoire refoulée était admis avant 1999.
La règle de preuve (the evidentiary rule) qui est appliquée par le tribunal détermine l’admissibilité du témoignage sur la mémoire retrouvée. De nombreux Etats ont adopté la règle fédérale de la preuve (federal evidence rule) et la jurisprudence (the case law) entourant l’admissibilité de la preuve scientifique. Dans le système judiciaire fédéral, la recevabilité du témoignage d’expert ou de découvertes scientifiques il est décidé si oui ou non le témoignage pourrait aider le juge des faits dans la compréhension de la preuve ou la détermination d’un fait en litige. Daubert C. Merrell Dow Pharmaceuticals, 509 US 579, 592, 113 S. Ct. 2786, 125L.Ed.2d 469, 482 (1993).
Le niveau d’acceptation par la communauté scientifique n’est considéré que comme un facteur supplémentaire. Id à 594.
On pourra lire la suite du paragraphe dans l’article en anglais.
Historique
La notion de refoulement est-elle généralement acceptée dans la communauté scientifique compétente ?
Ceux qui soutiennent les notions d’amnésie dissociative et de refoulement ont affirmé à maintes reprises que la communauté universitaire et scientifique compétente considère ces idées comme scientifiquement valables et généralement acceptées, et que les tribunaux devraient accepter ces concepts. Par exemple, Brown, Scheflin, et Hammond (1998) affirment que « la mémoire refoulée. . . ou plus exactement, l’amnésie dissociative. . . a été reconnue par la plupart des organisations professionnelles de santé médicale, psychologique et mentales. La littérature mondiale a validé ce concept depuis plus d’un siècle » (p. 599). En outre, selon Gleaves et associés, « l’amnésie dissociative. . . a été étudiée et décrite en détail par Pierre Janet dans les années 1880 ainsi que par Freud dans certains de ses premiers écrits » (Gleaves, Smith, Butler, et Spiegel, 2004, p. 11).
Ces auteurs font ici l’erreur commune de croire que le genre de refoulement discuté dans le présent document est identique à celui décrit par Janet et Freud au 19è siècle (Ofshe & Singer, 1994). La croyance méconnait l’histoire. Comme mentionné ci-dessus, ce refoulement moderne « permet prétendument aux patients de perdre la capacité de récupérer la connaissance des grands événements de la vie, une très longue série d’événements traumatiques, et les modèles extrêmement compliqués de comportement social. [Les récits peuvent inclure] jusqu’à 1 000 viols et / ou agressions qui s’étendent sur des années . . . ou des décennies à la victimisation sexuelle et physique par des réseaux de cultes sataniques et les confessions d’assassinats de masse » (Ofshe & Singer, 1994, p. 395). Certains théoriciens estiment, en outre, que, après avoir été refoulés, ces souvenirs sont toujours stockés inchangés, comme dans une sorte de congélation profonde.
Nous n’avons rien trouvé qui suggère que Janet ou Freud aient jamais décrit un tel mécanisme mental, vaste et puissant (Ofshe & Singer, 1994; Ofshe & Watters, 1994; Webster, 1995 Merskey, 1999). Par exemple, Hedges (1994) observe que la notion d’oubli massif d’une expérience traumatique et la possibilité de, plus tard, se la rappeler comme avec un appareil de type caméra vidéo ne fait pas partie d’une théorie psychanalytique existante de la mémoire. Nous n’avons, de même, trouvé aucune preuve que des patients de Freud aient développé le genre de souvenirs extrêmes mentionnés juste ci-dessus. En outre, les cas typiques de l’amnésie dissociative du 19è siècle ont montré des caractéristiques sans précédent dans les cas des souvenirs refoulés et récupérés d’aujourd’hui : de brèves modifications hystériques de la conscience, des convulsions épisodiques ou des crises d’hystérie, la perte transitoire de l’identité personnelle, le somnambulisme, des hallucinations hystériques, et divers troubles de la marche (Merskey, 1999; Nemiah, 1979).
En d’autres termes, « le refoulement » d’aujourd’hui et la « dissociation » d’hier diffèrent nettement.
Plutôt que d’être un concept introduit par Janet ou Freud, le refoulement d’aujourd’hui n’a apparemment été proposé qu’environ un siècle après que ces hommes aient vécu : ce n’est qu’en 1985 que la notion de « refoulement massif » est apparue. En cette année 1985, Judith Herman a prononcé un discours à l’American Psychiatric Association, décrivant ce nouveau mécanisme mental (Ofshe & Singer, 1994; Pendergrast, 1995; Webster, 1995). Il n’existe aucun enregistrement qu’une personne ait jamais mentionné un tel concept avant ce discours, et rien de précédemment publié dans la littérature scientifique sur la mémoire n’a indiqué qu’un tel mécanisme ait jamais été soupçonné. Le concept de refoulement massif semble avoir été une découverte relativement récente, même pour Herman elle-même : 4 ans seulement avant le discours de 1985, elle a publié un livre sur les abus sexuels, les incestes entre les pères et filles (Herman, 1981). En 250 pages du livre, pas une seule mention n’est faite de ce genre de troubles de la mémoire profonde. Encore une fois, le type de refoulement appelé le refoulement robuste par Ofshe et Watters- en cause dans les cas judiciaires d’aujourd’hui a très peu en commun avec celui de Freud. Que ce genre de refoulement soit un produit de la fin du 20è siècle a une signification, qui est discutée ci-dessous.
