Les faux souvenirs : « le travail de ma vie »

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Un entretien avec Elizabeth Loftus

Publié par l’AFIS

 À la suite de sa conférence sur les illusions de la mémoire, Elizabeth Loftus a répondu à des questions de Brigitte Axelrad.

B.A. Quel est le but ultime que vous voudriez atteindre par vos recherches ?

Elizabeth Loftus. Ce qui m’intéresse, c’est d’apprendre tout ce qu’il y a à savoir au sujet des faux souvenirs et comment les gens en viennent à croire en des choses qui ne sont jamais arrivées. Ceci a vraiment été le travail de ma vie. Il arrive aussi que j’applique cette connaissance scientifique à des cas réels dans lesquels les gens ont peut-être développé des faux souvenirs. Ainsi il y a un côté pratique aussi bien qu’un côté théorique.

B.A. : Que répondez-vous aux gens qui disent que ce n’est pas éthique de manipuler le cerveau des individus à des fins de recherche, même si ces manipulations concernent des évènements de la vie courante comme les comportements alimentaires ou, par exemple, prendre dans ses bras Bugs Bunny à Disneyland ?

E.L. : Toutes nos expériences passent par un processus de contrôle rigoureux qui fait partie maintenant des procédures de la plupart des universités. Nous ne voudrions jamais faire du tort à quelqu’un en connaissance de cause, et, à notre connaissance, la plupart de nos sujets d’expérience (cobayes) ont, s’ils ont ressenti quelque chose, été fascinés par le procédé (ou indifférents) – mais pas contrariés par celui-ci. Des centaines de chercheurs pendant ce siècle se sont engagés dans une recherche qui comporte soit un tout petit peu, soit même beaucoup de tromperie… et plusieurs de ces études ont donné de précieux enseignements à la psychologie et aux sciences humaines.

B.A. Selon vous, pourquoi certains psychothérapeutes implantent-ils des faux souvenirs chez leurs patients ? Sont-ils malveillants ou de bonne foi ?

E.L. : Certains thérapeutes n’ont qu’une seule théorie concernant la cause des problèmes de leurs patients. Ils croient que la racine se trouve dans des souvenirs enterrés de traumatismes de nature sexuelle. Et ils creusent pour les retrouver, ou en renforce chaque relent (« whiff »)… Ceci est une partie du problème.

B.A. : Pensez-vous que retrouver de vrais ou de faux souvenirs pourrait aider les patients à guérir ?

E.L. : J’aimerais voir la plus petite preuve scientifique crédible que déterrer des souvenirs refoulés soi-disant enterrés aide réellement les gens à aller mieux.

B.A. : Comment être sûr que ces souvenirs sont vrais ou faux ? Quels indices peuvent aider à faire la différence entre vrais et faux souvenirs ?

E.L. : Sans corroboration indépendante, vous ne pouvez pas faire la différence. Les faux souvenirs, comme les vrais peuvent comporter les mêmes détails et être exprimés avec confiance et émotion.

B.A. : Quels thérapeutes sont les plus dangereux : ceux qui sont indifférents à cette question des faux souvenirs mais qui aident leurs patients à retrouver des souvenirs, ou bien ceux qui utilisent la thérapie de la mémoire retrouvée mais prétendent que tous les souvenirs qu’eux font retrouver à leurs patients sont vrais ?

E.L. : Ce qui fait problème est de presser, même de façon insensible, les patients pour qu’ils retrouvent des souvenirs enterrés et ensuite de renforcer chaque récit de souvenir (s’il est sexuellement désagréable) comme s’il était vrai. Un autre problème est de dire aux patients qu’ils doivent le faire pour guérir de leur problème. Un autre problème encore est d’encourager les patients à agir sur la base de ces souvenirs infondés.

B.A. : Que pensez-vous de l’influence de Freud et du freudisme aussi bien que du lacanisme sur les thérapies de la mémoire retrouvée ?

E.L. : Désolée, je n’ai pas de réponse à cette question.

B.A. : Pensez-vous que le refoulement existe et si oui peut-il refouler des souvenirs d’abus sexuels dans l’enfance ?

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Richard McNally {Remembering Trauma}

E.L. : Je pense que les gens peuvent ne pas penser à des choses depuis longtemps et en avoir des rappels. Ceci est l’oubli et le souvenir ordinaires. Mais je n’ai pas vu de preuve d’un quelconque processus qui irait au-delà.

B.A.  : Selon vous, quels seraient les meilleurs arguments pour convaincre des gens (juges, avocats, médecins, journalistes, l’opinion publique) que les thérapies de la mémoire retrouvée sont inadéquates et dangereuses pour les patients et leur famille ?

E.L. : Ils devraient lire le livre de Richard McNally Remembering Trauma.

B.A.  : Quand pensez-vous que le syndrome des faux souvenirs disparaîtra et quels facteurs pourraient y aider ?

E.L.  : Malheureusement, d’autres “lubies” prendront probablement sa place. Nous pouvons seulement espérer qu’elles ne blesseront pas autant de personnes et de familles et ne détruiront pas autant d’existences.

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