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Histoires de cas de faux souvenirs
par Brigitte Axelrad – SPS n° 312, avril 2015
« Le grand ennemi de la vérité, bien souvent, n’est pas le mensonge — délibéré, tordu et malhonnête — mais le mythe — persistant, persuasif et irréaliste —. » John F. Kennedy
Holly Ramona
À 19 ans, Holly consulte un thérapeute pour boulimie et dépression. La thérapie est accompagnée d’injections de penthotal, familièrement appelé « sérum de vérité » et présenté comme censé garantir la véracité des souvenirs. Au bout de quelques mois, Holly retrouve le souvenir ignoré jusque-là d’actes d’incestes commis par son père entre 5 et 8 ans.
Le thérapeute organise une séance de confrontation entre Holly et son père au cours de laquelle elle accuse son père. Puis elle porte plainte contre lui. La famille Ramona est détruite, les parents divorcent.
Plus tard, grâce au témoignage d’Elizabeth Loftus au procès, le père de Holly est disculpé. Le thérapeute est condamné à l’équivalent d’un demi-million d’euros de dommages et intérêts. Holly Ramona ne renie rien de ses accusations, elle s’installe comme thérapeute spécialiste des troubles alimentaires et des abus sexuels.
Spectral Evidence, The Ramona Case : Incest, Memory, and Truth on Trial in Napa Valley
Ramona v. Superior Court (Ramona) (1997)
George Franklin
En septembre 1969, en Californie, Susan Nason, une fillette de 8 ans disparaît. Son corps est retrouvé trois mois plus tard à quelques kilomètres de chez elle. Vingt ans plus tard, en 1989, Eileen Franklin (29 ans), fille de George Franklin (51 ans), rapporte qu’elle a soudainement retrouvé un souvenir « refoulé » jusque-là (c’est-à-dire retiré de sa mémoire consciente à cause de son caractère traumatique), selon lequel son père a assassiné et violé la fillette. Eileen fournit de nombreux détails de la scène du crime et, sur la base de son souvenir si détaillé et précis, George Franklin est arrêté et accusé d’assassinat. Elizabeth Loftus écrit : « La seule pièce à son encontre était le souvenir de sa fille. » [1]
Eileen témoigne au procès de Franklin. Elizabeth Loftus est appelée par l’avocat de Franklin en tant qu’experte scientifique de la mémoire. En novembre 1990, le jury déclare Franklin coupable. L’argumentation de l’accusation repose sur la conviction qu’Eileen connaît des détails qu’elle n’aurait pas pu connaître sans assister au meurtre. Pourtant, après le meurtre, les articles des journaux avaient fourni tous les détails rapportés par Eileen y compris des erreurs reprises par ses témoignages. George Franklin est condamné à la prison à vie.
En 1995, un juge du tribunal de district dénonce des erreurs commises lors du jugement et relève des ajouts et retraits dans les récits d’Eileen. Il fait annuler la condamnation.
La sœur d’Eileen, Janice Franklin, révèle qu’Eileen a retrouvé son souvenir au cours d’une thérapie sous hypnose, alors que les deux sœurs avaient affirmé au procès qu’Eileen n’avait pas été hypnotisée. La Californie comme beaucoup d’autres États ne reconnaît pas les témoignages fondés sur des souvenirs « retrouvés » sous hypnose.
Plus tard, Eileen Franklin soutient qu’elle se souvient de deux autres meurtres commis par son père. Mais les tests ADN effectués sur les prélèvements en 1995 identifient un profil masculin qui n’est pas celui de Franklin. En juillet 1996, George Franklin est libéré [2] [3].
[1] E. Loftus, K. Ketcham, Le syndrome des faux souvenirs et le mythe des souvenirs refoulés, Éditions Exergue, Chapitre 6 « Histoire vraie d’un faux souvenir ».
[2] www.youtube.com/watch?v=2QtEZYJRq7s…
[3] The National Registry of Exonerations établit la liste des procès basés sur de fausses accusations, faux témoignages, faux aveux et faux souvenirs.