(voir : Quelle preuve a été apportée contre le concept de refoulement ? )
La position des acteurs de la santé
La guerre entre cliniciens et chercheurs au sujet du refoulement
En 1997, deux chercheurs sur la mémoire ont observé que « le débat sur les souvenirs récupérés est la bataille la plus passionnément enragée qui ait [jamais] eu lieu sur la nature de la mémoire humaine. Des professionnels [de n’importe quel bord] du débat ont vu leurs compétences, leurs motifs, et même leur intégrité remis en question. Le débat a toujours été caractérisé par des émotions fortes et souvent par de l’acrimonie pure et simple. (Lindsay & Read, 2001, p. 71). En 2006, un commentateur pouvait même dire : « Pas une seule question n’a vu une telle bagarre controversée et émotionnelle parmi les psychologues autre que la question du refoulement » (Smith, 2006, pp. 534-535).
Cette division et l’acrimonie s’est étendue, même à des niveaux élevés de l’American Psychological Association. En 1993, l’Association a créé un groupe de travail de six psychologues experts : trois cliniciens et trois chercheurs. Sa mission était d’examiner la littérature scientifique sur les souvenirs d’adultes précédemment oubliés (unrecalled memories) d’abus sexuels de l’enfance, et faire des recommandations à l’Association pour informer les discours à venir. Malheureusement, même après des mois de délibérations, le groupe de travail lui-même n’a pas pu se mettre suffisamment d’accord pour être capable d’écrire un rapport final conjoint. Les cliniciens ont écrit le leur, les chercheurs ont écrit le leur, chacun a ensuite répondu à l’autre, puis ils ont écrit chacun une réplique aux réponses (Alpert, Brown, le CECI, Courtois, Loftus, et Ornstein, 1996).
La position des organisations professionnelles
Une autre preuve que les autorités scientifiques n’acceptent généralement pas les concepts de souvenirs refoulés et récupérés est indiquée par des prises de position de plusieurs grandes sociétés professionnelles :
– L’American Medical Association,
– l’American Psychiatric Association,
– le Collège (Britannique) Royal des psychiatres,
– l’Association des psychiatres du Canada, et
– l’Australian Psychological Society…
Ils ont tous exprimé leur scepticisme au sujet de ces notions.
Par exemple,
• L’American Medical Association estime que les souvenirs récupérés d’abus sexuels dans l’enfance sont d’une authenticité incertaine qui devrait faire l’objet d’une vérification externe. L’utilisation de la mémoire recouvrée se heurte à des problèmes potentiels de mauvaise application (American Medical Association Conseil des affaires scientifiques, 1995, p. 117).
• Si les souvenirs d’événements n’ont pas été revisités et cognitivement répétés dans l’intervalle entre l’apparition des événements et l’attention portée quelques années plus tard, il n’est pas clair que ces souvenirs puissent perdurer, soient accessibles ou soient fiables (Association des psychiatres du Canada, 1996, p. 305).
• Les preuves scientifiques existantes ne permettent pas que des déclarations globales puissent être faites quant à une relation précise entre le traumatisme et le souvenir. Les preuves scientifiques et cliniques disponibles ne permettent pas de distinguer les souvenirs exacts de ceux qui sont inexacts, et les souvenirs fabriqués d’être distingués [les uns des autres] en l’absence de corroboration indépendante (Australian Psychological Society, Limited, 1994, p. 2).
La position des professionnels de la santé mentale
De nombreux professionnels individuels de santé mentale sont profondément sceptiques sur l’amnésie dissociative et ses concepts connexes, comme cela a été démontré dans plusieurs enquêtes (Dell, 1998; Lalonde, Hudson, Gigante, et Pope, 2001; Pope, Oliva, Hudson, Bodkin, et Gruber, 1999). Par exemple, dans une enquête publiée en 1999 :
• un quart seulement des psychiatres environ ont considéré que l’amnésie dissociative est soutenue par « des preuves solides de validité» (Pope et al, 1999, p 322..); les autres choix étaient : « peu de preuves de validité », « preuve partielle de validité» et «sans opinion»
• environ un tiers seulement croit que le diagnostic de l’amnésie dissociative devrait être inclus sans réserves dans le DSM-IV. Les autres choix disponibles étaient « ne devrait pas être inclus du tout », « devrait être inclus seulement avec des réserves » et « pas d’opinion. »
Un autre sondage (Dell, 1988), publié plus tôt (1998), a révélé que plus de 80% des répondants avaient exprimé leur scepticisme de « modéré à extrême » (p. 528) sur le trouble de l’identité dissociative appelé aussi personnalité multiple (un état qui est soi-disant lié à des abus sexuels et au refoulement des souvenirs).
