Pseudosciences et science en librairie

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par Brigitte Axelrad – SPS n° 305, juillet 2013

 Vous avez peut-être été déconcertés par la largeur des rayons ésotériques dans les librairies, mais vous êtes-vous déjà demandé en quelle proportion les livres pseudoscientifiques et les livres scientifiques y étaient vendus ?

C’est la question que se sont posée Serge Larivée, professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, et son équipe. Pour y répondre, ces chercheurs ont publié, dans le cadre du 21e Congrès de l’Acfas (Association canadienne-française pour l’avancement des sciences) [1] qui s’est tenu à l’Université Laval à Québec du 6 au 10 mai 2013, une étude longitudinale sur l’espace occupé par les livres qui traitent d’ésotérisme, d’astrologie, de paranormal ou de psychologie populaire par rapport à celui occupé par les livres consacrés à la vulgarisation scientifique, au fonctionnement de la science et à son histoire, dans les librairies du Québec.

De 2001 à 2011, ils ont mesuré en centimètres le rayonnage des deux types de livres dans soixante-douze librairies généralistes de la province, aussi bien dans les sections pour adultes que dans celles pour la jeunesse. Et le résultat est instructif !

L’espace attribué aux pseudosciences par rapport aux sciences en 2011 est resté relativement stable, puisque de 89,1 % en 2001, il était encore de 86,5 % en 2011. Selon l’article de l’Agence Science-Presse du 14 mai 2013 : « Des résultats qui se traduisent comme suit : si tous les ouvrages mesuraient la même épaisseur, sur 10 livres, 9 seraient consacrés aux pseudosciences alors qu’un seul serait dédié à la science. Sans compter qu’il arrive souvent que les deux genres se retrouvent dans la même rangée, ce qui peut facilement mener à une confusion chez les lecteurs. » [2]

Un constat étonnant… mais explicable

Dans son article « Croire, une tendance lourde », paru dans Science et pseudosciences en janvier 2009, (SPS n° 284), Serge Larivée expliquait ainsi pourquoi les pseudosciences sont toujours aussi populaires :

« Au moins trois motifs sont susceptibles d’expliquer pourquoi la raison baisse les bras devant la croyance quelle qu’en soit la nature (religieuse, paranormale) : la satisfaction de l’homme à l’égard de sa propre pensée, la prééminence des émotions sur la raison et la fabrication de sens inhérente au travail du cerveau humain. » [3]

En effet, la croyance est universelle et apporte un sens à l’existence, alors que l’attitude scientifique demande un effort particulier. Le doute raisonnable et le critère de réfutabilité que requiert la méthode scientifique entrent dans une démarche qui n’est pas accessible spontanément.

Dans le domaine de la médecine, par exemple, un livre qui dit au lecteur qu’il a un pouvoir sur sa santé ou qui rapporte les témoignages de malades qui triompheraient de leur maladie par des méthodes naturelles, apaise les inquiétudes en donnant l’impression de savoir. Le top 100 des meilleures ventes « tout département » ainsi que « Science, Techniques et Médecine » des huit derniers jours sur le site d’Amazon se trouve être : Le meilleur médicament, c’est vous !, du Dr Frédéric Saldmann (15 mai 2013). Le projet de l’auteur est étonnant : « En écrivant cet ouvrage, j’ai voulu vous donner l’ordonnance que je n’aurais jamais osé rédiger en consultation et vous confier la méthode pour être en meilleure santé, et guérir par vous-même ! ». Vient un peu plus loin, Ma Bible de l’homéopathie, d’Albert-Claude Quemoun et Sophie Pensa. Les auteurs, eux, n’y vont pas par quatre chemins : « L’homéopathie est la seule médecine à la fois efficace, naturelle et applicable à tous, sans aucun risque d’effet secondaire ». Juste après, on trouve un incontournable : Le corps quantique – Le fabuleux pouvoir de guérison de votre esprit, de Deepak Chopra. La description de l’ouvrage, « best-seller mondial depuis sa parution » en 2009, le rend très attirant pour qui est sensible à l’illusion de scientificité apportée par le vocabulaire et ne détecte pas la mystification : « Tout comme la découverte des particules quantiques nous a éclairés sur des phénomènes physiques longtemps considérés comme inexplicables, la prise de conscience des interactions corps/esprit pourrait expliquer comment certaines personnes condamnées par la science occidentale trouvent les ressources nécessaires pour guérir, apparemment grâce à leur seule volonté. Car notre esprit influence le corps, non pas de façon superficielle mais au niveau le plus profond, celui des particules quantiques qui constituent la matière ».

Ces livres sont suivis par l’incontournable Inferno, publié le 23 mai 2013, de Dan Brown, auteur du célèbre Da Vinci code, où s’entremêlent ésotérisme et fantastique, art et science.

Alors, échec de l’esprit rationnel ?

Dans la mesure où croire permet de faire l’économie du savoir, il est plus séduisant d’attirer les lecteurs par le biais du paranormal et de l’ésotérisme que par la démarche sceptique. Le détournement du vocabulaire scientifique, le mirage des recettes du bonheur ou de la guérison magique par des thérapies variées, donnent une apparence de sérieux et entretiennent l’illusion que l’homme n’a pas besoin d’effort pour devenir, selon la formule chère à Descartes, « maître et possesseur de la nature ».

[1] www.acfas.ca/evenements/cong…
[2] www.sciencepresse.info/les-p…
[3] Croire : une tendance lourde

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