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L’empereur, c’est moi – Une enfance en autisme
Hugo Horiot. L’Iconoclaste, 2013, 205 pages, 17 €
Note de lecture de Brigitte Axelrad – SPS n° 307, janvier 2014
« Ce livre est avant tout un objet littéraire. »
Hugo Horiot
Quand on lui demande pourquoi il a écrit ce livre, Hugo Horiot répond : « J’écris par besoin ». Souffrant du syndrome d’Asperger, un des troubles envahissants du développement recouverts par le terme d’autisme, il précise que cette histoire est son histoire et non celle des autistes en général et qu’il ne veut pas devenir le fer de lance de telle ou telle association, prendre parti dans la guerre qui oppose actuellement psychanalystes et comportementalistes1. Malgré tout, dans l’Épilogue, une anaphore énumère ceux à qui il dédie avec amertume son livre : « À tous ceux… […] À tous ceux qui ont tenté de m’emmurer vivant dans mon silence de mort à jamais. […] À tous ceux qui veulent crucifier les mères aimantes puisque pour eux l’amour est obscène. […] Je dis NON. Je n’ai pas été trop aimé par ma mère. J’ai été aimé. Et j’ai aimé en retour ».
Selon sa mère, Françoise Lefèvre, Hugo Horiot a rédigé ce livre en un mois à peine. Dans la Postface, elle écrit : « En te lisant j’en comprends l’urgence, je découvre ta douleur et ce sont d’abord les larmes qui me viennent ». Elle termine par ces mots : « Bonne route Hugo ! J’ai adoré être ta mère ».
En 1990, dans Le Petit Prince cannibale, (couronné par le Goncourt des lycéens), Françoise Lefèvre disait à son enfant atteint d’autisme : « Face à toi, je suis face à un être qu’il faut sauver, un être enseveli sous les décombres. Un emmuré vivant. Te sortir de là. Te tirer de dessous ces pierres enchevêtrées. T’arracher à cette ville morte ».
Il semble bien qu’elle ait réussi. Son fils est maintenant comédien et écrivain.
C’est pour se libérer de ce « sac de briques » du silence, que Hugo Horiot prend un jour sa plume et se projette dans son enfance sur laquelle il s’est tu jusque-là, parce que sa maladie était devenue insoupçonnable : « Quand j’ai décidé d’écrire, je n’avais pas de plan, j’ai juste ravivé des souvenirs qui, par domino, en ont appelé d’autres, parfois très enfouis. J’ai gardé cette forme très séquencée, comme des petits épisodes, et l’idée de raconter mon quotidien et ma situation avec mon point de vue d’enfant ».
Les épisodes s’égrènent au fil des deux-cents pages du livre, chapitres courts répartis en quatre périodes, celles des quatre ans, des six ans, des huit ans, des quatorze ans.
À quatre ans, cet enfant ne parle pas. Il est à la fois trop sage et trop en colère : « Je crie, mais sans paroles […] Je ne parle pas, pas même à ma mère. […]Le seul avec qui je prends la peine de parler, c’est mon pire ennemi : Julien. […] Je le hais. Je vais le tuer ».
Et il le tue. Julien, c’est lui. À quatre ans, il décide de changer de prénom et de s’appeler Hugo. À six ans, « sous les yeux de ma mère, j’ai tué Julien. Je lui ai tranché la gorge ». Plusieurs pages plus loin, « Julien est enterré dans la terre noire, mais de temps en temps sa main sort brusquement. Elle s’accroche à mon pied. Julien ne veut pas mourir. […] Combien de fois vais-je devoir la couper, cette main qui ressort sans arrêt ? ».
C’est donc à l’histoire d’Hugo que nous sommes conviés. Mais c’est une histoire sombre, tragique, qui nous est contée dans un style épuré, phrases courtes, rythme tourbillonnant à l’image des roues qui le fascinent, de la terre qui tourne autour du soleil et de Hugo qui tourne autour de lui-même : « Le monde tourne, alors je tourne ». Le style de l’auteur a gardé le rythme tourbillonnant des premières années, mais l’obsession de la mort, mort de Julien pour qu’Hugo puisse enfin vivre, est permanente.
Dans l’Épilogue, « Cannibale toi-même ou ce que j’ai eu la chance de ne pas connaître », l’auteur dénonce avec ironie et cynisme la violence du packing2, qui consiste à envelopper l’enfant dans des draps humides et glacés : « Sept jours par semaine pendant plusieurs mois. Momifié. Bandelettes à 5°C, corps à 33°C, durant quarante-cinq minutes. Plus si nécessaire. […] Vous me direz : on a vu pire… Oui, à Guantanamo ».