La études scientifiques
Que disent les études et les méta-analyses ?
Un article de Erdelyi concernant le refoulement, publié en 2006, a généré de nombreux commentaires qui varient « de rejet pur et simple sur la réalité du refoulement à des exhortations pour que [son] champ d’application soit étendu » (Erdelyi, 2006, p. 535).
• « Lorsque la science est interprétée correctement, la preuve démontre que les événements traumatiques vécus comme terrifiants massivement au moment de leur apparition sont très-mémorables et rarement, sinon jamais, oubliés » (McNally, 2005, p. 821).
• « Jusqu’à ce que la preuve convaincante et reproductible soit apportée, le concept d’amnésie traumatique ne peut être rien de plus que du folklore psychiatrique. » (McNally, 2004, p. 100).
• Harrison Pope (communication personnelle, Mars 2007) note que « bien que certains documents publiés dans la littérature revue par des pairs prétendent accepter le concept de la mémoire refoulée, cette acceptation de publier ne permet pas de conclure que le concept soit généralement accepté. Acceptation générale doit signifier clairement qu’il y a un consensus dans la littérature produite par la communauté scientifique compétente. Et finalement, après avoir examiné la littérature sur le refoulement, l’auteur d’une étude de 2008 (Rofe’, 2008, p. 76) a conclu : « Le fait est que la notion freudienne de refoulement ne peut pas être utilisée comme un modèle (construct) psychologique scientifique ».
En résumé
L’amnésie dissociative, le refoulement, la mémoire réprimée et récupérée, et leurs notions proches restent extrêmement controversés parmi les psychiatres et les psychologues. En outre, depuis leur première apparition dans la littérature ces concepts n’ont jamais gagné l’acceptation générale dans la communauté psychologique / psychiatrique américaine.
Les défauts de preuves du refoulement.
Les théoriciens de la mémoire refoulée affirment avoir trouvé beaucoup de soutien scientifique pour l’idée que les gens ne parviennent pas souvent à se rappeler les expériences traumatiques (Brown, Scheflin, et Hammond, 1998, pp 538-539;. Dalenberg 2006, p 279.).
Cependant, les études citées souffrent d’un ou plusieurs des trois défauts suivants :
Défaut N°1 : Des phénomènes qui ne sont pas du refoulement
1. Le premier est que les études ne montrent pas que les sujets échouent complètement à se rappeler les expériences gravement bouleversantes – c’est à dire que les sujets ont été victimes d’amnésie. Les théoriciens de la mémoire réprimée pointent plutôt vers l’un des trois phénomènes suivants qui ne sont pas du refoulement :
• L’un est une amnésie partielle, définie comme l’échec à se rappeler quelques détails de l’expérience.
• Un autre est l’oubli de la vie quotidienne, oublier l’anniversaire d’un parent, par exemple, ou oublier que l’on est allé à l’épicerie pour acheter quelque chose.
• Et le troisième phénomène est la tentative délibérée d’éviter de penser à l’expérience désagréable.
Aucun de ces 3 phénomènes ne constitue de l’amnésie dissociative ou du refoulement.
Néanmoins, les défenseurs de la mémoire refoulée, comme Dalenberg (2006) et Brown, Scheflin, et Hammond (1998; Ch. 7), tentent à plusieurs reprises de faire valoir que l’amnésie partielle, l’oubli au jour le jour, et l’évitement délibéré, sont en quelque sorte la même chose que d’avoir refoulé le souvenir de l’incident lui-même (McNally, 2003; Piper, Le Pape, et Borowiecki, 2000; Pape, Oliva, & Hudson, 1999).
Défaut N°2 : La méthode d’investigation en question.
Défaut N°2a : L’absence de donnée pour des événements non traumatiques
2. Un second défaut est que la description des pourcentages des personnes [qui étaient maltraitées] partiellement ou totalement amnésiques de leurs mauvais traitements, sont vains, en l’absence de données de base pour l’amnésie des événements non traumatiques. Il est clair que « l’amnésie » pour [ces] événements est loin d’être nulle. La plupart des gens ont des lacunes dans leurs souvenirs d’enfance. (McNally, 2003, pp. 198 et 227).
Pour obtenir des données portant sur ces deux derniers points, Read et Lindsay (2000) ont encouragé les participants à l’étude à tenter de se rappeler des événements de l’enfance qui se sont réellement produits. (Des événements qui étaient vraisemblablement non traumatiques : Obtention du diplôme au lycée, fréquentation de camps d’été…) Les enquêteurs ont ensuite évalué l’effet de ces tentatives sur l’opinion des participants concernant l’altération du souvenir antérieur à ces événements.
