Google et les psys

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Google et les psys

par Brigitte Axelrad – SPS n° 291, juillet 2010 publié par l’AFIS

Un article de Victor Delatour, paru dans Le Cercle Psy du 2 mai 2010, intitulé « Quand des psys googlisent sur leurs patients… », nous informe d’une nouvelle pratique des psychiatres états-uniens consistant à chercher sur Google des informations sur leurs clients, telles que connaître leurs réseaux d’amis, leurs goûts, leur mode de vie, etc. Cette activité s’appelle communément le googling.

291_101-105_3D’après un article paru le 3 avril 2010, dans la Harvard Review of Psychiatry1des psychiatres états-uniens peuvent en effet maintenant chercher des informations sur leurs patients en passant par Google. Lorsqu’ils estiment que leurs patients ne leur ont pas donné suffisamment de renseignements sur eux-mêmes, ils visitent les blogs, ou les réseaux Facebook, Myspace, Twitter et glanent tous les compléments d’information qu’ils jugent utiles. Les psychiatres sont tenus de respecter certaines règles éthiques, précise la Harvard Review of Psychiatry : avant cette recherche en ligne, ils doivent tenir compte de facteurs tels que le motif de la recherche, son effet escompté sur la thérapie ou les risques possibles. Le psychiatre est censé prendre en compte le seul intérêt du patient. Cet acte s’appelle patient-targeted Googling (PTG). Cependant, il y a, au départ de toute thérapie, qu’elle soit menée par un psychiatre, un psychanalyste ou tout psychothérapeute, un contrat de confidentialité tacite ou explicite qui garantit à la fois la confidentialité des informations apportées par le patient sur lui-même et le respect par le psy de la « vérité » du patient. Or, cette « vérité » n’est-elle pas celle qui est dite par le seul patient, s’il est majeur et en pleine possession de ses facultés ?

Le Washington Post rapporte des exemples de ce nouvel usage d’Internet. C’est le cas, par exemple, d’un psychiatre qui, alerté par un proche de l’état dépressif de l’un de ses patients, s’est rendu sur son blog et, après avoir lu des messages alarmants, a appelé le service d’urgence qui l’a trouvé chez lui inanimé, après une tentative de suicide par médicaments.

Certes, on peut dire qu’une vie a été sauvée, mais cet exemple n’empêche pas de se poser la question de l’éthique du thérapeute et en l’occurrence celle de savoir s’il a le droit de franchir les limites entre le privé et le public. En effet, tout franchissement de l’éthique en psychothérapie n’est-il pas susceptible d’entraîner des dérives ?

Certes, le blog sur Internet se trouve dans un espace public, mais peut-il légitimement constituer une réserve de renseignements pour les psys ?

La Harvard Review of Psychiatry mentionne le cas d’un jeune étudiant désargenté qui a obtenu de son psy un tarif moins élevé pour sa thérapie. Le psy consulte Internet et trouve son adresse et la photo de la maison. Il en fait la remarque au patient. En réalité, celui-ci loue une modeste chambre au sous-sol qu’il paye en réalisant de menus travaux pour le propriétaire. Cet incident entraîne l’arrêt de la thérapie.

Nous savons en principe que la fiabilité des informations sur le net peut être sujette à caution. Des informations inexactes ou mensongères y côtoient souvent des informations valides. Par ailleurs, tout le monde n’est pas conscient qu’une fois des informations données sur un site, dans un blog ou sur les réseaux, elles deviennent disponibles et peuvent être exploitées de n’importe quelle façon.

Le cyberespace et la psychothérapie entretiennent des relations qui ne sont pas nouvelles. Tout d’abord les patients ont commencé à rencontrer leurs proches en utilisant des réseaux. Des groupes de soutien ont utilisé Usenet et des listes de diffusion. Par la suite des psychothérapeutes ont mis des informations en ligne.

En 1985, l’Université de Cornell organise un service d’information et « Oncle Ezra » répond sur le réseau aux questions qui lui sont posées.

En 1995, des psys tels que Simon Ehlert et David Sommers commencent à pratiquer la psychothérapie sur Internet. La psychologue Maria Ainsworth rapporte dans « My Life as an e-patient »2 le premier récit d’une psychothérapie en ligne. Il sera publié dans le livre de Robert C. Hsiung3, connu sur le réseau sous le nom de « Docteur Bob ». En 1999, des psychothérapeutes de l’International Society for Mental Health Online travaillent ensemble dans le cadre de l’Online Study Case Group4 et produisent une série de recommandations pour le travail clinique en ligne.

Mais en ce qui concerne la recherche sur les blogs et les réseaux d’informations sur leurs clients par les psychothérapeutes, plusieurs questions se posent :
- Les psys doivent-ils tout savoir sur leur client ? Si le client décide d’omettre une information, n’en a-t-il pas le droit ? N’est-il pas même préférable de respecter cette marge de secret ?
- Le thérapeute est-il en droit d’entrer dans la vie de son patient à son insu ? Lire le blog du patient même avec son consentement, c’est aussi lire les commentaires postés par d’autres et subir leur influence.
- La relation thérapeutique ne doit-elle pas être fondée sur la confiance et la communication ? Si le thérapeute a des doutes, si des informations lui manquent pour son travail – et non pour sa curiosité – ne doit-il pas les demander directement à son patient ?

Lorsque le patient apprend que son thérapeute a regardé son blog, ne va-t-il pas ressentir cet acte comme une trahison et du voyeurisme ? Ce qui a toutes les chances de faire échouer la thérapie.

En France, il existe un code de déontologie de la Fédération Française de Psychothérapie (FF2P) qui indique : « Le psychothérapeute est tenu d’utiliser sa compétence dans le respect des valeurs et de la dignité de son patient /client au mieux des intérêts de ce dernier. »

Le « googling » et la mémoire indéfinie des informations qui y figurent ne nous obligent-ils pas aujourd’hui à nous interroger sur leur utilisation par quiconque et plus encore par les thérapeutes, quelles que soient leurs formations et leurs méthodes ?

1 « Patient-targeted googling : the ethics of searching online for patient information » (« Des patients googlisés : l’éthique de la recherche en ligne d’informations sur les patients »), Brian K. Clinton et al.

2 http://www.psyetgeek.com/blogs-thra….

3 Hsiung, Robert C. 2002. E-Therapy : Case Studies, Guiding Principles, and the Clinical Potential of the Internet. W. W. Norton & Company http://www.ismho.org/therapy_suitab….

4 http://psychologik.blogspot.com/201….

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