L’empereur, c’est moi vient de recevoir par le Leem (Les entreprises du médicament) le prix Paroles de patients 20133. C’est le livre d’un homme de trente ans qui a détesté être enfant, qui dit qu’il n’a pas guéri de l’autisme, mais qu’il a appris à vivre avec ce trouble.
C’est un beau livre, émouvant, fascinant, qui nous fait entrer dans un monde étrange et parfois effrayant et qui offre le magnifique témoignage de la part d’un fils de ce que peut l’amour d’une mère pour son enfant : changer le Petit Prince cannibale en Empereur.
Le Pr. Delion, a écrit un article intitulé « Quelques réflexions à partir du troisième plan autisme » et publié sur le site du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire1. On peut y lire en introduction : « Le troisième plan autisme paru ce mois de Mai 2013 est un pur produit de la pensée novlangue, dicté par des opposants farouches à la psychanalyse et à la pédopsychiatrie de service public ». Et en conclusion : « Nous devons faire savoir qu’il s’agit d’une imposture, et nous devons continuer à suivre notre chemin des complémentarités nécessaires dans ce domaine de l’autisme, comme dans tous ceux des sciences médicales dans lesquelles la souffrance ne se réduit jamais à la solution d’une équation mathématique ». Nous publions ci-dessous la lettre ouverte que lui a adressée Hugo Horiot.
Monsieur,
Comme tout imposteur, vous tenez un double discours. Vous clamez : « L’éducatif toujours ! » Vous a-t-on déjà vu œuvrer, Monsieur, en faveur d’une inclusion scolaire pour tous ? Votre combat tend plutôt à garder vos « patients » dans les murs de l’obscurantisme. Obscurantisme qui rapporte gros si l’on en croit le coût d’une journée en hôpital de jour : 900 € aux frais du contribuable. Voici un gâteau qui ne se partage pas, sans doute…
Comment pouvez-vous prétendre avoir à l’égard des autistes « tout le respect humain que l’on doit aux personnes qui souffrent psychiquement » ? Les envelopper dans des linges glacés, est-ce là la marque de votre respect, sinon de votre compassion ? Rappelons ce qu’est le « packing » que vous défendez avec tant d’ardeur : l’enfant maîtrisé par plusieurs personnes, bras plaqués au corps, est immobilisé dans des draps glacés au minimum 45 minutes. Cette camisole de glace est imposée au sujet plusieurs jours par semaine pendant plusieurs mois. À la différence des geôles de Guantanamo, on ne recouvre pas le visage. C’est politiquement plus correct.
Vous déclarez que toute opposition à vos concepts est un pur produit de « la pensée novlangue ». Non content de votre mainmise sur le traitement de l’autisme, chercheriez-vous à faire du langage le monopole de la psychanalyse ? Le langage est universel. Il n’a pas attendu l’existence de Freud ou de Lacan pour rayonner. La langue française n’a pas besoin de vous pour être célébrée, croyez-moi.
La psychanalyse étant une thérapie fondée sur la communication entre le patient et son thérapeute, psychanalyser un autiste est une pure abstraction. Vous dîtes : « la souffrance ne se réduit pas à la solution d’une équation mathématique ». Je vous réponds qu’elle ne se réduit pas non plus à quelques schémas psychanalytiques. Schémas qui au fil des décennies semblent aussi immuables qu’éculés, alors que le monde évolue et que chaque être est unique. Interpréter à partir du silence d’une personne la raison de son mal : l’avenir selon vous. Une aberration selon moi.
Enfin, vous contestez les chiffres avancés par la Haute Autorité de Santé concernant l’efficacité des méthodes éducatives et comportementales qui font leurs preuves ailleurs depuis plus de quarante ans. Peut-on savoir combien de personnes sont sorties de leur enfermement autistique en passant par votre service ? La psychanalyse s’estimant au-dessus de toute évaluation, nous n’en saurons rien. Donner des chiffres n’est pas une réponse de psychanalyste, n’est-ce pas ? Dans ce cas, on n’a pas vocation à dépendre de l’argent public. Voici l’imposture véritable.
Salutations distinguées.
1 Même si en France on subit encore l’emprise des psychiatres et des psychanalystes sur l’autisme, alors que la plupart des autres pays ont adopté les méthodes comportementales et éducatives qui ont fait leurs preuves.
2 Le packing est une méthode défendue particulièrement par le professeur Delion, qui n’est utilisée qu’en France et qui consiste à envelopper l’enfant dans des draps humides et glacés. Hugo Horiot a écrit une lettre ouverte au Professeur Pierre Delion suite à sa réaction à propos du 3ème plan autisme : http://www.hugohoriot.com/actualités/. Nous la reproduisons ci-après.