Avant les activités de recherche de souvenirs :
• 16% des événements de l’enfance étaient caractérisés par des périodes antérieures« d’amnésie partielle » et
• 5% par des périodes antérieures «d’amnésie complète»
Selon Read (1999), « Ces données indiquent que les estimations de l’effet de traumatisme sur la mémoire doivent être comparées à un taux de base appropriée, qui n’est pas nul, de réponses affirmatives à ces questions. Des recherches antérieures ont implicitement supposé que le taux de base est égal à zéro, alors que clairement il ne l’est pas » (p. 9).
Défaut N°2b : Rechercher des souvenirs modifie les souvenirs
En outre, Read et Lindsay (2000) ont constaté qu’après les exercices de recherche de souvenirs, le taux d’amnésie partielle est passé de 16% à 70%. Ces résultats montrent que les réponses aux questions rétrospectives sur des périodes antérieures de mauvaise mémoire peuvent être modifiées de façon spectaculaire grâce à des activités de recherche de souvenirs typiques des techniques parfois utilisées en psychothérapie. (Lire et Lindsay, 2000).
Les résultats sont également en accord avec ce qui est connu depuis longtemps : les gens jugent mal s’ils ont pu, ou pourraient, se rappeler quelque chose à une période précédente ; de tels jugements sont soit mal soit pas du tout corrélés avec des performances de la mémoire réelle (Read, 1999).
En d’autres termes, poser des questions sur des périodes dont on n’a « aucun souvenir, ou peu de souvenir aujourd’hui » est un exercice très suspect. (Herrmann, 1982; Read, 1999).
Défaut N° 3 : Les faiblesses des études a posteriori (beaucoup plus tard)
3. Le troisième défaut dans la preuve citée par Dalenberg (2006) et Brown et ses collègues (1998) est l’utilisation des études rétrospectives. Ces études souffrent de plusieurs faiblesses. La plus cruciale est la difficulté à regarder en arrière au cours des années ou des décennies pour vérifier que l’abus revendiqué a effectivement eu lieu. Cela signifie que les chercheurs menant des études rétrospectives ne peuvent pas savoir si un participant donné a fait l’expérience de l’événement en question. Dans une étude rétrospective destinée à déterminer, par exemple, si les gens oublient les événements traumatisants, on doit demander aux participants en variante les deux questions suivantes:
• Premièrement, » un événement traumatique vous est-t-il arrivé? »
• Et deuxièmement, « y a-t-il eu un moment où vous n’aviez aucun souvenir, ou moins de souvenir que vous n’avez aujourd’hui, de cet événement ? »
En d’autres termes, les participants de l’étude sont priés de vérifier, non seulement la façon dont ils se sont bien souvenus d’un événement à un certain moment dans le passé, un événement qui aurait pu se produire même dans le plus lointain passé, mais aussi qu’ils avaient vraiment vécu l’événement. Comparez cette méthode à celle des études prospectives (voir ci-dessous), où à l’entrée dans l’étude on exige la vérification que le traumatisme est réellement survenu.
Une autre faiblesse des études rétrospectives: « demander [à une personne] de se rappeler d’un moment où [il ou elle] ne pouvait pas se rappeler quelque chose » est un dilemme logique. La question frise le ridicule, car il suppose qu’[une personne] aurait connaissance de l’état d’un souvenir pendant une période où le souvenir, de l’aveu même du sujet, n’est jamais venu à la conscience. (Ofshe & Watters, 1994, p . 308).
Il est important de se rappeler que les études rétrospectives forment l’écrasante majorité des enquêtes citées comme preuve du refoulement. Cependant, parce que toutes ces études souffrent des mêmes défauts inhérents et fatals, elles ne peuvent pas prouver l’existence du refoulement. Des études prospectives sont nécessaires (pour prévoir les bons candidats potentiels) (Piper, Pope, et Borowiecki, 2000; Pope, Oliva, & Hudson, 1999).
Les critères d’une étude scientifique
Quelle forme ces enquêtes devaient-elles prendre? Les exigences pour une démonstration prospective scientifiquement acceptable de l’amnésie dissociative sont en fait assez simples (Pope & Hudson, 1995; Pope, Oliva, & Hudson, 1999)
Le critère de gravité
On pourrait d’abord identifier un groupe d’individus connus pour avoir vécu un événement pénible, puis, après un temps approprié, s’enquérir de leur souvenir actuel de cet événement. L’événement traumatique devrait être tellement grave que personne probablement ne pourrait tout simplement l’oublier. Cette exigence de gravité élimine les simples oublis comme cause de l’échec à se rappeler. Beaucoup d’expériences qui ne causent pas de douleur physique aux enfants, mais peuvent néanmoins sembler être des abus sexuels (par exemple, certains types de caresses, dormir nu avec des enfants, ou prendre des douches avec eux) ne seraient pas particulièrement mémorables pour les jeunes enfants (Haugaard, 2000; McNally 2005; Nelson, 1989; Piper, 1997). Le défaut de se rappeler ces expériences indique donc l’oubli, non le refoulement.