The Innocence Project est une organisation nationale dont la vocation est de disculper grâce aux tests ADN des personnes condamnées à tort et de réformer le système de justice pénale pour empêcher les injustices futures.
Beth Rutherford
Stressée par son travail d’infirmière, Beth consulte un psychothérapeute. Au fil des séances de thérapie, elle « découvre » qu’elle a été violée plusieurs fois par son père entre 7 et 14 ans et qu’il lui a fait subir un avortement. Dans un témoignage publié sur le site de la False Memory Syndrome Foundation, elle dit : « Je me souvenais qu’il avait introduit en moi des ciseaux et une fourchette, et d’autres horreurs ». Accusé, le père perd son emploi et risque 7 ans de prison.
Plus tard, elle revient sur ses accusations. Des examens médicaux montrent qu’elle est encore vierge et que son père a subi une vasectomie avant les événements incriminés. En 1996, après un procès, le psy est condamné à verser l’équivalent de 1 million d’euros.
Beth Rutherford en tirera la conclusion dans son journal [1] : « Le pouvoir de la suggestion est sous-estimé […] C’est comme si l’on entrait chez un médecin avec une migraine et que l’on en sorte amputé de ses bras et de ses jambes. »
[1] www.stopbadtherapy.com/retracts/bet…
Frances et Dan Keller
Le 1er septembre 2014, la journaliste Linda Rodriguez McRobbie revient, sur le site Slate.com [1], sur la vague d’hystérie concernant les abus sexuels rituels sataniques qui a sévi aux États-Unis dans les années 1980 et 1990. Elle relate le cas de Frances Keller et de son mari Dan. À cette époque ils s’occupaient, au Texas, d’une garderie d’enfants. Suite au divorce de ses parents, Christy Chaviers, une petite fille de 3 ans, est traitée par une thérapeute, Donna David Campbell, pour ses comportements agressifs. Elle fréquente assidûment la garderie.
Un jour d’été 1991, elle rentre de la garderie et raconte à sa mère que Dan lui a donné une fessée. Puis, sous les questions de la thérapeute, l’incident de la fessée devient quelque chose de bien pire : Christy dit que Dan Keller a déféqué sur sa tête et l’a violée avec un stylo.
À partir de là, les histoires que Christy raconte à Donna David Campbell deviennent de plus en plus barbares. Par exemple, les Keller ont fait enlever leurs vêtements à « tout le monde et fait picorer un perroquet dans le pipi ». La thérapeute Donna David Campbell n’en conclut pas que Christy est une enfant imaginative qui a des problèmes liés au divorce de ses parents, mais qu’elle a été victime d’abus sexuels rituels.L’affaire est confiée à la police. Les Keller sont reconnus coupables et condamnés chacun à 48 ans de prison.
Fin 2013, après de multiples tentatives d’appel et 21 ans de prison, les Keller sont enfin libres. Frances Keller, 63 ans, a été libérée le 26 novembre 2013 et Dan Keller, qui a eu 72 ans en prison et se déplace maintenant avec une canne, a été libéré le 5 décembre.
Leur libération est intervenue après la rétractation du médecin qui avait témoigné lors du procès et fourni la seule preuve physique qu’une agression sexuelle avait eu lieu : il avait prétendu avoir trouvé des déchirures dans l’hymen de la petite fille de 3 ans « compatibles avec une agression sexuelle ». Il estime maintenant que c’était un hymen normal. « Parfois, il faut du temps pour comprendre ce que vous ne savez pas », dit le médecin en ce mois d’août 2013, au cours de l’audience en appel.
Aux États-Unis, le cas Keller est symptomatique de la panique liée aux abus rituels sataniques des années 90. Des dizaines de cas semblables ont été rapportés par les médias.
[1] “The Real Victims of Satanic Ritual Abuse”, Linda Rodriguez McRobbie. Slate.com ; 7 janvier 2014.