Considérons, par exemple, l’étude souvent citée de Williams (1994), dans lequel 129 femmes qui, en tant que jeunes filles, avaient été examinées pour une éventuelle maltraitance sexuelle. Williams a communiqué avec elles 17 ans plus tard pour voir si elles se sont rappelé l’événement qui avait conduit à l’examen initial. Trente-huit pour cent (38%) ne le mentionnent pas. En raison de ce résultat, certains commentateurs estiment que l’étude fournit des preuves du refoulement des souvenirs d’abus sexuels de l’enfance. Cependant, plus des deux tiers des filles n’ont montré aucun signe de traumatisme génital lors de l’évaluation initiale. Ce fait suggère que beaucoup d’entre elles peuvent ne pas avoir connu de pénétration et, dans certains cas, n’avaient subi rien de plus mémorable que des caresses. Celles qui avaient eu des expériences non mémorables seraient susceptibles de simplement oublier – pas de refouler – l’événement indiqué.
Les critères de la rigueur scientifique
A la fois Loftus (1994) et Pope, Oliva et Hudson (1999) discutent d’autres raisons pour lesquelles l’étude de Williams ne fournit pas de preuves du refoulement. Parmi celles-ci il y a l’observation de Williams que les femmes n’ont pas signalé certains événements tout en rendant compte facilement d’autres qui étaient tout aussi traumatisants. Le refoulement ne peut pas tenir compte de ces conclusions, « car il ne peut pas expliquer pourquoi seuls quelques épisodes sont oubliés, alors que pour de nombreux autres [événements] aussi horribles, elles s’en sont complètement (thoroughly remembered) souvenues » (McNally, 2003;. P 213).
1- Le traumatisme devrait être solidement documenté. Les récits non corroborés d’abus doivent être considérés avec le scepticisme scientifique, parce que sans corroboration externe, ni les psychothérapeutes ni les scientifiques ne peuvent déterminer la véracité d’un récit donné (Brandon et al. 1998; Courtois, 1997; Paris, 1996b; McNally, 2003). Il n’y a tout simplement aucun moyen de déterminer la vérité basée soit sur le contenu d’un souvenir, soit sur l’intensité émotionnelle avec laquelle il s’exprime. (Brandon et al., 1998; Courtois, 1997; Hyman & Pentland, 1996; Leichtman & Ceci, 1995).
2- Deuxièmement, l’étude devrait exclure les personnes qui avaient développé une amnésie pour une raison « biologique » quelconque, comme des convulsions, une intoxication médicamenteuse ou alcoolique, la privation de sommeil, les lésions cérébrales, les carences nutritionnelles, ou le phénomène bien connu de l’amnésie infantile, qui résulte, au moins partiellement, de l’immaturité du cerveau du jeune enfant. En raison de cette immaturité, les enfants sont normalement amnésiques pour la plupart des événements survenus avant l’âge de trois ou quatre ans (McNally, 2005; Usher & Neisser, 1993) et « de nombreux adultes ne se souviennent guère d’avant l’âge de sept ans » (McNally, 2003, p. 44). Ainsi, le refoulement ne doit pas être posé pour expliquer le non rappel d’un événement qui s’est produit quand un enfant était plus jeune qu’environ 4 ans.
3- Troisièmement et enfin, une étude doit montrer que les sujets ont vraiment développé une amnésie pour le traumatisme. Pour ce faire, il faut d’abord exclure les cas dans lesquels les victimes essayaient tout simplement d’éviter de penser à l’événement, comme mentionné ci-dessus, c’est la suppression, et non le refoulement.
Le cas dans lequel le sujet a choisi de ne pas divulguer l’abus à l’intervieweur doit également être exclu. Les raisons de cette « pseudo amnésie » comprennent :
– l’embarras,
– une mauvaise relation avec l’intervieweur,
– le désir de protéger un tiers,
– un sentiment d’avoir mérité le mauvais traitement, ou
– un désir de dépasser le délai de prescription pour obtenir certains avantages.
(Femina, Yeager, et Lewis, 1990; national Center for Health Statistics, 1961; Pope & Hudson, 1995; Widom et Morris, 1997).
Ainsi, le défaut de signalement des expériences ne doit pas présumer, sans « une enquête complémentaire », être dans l’incapacité à s’en souvenir.
« L’enquête « complémentaire » signifie la réalisation d’une « interview de clarification » (Femina, Yeager, & Lewis, 1990), comme suit :
– Toute personne qui a d’abord affirmé ne pas s’être rappelé l’incident traumatique se retrouverait avec un enquêteur, qui d’abord tentera d’établir une relation solide avec la personne interrogée.
– La personne sera ensuite interrogée en douceur sur l’écart entre le traumatisme connu et son affirmation ultérieure de ne pas s’en être souvenu.
Dans l’étude importante de Femina et al. (1990) toute personne qui initialement niait se rappeler les mauvais traitements a reconnu se souvenir de la maltraitance, lors de l’entrevue de clarification. Melchert et Parker (1997) ont obtenu des résultats similaires. Ainsi, l’importance des entretiens de clarification ne peut pas être surestimée ; ils sont le principe de base de la bonne science dans la recherche de la preuve du refoulement et de l’amnésie dissociative (McNally, 2003).
Si un nombre important de personnes continuaient de nier tout souvenir de l’expérience traumatique, et si – de façon importante- ils ne retiraient aucun bénéfice apparent d’affirmer simplement l’amnésie, alors on devrait avoir une étude méthodologiquement approfondie montrant que l’amnésie dissociative pour des expériences d’abus peut effectivement se produire (Piper, le pape, et Borowiecki, 2000; Pope, Oliva, & Hudson, 1999).
Les études conformes à ces exigences existent
– À notre connaissance, au moment où cet article est rédigé, la seule étude d’abus sexuel infantile qui satisfait les trois conditions ci-dessus est celle de Bonanno et de ses collègues (2002). Dans cette enquête, 67 personnes ont été étudiées ; toutes ont été documentées pour avoir subi des abus sexuels graves étant enfants. Fait à noter, les enquêteurs ont effectué un entretien de clarification, après quoi seulement deux personnes n’avaient pas divulgué l’abus. Les enquêteurs ont soupçonné fortement que même ces deux personnes se souvenaient de la maltraitance.
– Une étude de 2003 effectuée par Goodman et associés est peut-être l’enquête suivante la plus rigoureuse. Elle répond à deux des trois conditions énumérées ci-dessus (aucun entretien de clarification n’a été effectué). Parmi les 180 participants qui étaient probablement au-delà de l’âge de l’amnésie infantile quand ils ont été maltraités, seulement 8% ont omis de divulguer les mauvais traitements. Selon les auteurs, leurs résultats « ne soutiennent pas l’existence de mécanismes de mémoire spéciaux spécifiques à des événements traumatiques, mais impliquent plutôt que des opérations cognitives normales sous-tendent la mémoire à long terme pour [les abus sexuels infantiles] » (Goodman et al. 2003, p. 117). Les auteurs se demandent si oublier l’abus sexuel dans l’enfance est fréquent (common experience) (Goodman et al. 2003, p. 117), et précisent que « l’omission à déclarer [l’abus sexuel dans l’enfance] ne devrait pas nécessairement être interprétée comme une preuve que l’abus est inaccessible à la mémoire « (Goodman et al. 2003, p. 113).
– Et dans une autre enquête, Epstein & Bottoms (2002) ont constaté que « moins de 1% des victimes de violence qui ont déclaré un oubli temporaire semblent avoir connu une absence complète de souvenirs conscients des événements qui se sont produits après la neutralisation de l’amnésie infantile » (p. 222).
Ces trois résultats d’enquêtes sont d’accord avec l’observation de McNally (2003) qu’avec les meilleures méthodes d’étude, il y a le moins de chances de trouver la preuve de souvenirs manquants pour les traumatismes (p. 209). La signification des trois études ne doit pas être sous-estimée. Elles représentent la meilleure méthodologie actuellement disponible, et chacun d’entre elles plaide contre l’idée que la perte de mémoire complète est une réponse typique à des événements traumatiques.
Ainsi, à la mi-2008, nous sommes conscients qu’il n’y a pas d’études scientifiques répondant aux critères méthodologiques spécifiés ci-dessus qui apportent la preuve du refoulement. (Brandon et al., 1998; Goodman et al., 2003; McNally, 2003; Pope & Hudson, 1995; Pope, Oliva, & Hudson, 1999).
Quelles preuves ont été apportées contre le concept du refoulement?
Les victimes de traumatismes s’en souviennent très bien
En plus de l’absence de preuves pour justifier refoulement, il est important de noter la preuve substantielle contre ce concept. Par exemple, une recherche exhaustive de la littérature se concentrant sur plus de 10 000 survivants d’événements traumatiques, graves, spécifiques, historiquement documentés n’a même pas trouvé une seule personne qui a développé une amnésie pour le traumatisme (Pape, Oliva, et Hudson, 1999).
Beaucoup d’autres enquêtes discréditent l’idée du refoulement. Contrairement à ce que la théorie du refoulement prédit, ces études démontrent que les adultes se souviennent de détails centraux (central details) des expériences choquantes et stressantes mieux que des expériences heureuses, et mieux que des expériences de la vie de tous les jours, et des événements mondains (Berntsen, 2002; Berntsen & Thomsen, 2005; Christianson, 1992 ; Fivush, 1998; Koss, Tromp, et Tharan, 1995; Schacter, 1995).
Des résultats similaires sont trouvés chez les enfants (Howe, 2000; Howe, Cicchetti, et Toth, 2006; & Oates Shrimpton, 1991; Ornstein, 1995). Et les études portant sur le rappel de la maltraitance sexuelle des enfants montrent que de telles expériences (si elles surviennent après le décalage de l’amnésie infantile) sont généralement bien mémorisées (Alexander et al. 2005; Bonanno et al. 2002; Cordon, Pipe, Sayfan, Melinder, et Goodman, 2004; Fivush, 1998;. Goodman et al, 2003; Widom et Morris, 1997). Par exemple, pas un seul cas du refoulement n’est mentionné dans une revue examinant 3369 enfants abusés sexuellement (Kendall-Tackett, Williams, & Finkelhor, 1993). L’échec à citer même un seul enfant qui ait réprimé ses souvenirs d’abus est particulièrement remarquable quand on considère que Linda Williams, l’un des co-auteurs de l’étude de 1993, est la même Linda Williams dont l’étude de 1994 est souvent citée par les tenants du refoulement pour fournir la meilleure preuve pour les souvenirs traumatiques refoulés.
Le refoulement est un phénomène illogique et d’invention récente
La croyance dans le refoulement doit faire face à un très grave illogisme. Si la mémoire est considérée comme la capacité d’un organisme à coder, stocker et récupérer des informations passées pour répondre aux besoins actuels, alors tout organisme qui a oublié son passé aurait un désavantage pour l’évolution. Prenons un homme qui un jour échappe de peu aux crocs d’un chat à dents de sabre puis oublie l’attaque. Il pourrait courir clairement un risque de ne pas apprendre de ce qu’il a quasiment évité – et serait liquidé au prochain dîner du félin affamé, avec des conséquences néfastes de passer dans ses gènes, si le souvenir de la rencontre lui était en quelque sorte indisponibles. Comme McNally (2003) le note: « Il est difficile d’imaginer comment un mécanisme de refoulement qui sape la mémoire des événements importants pourrait nous avoir permis d’évoluer. » (p 77)
Enfin, si l’amnésie dissociative avait été un phénomène psychologique humain réel, on s’attendrait à trouver, dès les premiers écrits de la littérature mondiale, plusieurs exemples clairs et concrets d’amnésie des événements traumatiques. Mais un groupe de recherche (Pape, Poliakoff, Parker, Boynes, & Hudson, 2007), malgré une recherche exhaustive, n’a pas pu trouver un seul cas avant 1750. Lorsque ce fait est pris en considération, et quand on se rappelle que c’est seulement vers la fin du XXe siècle qu’on a découvert le « refoulement massif, » l’importance de la question posée par Ofshe et Watters devient claire :
Est-il sensé que, bien que les adultes et les enfants aient vécu un traumatisme dans toute l’histoire de la race humaine, la première génération [ce serait nôtre] à documenter. . . que les victimes puissent s’éloigner des expériences brutalisantes sans fin, sans savoir que quelque chose de mauvais leur est arrivé ? (Ofshe & Watters, 1994, p. 36)
Les souvenirs refoulés restent-ils fixes et immuables?
Les souvenirs s’affaiblissent au fil du temps
Comme l’expérience quotidienne l’enseigne, et la recherche le confirme, les souvenirs s’affaiblissent et changent au fil du temps. Cependant, à l’encontre de ces faits bien établis, certains théoriciens de la mémoire refoulée ont adopté les croyances qui ont des conséquences très importantes pour le traitement juridique des cas d’abus sexuels de l’enfance. Ces théoriciens croient que des souvenirs traumatiques qui ont été refoulés deviennent ainsi indélébiles et fixes pendant des années, voire des décennies, imperméables à toute expérience ultérieure, comme s’ils étaient fossilisés dans de l’ambre (Bliss, 1986; Clark, 1993; Fredrickson, 1992). Ces auteurs estiment en outre que les psychothérapeutes peuvent lever ou libérer le refoulement et exhumer les souvenirs enfouis, qui alors brossent un tableau essentiellement exact de l’événement traumatique original (Bass & Davis, 1988; Clark, 1993; Fredrickson, 1992; Herman, 1992). Et au moins un adepte (proponent) de la mémoire retrouvée considère que les souvenirs traumatiques refoulés, une fois découverts de cette manière, seraient plus précis, que les souvenirs ordinaires continus (Terr, 1994).
De telles croyances, si elles sont vraies, donneraient aux professionnels en psychologie et en psychiatrie une fenêtre sur le passé, leur permettant de voir avec certitude ce que chez l’individu traumatisé a déclenché son refoulement. Ces professionnels pourraient alors fournir un témoignage qui pourrait aider les enquêteurs à décider, par exemple, de dépasser la durée de la période de prescription qui, sinon, pourraient exclure les causes de l’action.
Les souvenirs se déforment au fil du temps
Mais les chercheurs sur la mémoire démystifient les notions de ces théoriciens, qui « sont en contraste frappant avec les faits empiriques » (Howe, Cicchetti, et Toth, 2006, p. 761). Par exemple, l’affirmation d’une correspondance littérale d’un souvenir refoulé et récupéré avec le traumatisme initial est réfuté par la reconnaissance que « [l’être humain] l’esprit conserve les renseignements dans un état assez littérale pour au plus deux secondes » (Einstein et McDaniel, 2004, p. 35). Ce qui est stocké dans la mémoire n’est pas une copie littérale d’un événement, mais plutôt une représentation construite de cet événement. Quand la représentation est formée, elle est affectée par notre connaissance préexistante du monde, nos préjugés, et tous les inférences que nous pourrions faire au moment de l’expérience (Loftus, 1996; Porter, Birt, Yuille, et Lehman, 2000). « On les appelle des processus constructifs, reflétant l’idée que nous construisons une représentation, plutôt que de copier les informations directement dans la mémoire » (Einstein et McDaniel, 2004, p. 40).
En outre, les recherches disponibles ont montré à maintes reprises que les souvenirs d’événements traumatiques semblent suivre les mêmes lois que ceux des événements plus banals. Dans les deux types de souvenirs, les détails s’estompent comme le temps passe ; les deux types de souvenirs sont soumis à des interférences des expériences ultérieures; et les deux peuvent être systématiquement déformés au fil du temps (CECI, 1995; Ceci & Loftus, 1994; Neisser & Harsch, 1992; Schacter, 1995, 1999; Zola, 1998). Autrement dit, la croyance que les souvenirs traumatiques sont indélébiles et immuables ignore une des découvertes les plus importantes et largement acceptées sur la nature de la mémoire : elle n’est pas la reproduction ni statique, mais plutôt reconstructive et dynamique.
Pour illustrer : les livres et les cassettes vidéo, les dispositifs de stockage reproductifs, reproduisent toujours la même information lors de l’accès ; les informations récupérées représentent fidèlement ce qui a été écrit à l’origine ou enregistré. Cependant, on ne lit pas des souvenirs comme un livre, ou comme on peut les lire à partir d’une bande vidéo. La recherche en laboratoire montre que les « représentations neuronales d’événements sont constamment. . . modifiées et réorganisées [au cours du temps ] » (Zola, 1998, p 924.), ce qui signifie que ce dont les gens se souviennent est dynamique et fluide ; constamment effacé, déformé, biaisé, et sinon modifié par les événements survenus avant et après que le souvenir d’origine soit encodé (Beahrs, Cannell, et Gutheil, 1996; Kihlstrom, 1994; Schacter, 1995, 1999; Usher & Neisser, 1993).
La mémoire est une reconstruction
La mémoire fonctionne en stockant des morceaux de l’événement original dans différentes régions du cerveau, où « des ensembles de neurones . . . représentent, chacun, une partie du souvenir » (Zola, 1998, p. 924). Quand une personne tente de se rappeler un événement, le cerveau assemble et relie ces composants distribués. Ils sont ensuite combinés avec des composants provenant d’autres expériences, dont certaines avaient été acquises avant l’événement et d’autres après, pour reconstruire ce souvenir. Ces processus régissent les souvenirs d’événements ordinaires et semblent aussi bien gouverner les souvenirs de traumatismes, ce qui signifie, encore une fois, qu’il y a peu de raison de supposer que ces derniers souvenirs sont moins sensibles à la distorsion que des souvenirs ordinaires (Paris, 1996b; Neisser & Harsch, 1992 ; Schacter, 1995; Shobe & Kihlstrom, 1997; Zola, 1998). Ainsi, la mémoire n’est pas tant comme lire un livre mais comme écrire des notes fragmentaires – et les réviser encore et encore comme nous le faisons (Kihlstrom, 1994; Zola, 1998). Cette analyse a une implication importante pour les affaires juridiques: la recherche psychologique ne donne aucune raison de croire que les productions appelées souvenirs récupérés représentent nécessairement ou toujours des descriptions précises des expériences de l’enfance (CECI & Loftus, 1994; Laney & Loftus, 2005; Paris, 1996a; Rofe », 2008). Un souvenir retrouvé n’a aucune prétention particulière à être la vérité.
La mémoire du corps ou les souvenirs émotionnels peuvent aussi être faux
Un dernier point qu’il est bon de rappeler. Les théoriciens de la mémoire retrouvée prétendent parfois que les «souvenirs du corps» ou «souvenirs émotionnels » peuvent fournir une fenêtre dans la vérité des événements du passé lointain (van der Kolk, 1994; van der Kolk et Fisler, 1995). En d’autres termes, l’affirmation implique que le contenu factuel peut être discerné par ces voies non verbales. L’affirmation est erronée (McNally, 2003). Seul le souvenir par la médiation du langage ou «la mémoire déclarative», mémoire pour le contenu factuel est pertinente eu égard aux questions de la vérité ou de la fausseté » (Beahrs, Cannell, et Gutheil, 1996, p. 48).
Conclusion
En 1999, Faigman et ses collègues, en citant la décision Hungerford (697 A.2d 916 [NH 1997] à 929) ont déclaré que le jour n’était pas encore arrivé où les souvenirs refoulés et récupérés pourraient être perçus comme fiables. Neuf ans plus tard, ce jour-là n’est pas encore arrivé. La présente étude montre qu’en 2008, la science ne parvient toujours pas à fournir des preuves de la croyance dans le refoulement et les souvenirs retrouvés, et que la loi continue à se débattre avec ces concepts.
Article reçu le 19 Decembre 2007
Revision reçue le 22 Août 2008
Accepté le 25 Août 2008
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